C’est à travers cette recherche personnelle que je me suis vite vu confronté au problème de l’abandon. En effet, si faire des recherches généalogiques du côté maternel s’avère, pour les quatre premiers siècles, assez aisées (tout en consultant, les registres d’Etat-civil, paroissiaux et les minutes notariales), en revanche, je me suis trouvé bien vite confronté au problème de l’abandon côté paternel. Celui-ci, fort heureusement, était "partiel". Ce qui me laissait une chance de poursuivre la généalogie par le parent qui avait décidé de communiquer son état-civil dans le dossier d’abandon.
Nous le savons tous, la collecte de l’information auprès de nos proches (parents, grands-parents voire arrière-grands-parents) est la première étape de la recherche généalogique. En effet, le recours à la Mémoire de nos aïeux, à leurs souvenirs, à leurs anecdotes voire aux histoires gênantes et cachées etc. permet de commencer les recherches sur de bonnes bases (date et lieu de naissance, de mariage, de décès etc.). A la recherche de toutes ses informations, je me suis vu prêter par mon grand-oncle, le livret de famille de son père, mon arrière-grand-père paternel Eugène, Louis DUMONT (1888-1962). Mais ce que savait mon grand-oncle sur les parents de son père se révélait bien vite limitées par des supputations, étant donné que le pauvre Eugène à sa naissance avait été abandonné par sa mère. Celui-ci savait de sa mère qu’elle s’appelait Sidonie DUMONT et qu’elle lui avait donné son nom de famille et deux prénoms. Eugène n’a jamais essayé de retrouver sa mère ou son père de son vivant. Ayant passé toute son enfance à l’assistance publique de Paris, il a eu le temps de cultiver de la rancœur contre ces parents qu’il ne connaissait pas et qui l’avaient délaissé. D’ailleurs, il disait à ses enfants : « Pourquoi savoir qui était cette femme sachant qu’elle m’avait abandonné et donc qu’elle ne m’aimait pas ? ».
Me voici donc en présence du livret de famille de Tonton (Cf. Document 1) où figure le lieu et la date de naissance d’Eugène, Louis DUMONT. On y apprend qu’il est né le 17 février 1888 à Paris, dans le Ve arrondissement. Au jour de son mariage, à Yzeure dans l’Allier (03), il était domestique dans cette même commune. Chose qui se vérifiait puisque tous les enfants d’Eugène DUMONT sont nés à Yzeure (dont mon grand-père) ou aux environs, comme à Moulins, pour mon père.
- Document 1
Riche de ces informations, plus le nom et le prénom de la mère de mon arrière-grand-père Eugène, il ne me restait plus qu’à demander, dans un premier temps, une copie de l’acte de naissance d’Eugène à l’Etat-civil de la mairie du Ve arrondissement de Paris pour recueillir de plus amples données (Cf. Document 2).
L’acte fut reçu rapidement par courrier postal ; sa lecture m’appris, outre l’adresse et l’heure de naissance d’Eugène, l’âge de sa mère le jour de sa naissance (23 ans), sa profession (de domestique), son adresse de résidence (au 14, rue des Canettes) et le fait que le père était « non dénommé ». On y apprend surtout que Sidonie a bénéficié de l’aide d’une sage-femme (Florence GENISSON) et qu’elle a probablement accouché au domicile de cette dernière (au 23, avenue des Gobelins) et de son mari (Louis GENISSON), cocher de vocation. Une mention marginale sur l’acte de naissance confirme ce que mon père m’avait toujours dit sur son grand-père Eugène, à savoir qu’il était décédé, le 04 septembre 1962, à St-Martin-de-Crau (13), là où trois de ses enfants s’étaient établis.
Bien que les informations sur sa mère se révélaient minces, je pus en déduire assez vite que cette Sidonie vivait à Paris en 1888. Qu’elle y travaillait comme domestique. Et que, probablement, elle pouvait en être originaire. Je décidais donc d’entamer des démarches beaucoup plus fastidieuses afin d’obtenir, auprès de l’Assistance Publique de Paris, une copie du dossier d’abandon d’Eugène. Après avoir constitué un dossier personnel prouvant ma filiation avec l’intéressé et copie des pièces justificatives (mon état-civil, celui de mon père, de mon grand-père paternel et celui d’Eugène), je dus patienter environs deux années avant que ma requête puisse être traitée. Entre-temps, je partis sur l’hypothèse que cette Sidonie était née en 1865 et qu’elle était peut-être parisienne. Je fis alors appel au service d’un généalogiste qui recensa sur Paris pas moins de trois homonymes de Sidonie. Ces informations ne me permirent pas de poursuivre plus avant et, pour glaner des informations d’état-civil sur la mère voire le père, je dus attendre patiemment de pouvoir consulter la copie du dossier.
Deux ans plus tard, je reçus enfin, par courrier, copie du « Bulletin de renseignements concernant un enfant présenté à l’hospice des enfants assistés » de Paris (Cf. Document 3).
Ainsi, mes investigations généalogiques vont peut-être pouvoir se poursuivre sur la branche de la famille DUMONT (donc côté maternel). Effectivement, premier élément exact, le père n’est pas dénommé par la mère. Ceci ne facilitera pas mes recherches. En revanche, Sidonie, pour une mère qui semblait insouciante, tout en répondant volontairement maladroitement aux jeux des questions du formulaire, livre de multiples informations pour justifier de l’abandon pur et simple à l’assistance. On est ainsi informé que l’enfant devra être baptisé. Qu’il est aussi un enfant naturel. Qu’Antoinette est le deuxième prénom de Sidonie. Cette dernière information me permet de penser qu’elle n’est pas originaire de Paris car ses trois homonymes parisiens ne portaient pas ce second prénom. D’ailleurs, Sidonie-Antoinette a indiqué dans le bulletin de renseignements (en page 2) son lieu de naissance à Mézières (08), dans les Ardennes, et sa filiation (en page 3). On la découvre fille d’Emile DUMONT (décédé en 1885) et d’Esther BLE (en fait « BLAY », décédée en 1873). Fort de ces renseignements, je vais pouvoir consulter ultérieurement l’état-civil et l’ascendance de Sidonie. Ses origines sont devenues françaises, en 1831, avec l’immigration de son grand-père Belge, Joseph-Gustave, à Mézières (08). Son plus lointain ancêtre à ce jour est Nicolas DUMONT, né à Hamerenne en 1739, hameau de Rochefort, en Belgique.
Mais revenons à Sidonie... Sur le dossier d’abandon, elle retrace tout son parcours professionnel et ses lieux de résidence successifs dans Paris, entre 1886 et 1888. J’apprends aussi qu’elle a résidé auparavant, dès 1884, et durant deux ans à Vimoutiers (61) chez des membres de sa famille. L’administration conclue que « L’enfant est présenté par la mère qui déclare abandonner le visant sans travail et sans ressources, refuse tout secours, Indifférence »... Conclusion qui se trouve complètement contradictoire avec les détails donnés par la mère dans le bulletin de renseignements même. La consultation des cadastres aux archives de Paris nous a révélé les noms des propriétaires des lieux et éventuellement des patrons successifs pour lesquels elle a travaillé. Sa demande de copie d’extrait d’acte de naissance, auprès de l’état-civil de la ville de Charleville-Mézières (08), nous révèle que cette dernière est née le 17 mars 1863 (Cf. Document 4) et qu’à la naissance d’Eugène, elle n’était pas âgée de 23 ans mais, en fait, de 25 ans.
Autre information riche d’enseignement, on y lit en note marginale qu’elle a épousé, à l’âge de 40 ans, le 13 juin 1903 à Paris (XIIIe) SORNAIN Joseph, sculpteur sur bois de son état. Une demande complémentaire, auprès de cette mairie d’arrondissement, nous a permis d’obtenir son acte de mariage en date du 16 mai 1903 et de nouvelles informations (Cf. Document 5) dont sa qualité, sa profession et son adresse de résidence.
Toutes ces informations collectées ont permis de dresser un portrait mieux ciblé de cette mère qui se voulait « indigne » aux yeux de ma famille et de l’administration. Finalement, on en déduit après toutes ces lectures croisées qu’elle a abandonné son enfant neuf jours après sa naissance ; qu’elle gagnait, en 1888, 25 francs par mois pour 16 francs seuls de loyer à acquitter mensuellement... De ce fait, elle n’avait pas les moyens ni le soutien nécessaire pour élever son enfant (ses parents étaient morts, elle avait un grand-oncle, maître d’Hôtel, et une autre grand-tante qui vivaient aussi sur Paris... mais elle ne semblait pas entretenir de relations avec eux). Ces éléments me permettent d’envisager que l’abandon se voulait momentané dans l’esprit de la mère. Sidonie a d’ailleurs vécu dans un périmètre proche de l’Assistance publique. Elle s’est remariée tardivement avec un parisien. Une enquête menée sur son mari, SORNAIN Joseph (1859 - ?), auprès des A.D. de Paris (XIXe), nous révéla que ce brave homme était ajourné aux obligations militaires en 1879 (côte D1R1 418) pour diverses inaptitudes physiques, et que, pour faiblesse générale, il avait été définitivement rayé des listes et exempté en 1881. A ce jour, et malgré la consultation des listes électorales, rien ne nous permet de dire où le couple demeurait et où il a fini ses vieux jours. Ils restent tous les deux difficilement localisable sur Paris après 1903. A cette date, on sait tout au plus que Joseph SORNAIN était inscrit sur les listes électorales et domicilié au 23, rue de Terre Neuve... Dans un avenir proche, une recherche auprès des archives fiscales nous permettra peut être de retrouver une piste sur ce couple et cette mère mystérieuse.
Sources : Registres de l’Etat-civil de Charleville-Mézières (08) - Archives d’abandon de l’Assistance publique de Paris - Archives familiales.