J’évoquais, au début de cette série d’articles, notre ancêtre du néolithique se construisant un abri en pierres de ramassage et aboutissant naturellement en quelques millénaires, à la conception du linteau composite, de la voussure clavée et à la voûte en encorbellement…
C’était négliger les innombrables exemples d’abris familiaux que nous offrent, encore de nos jours, les groupes humains primitifs qui subsistent sur notre planète : de la hutte de branchage des aborigènes d’Australie aux maisons communes des tribus de la jungle mélanésienne… : tous utilisant le matériau le plus souple, le plus léger et le plus disponible dans leur environnement respectif : le BOIS… !
Ce faisant, emporté par mon amour de la construction romane en pierres sèches, je faisais l’impasse sur un mode de couverture de l’abri bien plus simple et naturel qui devait, au fil des des temps, donner naissance à la plus prestigieuse des corporations : celle des « grands charpentiers » du bois, qui furent les vrais initiateurs de la technique du traçage : le TRAIT…
- Ce dessin imaginaire se veut illustrer l’invention presque instinctive du mode de couverture d’un abri, au néolithique. Ces abris étaient de petite taille car ne servant que d’abri nocturne.
Il est fort probable en effet qu’avant de concevoir la voûte en encorbellement et la voussure clavée, notre ancêtre néanderthalien se soit tourné vers des matériaux plus légers et immédiatement disponibles pour couvrir les abris primitifs que la nature et ses périls lui imposaient… Bien que n’étant pas de la même époque, les exemples ci-dessous sont une illustration de l’ingéniosité des êtres humains.
- Dans cette « capitelle « du Minervois,(non datée) le linteau de l’ouverture est constitué de troncs équarris juxtaposés. Les pierres inclinés de la couverture, reposent sur un « solivage » de baliveaux juxtaposés également. Un enduit de terre argileuse tapisse les parois internes (Photo Colin).
- Sur cette vieille photo d’une petite cité de l’Atlas marocain (BAHLIL 1947) on arrive à distinguer le mode de couverture des petites habitations : sur un solivage de boulins juxtaposé, un lit de fascines serrées recouvert de terre argileuse séchée…Cette solution semble venir de la nuit des temps… !
Pendant la vingtaine de millénaires qui sépare les premiers abris de la construction du Temple de Salomon (X°-XI° siècle av. J.C.) il est fort probable que les découvertes techniques successives virent la naissance de ces deux types de spécialistes :
- les bâtisseurs du gros œuvre (pierre brute ou taillée, brique, argile ou terre pressée), maniant le fil a plomb, le niveau.
- les charpentiers couvreurs (tributaires de la double nécessité de protéger et évacuer l’eau de pluie…) qui, maniant la règle et le compas, inventèrent pratiquement l’étude des figures géométrique linéaires (Le TRAIT) qui devait aboutir dans les travaux de Thalès, Euclide et Pythagore…) [1].
De l’expérience et des travaux de ces derniers devait naître la forme classique et élémentaire du mode de support de couverture : la « ferme triangulaire » pouvant supporter sans déformation tous type de couverture…
Ce n’est pas ici le lieu d’une démonstration mathématique ! Nous pouvons simplement dire ceci.
Dans cette figure élémentaire, invention des grands charpentiers de la Grèce Antique, toutes les forces engendrées par le poids de la couverture se retrouvent opposées à la résistance de rupture, à la traction du poinçon et de l’entrait, celle-ci étant jugée empiriquement : presque infinie…
Avec cette remarque : Le poids de l’ensemble posé sur les murs extérieurs n’exerce aucune force de renversement sur ces derniers.
On comprend aisément que, par le dessin, toute les déclinaisons dimensionnelles de ce triangle, isocèle ou non, soient possible sans que soit modifié le diagramme des forces ; c’est la pratique de ce dessin trigonométrique, avec règle et compas, sur des épures d’échelle 1, qui au fil des ans, fut désigné sous le nom de : TRAIT (du latin « tractus » = tirer… ).
Dans la Grèce Antique, des spécialistes ayant parfaitement assimilé l’ensemble des techniques des deux branches, et capables de concevoir la totalité d’un édifice, furent appelés « arkitekton » (Phidias) gardant ainsi la référence au prestige des pratiquants du TRAIT (En grec « Arkitekton » signifie : Grand Charpentier…) [2].
Mais quand s’élancèrent vers l’an 800 les cohortes de bâtisseurs qui devaient couvrir l’Europe d’églises, chapelles ou modestes habitations, les compagnons « grands charpentiers » conservèrent toujours une certaine autonomie par rapport au « Maître d’œuvre »... Tout en respectant l’idée directrice de ce dernier, ce sont eux qui établissaient par le TRAIT, la multitude de formes des couvertures de clochers et hautes tours qui enchantent encore de nos jours les visiteurs de notre pays.
- A BRANCION, Saône et Loire, on peut s’extasier devant cette ferme rustique qui soutient la lourde couverture en « laves » du porche de l’église. L’entrait de cette ferme originale est constitué par le tronc non équarri d’un vieil orme.
Et c’est un plaisir subtil et enrichissant d’imaginer ou découvrir l’ossature des toits de ces innombrables clochers, tours et châteaux, qui parsèment la campagne française ou européenne…
- Photos autorisées par F. Cordier ; extraites de : « Chemins du Patrimoine en Tournugeois » O.T.S.I. Tournus
- Photos autorisées par F. Cordier ; extraites de : « Chemins du Patrimoine en Tournugeois » O.T.S.I. Tournus
- Photos autorisées par F. Cordier ; extraites de : « Chemins du Patrimoine en Tournugeois » O.T.S.I. Tournus
A partir du XVe siècle, la manière de calculer et de concevoir le « bâti » se verra bouleversée par le formidable développement des mathématiques avec l’adoption des chiffres arabes, du Zéro, de l’algèbre, et du papier venu de Chine qui permets le dessin d’un plan à petite échelle…
L’ancien « Maître d’œuvre » qui avait son projet dans sa tête sera remplacé peu à peu par l’ « Architecte » instruit de toutes les techniques, dessinateur-projeteur et responsable de la totalité du projet.
Note de justification
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