- a) Certitude : " l’acte premier" de tout bâtisseur ou architecte est de déterminer l’orientation de l’axe principal du bâtiment à construire", (dans le cas des églises l’axe du grand vaisseau, le chevet généralement vers l’Est. Il est important de remarquer que cette orientation de l’abbatiale vers les années 900-920 est restée la même, subsistant à toutes destructions et reconstructions ultérieures).
- b) Certitude : La boussole n’existant pas, les anciens s’orientaient par la direction du soleil au zénih (Sud) et aussi par la position du soleil levant variable en cours d’année.
- Texte "emprunté " au livret n°5 de l’Abbaye de Boscodon de H.Bilheust
- c) Hypothèse : Dans le cas de Saint-Philibert, cet axe a été orienté par pivotement sur l’emplacement d’une éventuelle chapelle primitive, voire la crypte, toujours présente sous le chœur, le jour de la fête de Saint Philibert (20 août julien).
- d) Observations antérieures : En 2001 une première vérification à la boussole nous donnait une orientation de # 72°+/-par rapport au nord magnétique. Soit compte tenu de la déviation actuelle : # 67°E./ N.géog. Les périodes d’observation du lever dans cet azimut se situent entre le 1er et le 10 mai et entre le 15 et le 22 août, depuis ma chambre.
En 2002, par l’intermédiaire d’un plan de Tournus transformé en planchette orientée, les clochers de l’abbaye formant les pinnules d’une gigantesque alidade, nous avons mesuré et vérifié l’exactitude de cette orientation (Plan et légende ci-dessous- point C.
En fin de campagne nous avons recherché, sur le site de Tournus, un lieu situé à la même altitude que le faîte de l’église, et donc favorable pour la détermination photographique du jour exact de l’orientation. Cet endroit idéal, (le seul !) noté E sur le plan est situé dans une propriété privée.
Campagne 2003 :
Présomption : Si le temps est favorable et le ciel dégagé, nous assisterons et photographierons le lever du soleil dans l’axe de l’abbaye chaque jour entre le 14 et le 22 août 2003 en étant présent sur le site avant 6h20 locale.
Après avoir constaté avec précision le quantième du jour de l’orientation, il nous sera possible de vérifier l’hypothèse selon laquelle le maître d’œuvre premier aurait orienté l’axe de l’église à bâtir, le jour de la fête de son saint patron Philibert ( 20 août - martyrologe romain). Ce qui n’est pas certain, mais intéressant de confirmer.
Il nous faudra pour cela tenir compte du décalage existant entre calendrier Julien suivi en 920 et le calendrier Grégorien suivi en 2003, ce qui est un petit problème de logique dont les données sont nombreuses et complexes !
Quand nous connaîtrons le jour 2003 du lever dans l’axe de l’Abbaye : 67°Est nous pourrons donc déterminer quel jour il était pour notre maître d’œuvre, et vérifier sur le martyrologe quel était le saint de ce jour.
- Seul ce point de visée idéal permettra de mettre un point final à notre étude (Avec l’accord du propriétaire).
Observations d’août 2003
La campagne d’observation 2003 s’annonçait bien mal. Privé de l’autorisation d’accès au point E (propriétaire non consentant), il me fallait trouver sur l’axe d’azimut 67° un autre point de vue, dussais-je édifier en plein champ un échafaudage qui me mît en vue de l’Abbaye..!
Je parcourus à nouveau tous les chemins de l’Ambre et la Croisette pour finalement découvrir le point F situé sur une petite rue longeant l’autoroute et non portée sur le plan.
Malgré la présence de quelque végétation, le point de vue est idéal par son altitude et la présence d’une ligne d’horizon situant les premieres marches du Jura. Ce qui met l’observateur dans une situation d’horizontalité similaire à la vision au niveau de la mer, ce qui n’était pas le cas au point E.
Me fiant à mes expériences 2001 et 2002, j’avais prévu la série d’observation entre le 10 et le 20 août. Mais dans le fièvre de la découverte du point F, j’étais présent sur le terrain le 8 août dès 6h15.
Bien m’en prit car dans un ciel de canicule (2003), j’assistai à un lever de soleil somptueux, un peu à gauche de l’alignement abbaye. Vous pensez bien que le lendemain samedi 9 août 2003 j’étais à nouveau présent pour prendre cette série de photos que je vous livre sans aucune retouche. Elles ont été prises, respectivement de gauche à droite, à : 6h32, 6h35, 6h36, 6h37, 6h38, heure locale, prélude à une nouvelle journée caniculaire.
Le bonheur de comprendre
Une conclusion s’imposait alors : L’orientation de l’abbaye a été faite par le premier maître d’œuvre à une date qui pour nous, est le 9 août, indubitablement. Avec une marge d’un ou deux jours après, selon que le dit opérateur a visé un soleil pointant, le disque levé à moitié ou entièrement sorti.
Une vérification s’imposait donc, car la date est très différente de mes précédentes déductions, faites il est vrai à partir de photos prises dans de moins bonnes conditions…
- La photo décisive, le 9 août 2003 à 6h35.30" azimut 67°E :
Sur ce cliché authentique et sans retouche on peut vérifier :
a) que l’observateur se trouve bien dans le prolongement de l’axe de l’église.
b) que son altitude (ligne d’horizon) se situe à hauteur des mâchicoulis de la façade.
c) que le disque solaire (cercle enveloppant les 5 points lumineux) est entièrement sorti de l’horizon et se trouve exactement dans le prolongement de l’axe d’azimut 67°.
Le bureau des Longitudes (Institut de Mécanique Céleste) consulté m’a donné la ligne suivante :
En précisant que l’heure et l’azimut sont donnés pour le disque solaire à moitié apparent. Ce qui avec une certaine tolérance, vérifie mon observation 67° disque entier visible.
Ainsi donc notre maître d’œuvre a orienté l’axe de son futur édifice un certain jour des années 920 qui dans notre calendrier grégorien porte la date du 9 ou 10 août…
Donc, à moins d’une erreur de raisonnement de ma part, (ce qui n’est pas exclu !) ces données semblaient détruire l’hypothèse, plus ou moins admise, de l’orientation de l’église sur le lever du soleil le jour de la fête de son saint patron (20 août).
Bien que j’eusse entrepris cette étude sans idée préconçue, c’était une certaine déception. Car cela ôtait à mon étude tout caractère d’apport historique à la manière de construire… pour n’être plus qu’une relation anecdotique !
Mais quelque chose me chiffonnait et dans les mois qui suivirent je me remis à étudier les rapports entre le « temps réel » et les « calendriers ».
C’est ainsi que j’appris que, en 1582, la date du 20 août julien était en avance de 11 jours sur le temps réel… et que pour remettre de l’ordre dans la détermination des saisons et de la « Pâque » les astronomes du Vatican décidèrent de supprimer ce retard en décrétant que : L’heure du lendemain du 4 octobre 1582 serait celle du 15 de l’année julienne … dans le nouveau calendrier.
Jongler abstraitement avec les données reçues étant difficile, j’en vint rapidement à mettre de l’ordre dans mes idées par le petit tableau que j’imaginai alors :
Epilogue
Depuis lors, je jubile !
Par la baie harmonieuse de ma chambre m’est parvenu, un petit matin d’août, un message solaire qui m’a mis en relation virtuelle avec un de ces Maîtres d’œuvre du Xe siècle, que j’admire tant…
Ce dernier était en train d’implanter et commencer à construire avec ses outils rudimentaires, sa planchette alidade, sa corde à 13 nœuds, sa règle modulaire et son compas… ce qui devait devenir l’une des plus belles réalisations de l’Art Roman…
Et moi, petit constructeur amateur du XXIe siècle, j’étais invité à vérifier que ce génial compagnon avait bien appliqué ce que lui commandait son intelligence et sa foi…
Et ce qui eut pu n’être qu’une distraction de poète dilettante est devenu une « petite contribution à la meilleure connaissance d’un chef d’œuvre… ».
Sept ans après, j’en suis encore tout aise…
Tournus, le 26/12/2009 J.A.C.
22 janvier 2010 : Note complémentaire
Le lecteur intéressé se souviendra certainement du souhait exprimé dans le deuxième volet de cet article :
« Quelle étrange et forte émotion ressent le chercheur en retrouvant, par delà les siècles, la pensée directrice d’un grand bâtisseur !
Comme il serait intéressant et instructif de pouvoir faire la même recherche sur d’autres églises commencées à la même époque, à la Madeleine par exemple ou à St Martin de Laives... Fort peu modestement j’espère que cet article suscitera des vocations... »
Bien que sincère, je savais cependant que ce vœu avait peu de chance d’être exaucé, compte tenu des circonstances particulières de ma recherche, et de la difficulté de réunion des moyens d’étude pour un chercheur amateur…
C’est alors que je lisais les premières réactions des lecteurs et que j’attendais la publication, dans la « GAZETTE », du deuxième volet que j’eus la révélation qui justifie ce post-scriptum (que je dédicace à Anne, de Senlis) :
« Toutes personnes, intéressées par cette recherche particulière et ayant accès à Internet (ce merveilleux outil moderne), peuvent avoir accès, sans déplacement, aux réponses essentielles du problème ».
Je me mis alors à expérimenter ma découverte, après avoir inventorié les types de recherche, nécessaires et suffisants pour permettre une conclusion personnelle :
- 1. Obtenir un plan à échelle rapprochée, ou mieux une photo aérienne orienté N-S, de l’église romane étudiée (de nombreux sites Web proposent ce type de photos, imprimables ou téléchargeables, presque toujours fournies par l’Institut Géographique National : IGN).
- 2. Rechercher pour une église choisie la date de la fête du Saint Patron dans le Martyrologe Romain (plusieurs sites Web d’origine religieuse proposent une lecture de ce martyrologe.)
- 3. Obtenir les éphémérides mentionnant l’azimut et l’heure du soleil levant sur une période d’une vingtaine de jours autour de cette date. ( à ma connaissance, seul le très enrichissant site de l’ IMCCE donne ces renseignements).
Démonstration
J’avais cité parmi les études intéressantes souhaitables, celle de la belle église romane de Saint Martin de Laives (71240) qui veille sur la plaine de Saône du haut de sa colline bien connue des usagers de l’autoroute A6. C’est elle que je choisis pour cette première expérimentation :
- Première étape : Je choisis un site de recherches qui propose pour chacune des réponses à nos questions un plan orienté et une photo aérienne du lieu demandé, vue éventuellement détaillée jusqu’au niveau de la RUE. Un bouton « imprimer », généralement présent sur la photo permet à l’internaute visiteur d’obtenir une image qui se présente comme ci-dessous.
Sur cette image, il est alors possible de tracer et prolonger l’axe longitudinal du bâtiment, et de mesurer avec un simple rapporteur l’azimut de l’orientation (incrustations de l’auteur : trait jaune et texte).
- L’angle AZ est l’azimut d’orientation de l’église (mesuré avec un simple rapporteur d’écolier = 103°).
- Deuxième étape : Connaître le Saint(e) a qui est dédiée l’église et la date de célébration de sa fête inscrite dans le Martyrologe Romain (pas le calendrier de la Poste !). Dans le cas présent il s’agit de Saint Martin (de Tours) (316-397) dont le dictionnaire général en ma possession me dit que la fête est fixée au 11 novembre (date présumée de béatification).
Pour le lecteur ne possédant pas l’ouvrage j’ai fait la même recherche sur le site Nominis qui m’a donné les mêmes résultats.
- Troisième étape : Ephéméride du soleil levant autour de la date du 11 novembre : Le site déjà cité de l’ I.M.C.C.E m’a fourni la liste suivante :
Exploitation
La comparaison, voire la confrontation de ces données obtenues en un temps très bref (disons environ deux heures pour les moins familiers du Web !) permettra à tout chercheur intéressé de vérifier, confirmer ou infirmer toutes les hypothèses qu’il lui plaira de formuler concernant les circonstances de l’édification de l’église choisie…
Dans le cas particulier de Saint Martin de Laives, après correction du glissement de calendrier julien-grégorien de 1582, l’hypothèse de l’orientation le jour de la fête du Saint Patron semble bien hasardeuse : différence de 7°
Mais cela fait partie du jeu et n’altère en rien le plaisir de la recherche !
Qu’en pensez vous ? Chers lecteurs…