Yves FLOCH naît le 13 Avril 1896, à Kerfendal, hameau de Plouhinec, dans le sud Finistère. Il est le second d’une fratrie de cinq enfants. Son père Corentin, cultivateur inculte et illettré, a quitté son village de Plozévet, après son mariage, pour travailler à la ferme des parents de son épouse, Marie BOCCOU.
A l’école, Yves FLOCH passe pour un enfant arriéré, en retard dans son développement intellectuel. Il est enfermé, il n’apprend rien et possède déjà un caractère brutal et irascible, caractère qu’il gardera toute sa vie. Il quitte rapidement l’école et travaille sur les terres de ses parents.
Début 1911, une querelle éclate entre lui et des écoliers, pour une question de boutons et de menue monnaie. Il en gardera une rancune tenace contre l’un de ses camarades, le jeune Daniel VIGOUROUX, âgé de huit ans. Le 19 Février 1911, Yves FLOCH entraîne ce dernier, dans un champ situé à Kergoglay, en Plouhinec, sous le prétexte de poser des collets à lapins. Il lui demande de se passer au cou, un collet de fil de fer dont il tenait l’extrémité, le camarade s’exécute. Yves FLOCH serre le collet, tout en portant cinq coups de couteau dans le dos de l’enfant. Ce dernier parvient à s’enfuir et à rejoindre la masure, ou il habite avec sa mère qui l’élève seule. Déjà affaibli, par une tuberculose, il décède de ses blessures quelques jours plus tard. Yves FLOCH n’a aucune réaction à l’annonce de la mort de l’enfant et oppose un mutisme obstiné sur le mobile de son acte.
Yves est arrêté par les Gendarmes de Pont Croix, transféré à Quimper et écroué à la maison d’arrêt de Mesgloaguen. Une expertise psychiatrique reconnait son entière responsabilité. Il comparaît devant le Tribunal Correctionnel de Quimper qui le condamne à être enfermé au pénitencier pour enfants de Belle-Ile jusqu’à sa majorité.
- Belle-Ile-en-Mer, la colonie, le salut au drapeau
Une précision concernant la justice rendue aux moins de 18 ans : ceux dont la justice reconnaissait qu’ils avaient agi sans discernement étaient obligatoirement acquittés, mais l’acquittement pour avoir agi sans discernement n’en était pas moins une condamnation inscrite au casier judiciaire. Il y avait donc des acquittés condamnés. Ils n’avaient aucune peine à accomplir, mais on prenait pour eux des mesures de sauvegarde. À titre de prévention, ils étaient placés dans des établissements d’éducation : les colonies pénitentiaires.
La journée dans la colonie pénitentiaire pour enfants, de Belle Ile était la suivante :
Lever à 6 heures du matin avec des exercices d’hygiène rudimentaires. Pour le petit-déjeuner, un simple morceau de pain. Puis ils vont aux ateliers ou dans leur salle de cours, selon la saison. Les jeunes marchent en rang serré, avec interdiction de se parler pendant les huit à douze heures de travaux quotidiens. Pour le déjeuner, du pain trempé dans du bouillon de légumes et un plat de légumes. Le soir, de la soupe. On imagine le nombre de carences alimentaires...
En cas de manquement à la discipline, les punitions sont diverses : régime pain sec, piquet dans la position à genoux pendant les récréations, cachot. En théorie, les coups sont interdits, mais les mauvais traitements sont nombreux.
Étonnamment, dans cette institution, Yves FLOCH semble s’amender, revenir à de meilleurs sentiments. Son intelligence semble s’éveiller, au point qu’il est noté comme un très bon élève, susceptible de faire un très bon marin de commerce. Il est admis dans la section maritime de la colonie.
Au début de la première guerre mondiale, Yves FLOCH, pour échapper à la colonie pénitentiaire, s’engage dans l’armée, où il sera considéré comme un soldat, sans blessures et sans gloire, son occupation, jusqu’à la fin des hostilités, se limite à nettoyer les tranchées des cadavres qui y pourrissent.
A sa démobilisation, il exerce plusieurs métiers, toujours liés à la mer. Il travaille sur des paquebots de la Compagnie Transatlantique ou sur des chalutiers de Dieppe et du Havre.
En Janvier 1929, Yves FLOCH est de retour à Plouhinec et réside chez son frère Corentin, cultivateur, de cinq ans son aîné et son épouse Marie-Louise LE BIHAN. Il s’emploie aux travaux de la ferme et à la pêche en mer et il s’est acheté un bateau. Il vit à l’écart, ne cherche pas la compagnie. Il est considéré par les habitants de Plouhinec, qui le surnomment "l’homme au couteau", comme quelqu’un qui n’attire pas la sympathie, un être sournois et dangereux, à fuir plutôt qu’a fréquenter.
Le 1er Janvier 1930, en fin d’après midi, Yves FLOCH se rend "Au biniou breton" à Plouhinec, un débit tenu par les époux GUEGUEN, le mari est absent, la femme au comptoir sert les clients, qui sont nombreux, en ce premier jour de l’année. Yves FLOCH se montre entreprenant vis-à-vis de la tenancière. Celle-ci ne doit son salut, qu’à l’intervention de deux marins pêcheurs présents, qui conseillent à FLOCH de rentrer chez lui.
La nuit est tombée, Yves FLOCH rentre au hameau de kerfendal, en longeant le bord de mer, il aperçoit au loin la maison entourée de hauts murs, de la veuve Mariane COLIN qui y vit seule, depuis la mort de son mari, un officier marinier en retraite. Elle y élève seule sa petite fille Marie Anne, âgée de quatre ans, en cultivant les terrains situés autour de sa maison, près de la mer au hameau de Kerruc. L’idée lui vient alors de pénétrer chez elle pour trouver à ses côtés ce que la femme GUEGUEN vient de lui refuser.
Pour accéder à la demeure, Yves FLOCH escalade le mur de 2m50 de hauteur, en s’aidant d’un talus et de pierres empilées. Il s’approche de la fenêtre et découvre la veuve COLIN et sa fille endormies sur leur lit. La porte d’entrée n’est pas fermée à clé, FLOCH entre dans la chambre, la petite fille le voit et pleure, cela réveille sa mère qui veut s’enfuir. Yves FLOCH l’empoigne à bras-le-corps et la lutte commence, il lui frappe la tête contre le mur, saisit une paire de ciseaux qui se trouvait sur la table de chevet et en martèle le visage de la mère. La fillette apeurée s’est réfugiée sous les draps, dans le lit. Les corps roulent à terre, les mains de FLOCH serrent le cou de la veuve COLIN qui ne tarde pas à rendre le dernier soupir.
Yves FLOCH replace le corps de sa victime sur le lit, et l’enfant étant présent, le profane. Puis ne voulant laisser aucun témoin, il étrangle la fillette et viole son cadavre.
Il recherche alors les valeurs présentes dans la maison : ne dit-on pas au bourg que la veuve COLIN aurait pour plus de 30 000 francs d’économie ? Il ne trouve que 930 francs sur une étagère, toutes les économies de la maison, ainsi que quelques titres et valeurs en bourse, qu’il abandonne, vu la difficulté de les négocier et les risques de se faire prendre.
Avant de quitter les lieux de ses crimes, Yves FLOCH prépare avec du tissu, un brûlot qu’il place sous le matelas et qui doit se consumer lentement et déclencher l’incendie de la maison, longtemps, après qu’il ait quitté les lieux.
FLOCH sort de la propriété de la veuve COLIN en escaladant une nouvelle fois le mur d’enceinte, il va se laver à la mare, près de la maison. Il cache l’argent dérobé dans un moulin abandonné, proche du lieu du crime et rentre chez lui, se coucher.
Le lendemain, à son réveil, FLOCH n’entend pas parler de l’incendie et cela l’inquiète, ce genre de fait divers, faisant habituellement, rapidement le tour du village. Il prétend être souffrant et ne quitte pas son domicile, ce matin-là. L’après-midi du 2 janvier, il est vu à deux reprises, se promenant, avec son fusil, sur le bord de mer, près de la maison de Kerruc.
Ce n’est que le soir, vers 21H que l’incendie détruit presque totalement la maison de la veuve COLIN, seuls restent debout les murs. Les cadavres presque entièrement carbonisés des deux occupantes sont retirés des décombres. Le sinistre semblait à tous accidentel, mais la Gendarmerie de Pont Croix est chargée, par le Parquet de Quimper de l’enquête sur cet incendie.
Le Maréchal des Logis Chef KERRIEN et le Gendarme LABOUS arrivent sur les lieux du drame, et sont tout de suite étonnés d’apprendre qu’ont été retrouvées, sous les cadavres, des pièces de literie tachées de sang. Poursuivant leurs investigations, ils découvrent une pièce d’or qui a roulé sous le lit, des traces de pas dans le jardin et l’empilement de pierres près du mur d’enceinte. Pour eux , il ne s’agit plus d’un incendie accidentel, mais d’un double meurtre.
Rapidement les gendarmes sont mis au courant de l’incident qui a eu lieu, deux jours avant au débit "le biniou breton" et de la sinistre réputation que traîne Yves FLOCH, dans le village. Immédiatement interrogé, FLOCH nie les faits, mais les gendarmes remarquent des taches de sang sur ses vêtements et des traces de griffures à son cou et à un de ses poignets, deux heures plus tard, il finit par avouer le double meurtre, après que le Gendarme LABOUS lui a dit qu’en avouant, il sauverait sa tête. FLOCH à la fin de son interrogatoire déclare aux gendarmes : "Je n’ai pas de regret, mais inscrivez le quand même dans votre rapport, cela sera toujours en ma faveur". Sur la photographie, prise par le reporter de la Dépêche de Brest et parue dans ce journal le 11 janvier, Yves FLOCH, entouré de deux gendarmes, sourit, comme s’il était indifférent à la gravité de ses actes et aux suites qui y seront apportées.
Yves FLOCH est alors transféré à Quimper et écroué à la Maison d’Arrêt de Mesgloaguen.
Le vendredi 11 Avril 1930, s’ouvre, au Palais de Justice de Quimper, le procès du double meurtre de Plouhinec. La foule s’est massée aux abords de la Prison de Mesgloaguen et du Palais de justice, la salle d’audience est pleine. Il a été fait appel à 40 fantassins du 137e Régiment d’Infanterie, cantonné à Quimper, à 15 gendarmes et à 12 agents de Police, pour sécuriser les lieux. La foule se presse à la porte de la prison, mais ne pourra pas apercevoir FLOCH qui est transféré jusqu’au Tribunal, dans une ambulance aux vitres dépolies.
L’audience commence, elle est prévue pour durer deux jours et elle est présidée par M.MARINIER, conseiller à la Cour d’Appel de Rennes, assisté de MM ISNARD et LE BOURDELLES, juges, M LHERITIER Procureur de la République occupe le siège du Ministère Public et Yves FLOCH est défendu par Maître Jean FEILLET, avocat du barreau de Quimper.
Après la lecture de l’acte d’accusation et l’interrogatoire du prévenu, les témoins défilent à la barre, parmi lesquels les experts aliénistes qui déclarent qu’il n’y a aucun trouble dans l’existence de l’accusé, pas de tares personnelles, pas de maladie mentale et qu’il est complètement responsable de ses actes. La plupart des témoins reviennent sur le caractère noir et agressif de FLOCH, sauf sa belle-sœur Marie-Louise LE BIHAN qui précise que bien que l’accusé n’était pas très liant, il apportait une attention particulière à ses neveux, auxquels il faisait souvent de petits cadeaux.
Une voisine des FLOCH, la veuve MOALIC, atteste à la barre que dans le milieu de la journée du 3 janvier quand elle est venue annoncer à la famille, l’incendie de la veille, tout le monde sursauta, sauf l’accusé qui leva simplement la tête, sans rien dire et continua tranquillement à manger sa soupe.
Le samedi 12 avril, l’audience reprend par une requête de la défense qui souhaite une contre-expertise mentale de l’accusé. La Cour rejette immédiatement cette demande.
La Plaidoirie de la partie civile commence. Maître JADE qui représente les Epoux LE BERRE, parents et grands parents des victimes, demande réparation et supplie les jurés de n’avoir aucune pitié pour FLOCH, vu l’atrocité du double meurtre.
Puis vient le réquisitoire impitoyable du Ministère Public. Le Procureur LHERITIER revient sur l’horreur des faits, le vol, l’incendie la profanation des cadavres. Il met en avant la précision , le sang froid, la volonté constante et réfléchie et l’entière responsabilité de FLOCH qui s’est délibérément classé dans la catégorie des grands criminels, pour lesquels la peine capitale est la seule expiation possible. Il demande aux jurés une réponse positive à toutes les questions posées, sans circonstances atténuantes.
Maître FAILLET tente ensuite un effort désespéré pour tenter de sauver la tête de son client, dont il dit qu’il est né avec le germe du crime, en lui, que son passage à la colonie pénitentiaire de Belle Ile a développé ce germe et que son travail de ramasseur de cadavres dans les tranchées a amplifié ses instincts pervers. Le défenseur implore le jury de répondre positivement à toutes les questions qui lui seront posées, mais d’accorder au prévenu les circonstances atténuantes.
Le jury se retire alors pour délibérer, les questions qui lui sont posées sont :
- FLOCH s’est-il rendu coupable de viol ?
- De vol avec circonstances aggravantes, de nuit, avec escalade, dans une maison habitée ?
- S’est-il rendu coupable d’incendie volontaire avec circonstance aggravante, dans une maison habitée ?
- S’est-il rendu coupable de meurtre sur la personne de Mme COLIN, avec circonstance aggravante, ce crime a t-il été précédé, accompagné, suivi de viol, de vol et d’incendie volontaire ?
- La même question est posée en ce qui concerne la petite Anne-Marie, avec circonstance aggravante supplémentaire en ce qui touche l’homicide de sa mère.
Après vingt minutes de délibération, le jury rentre en séance avec un verdict affirmatif, pour toutes les questions posées. En conséquence la Cour prononce contre Yves FLOCH la peine de mort.
Le condamné, avant d’être transféré par la gendarmerie, à la Maison d’Arrêt a alors ces mots :" La mort c’est le Paradis."
Le 16 avril, Yves FLOCH signe son pourvoi en cassation, qui est rejeté par la Cour de cassation début juin. Son défenseur introduit un pourvoi en révision, pour faits nouveaux, près du Garde des Sceaux. Cette nouvelle demande est, elle aussi, rejetée. Ne reste alors plus à Maître Jean FEILLET, pour sauver la tête de son client qu’un recours en Grâce près du Président de la République.
Maître FEILLET est convoqué le jeudi 17 Juillet 1930, à Paris, pour rencontrer le Président de la République. Gaston DOUMERGUE, ancien avocat au Barreau de Nîmes et ancien juge, laisse le défenseur de FLOCH exposer sa demande. A la fin de cette intervention, le Chef de l’État lui notifie son refus d’accorder la grâce présidentielle à Yves FLOCH et décide de "laisser la justice suivre son cours".
Le lundi 4 août 1930, en fin d’après midi, la guillotine arrive par train à la gare de Quimper, convoyée par l’exécuteur en Chef des Arrêts Criminels, accompagnés de ses trois aides. Anatole DEIBLER l’homme aux 395 exécutions capitales, en quarante ans de carrière, a encore fière allure, et la main ferme, malgré ses 67 ans, Yves FLOCH sera sa 331e décapitation.
Dès onze heures du soir, les gendarmes occupent les abords de la prison de Mesgloaguen. A trois heures du matin, le service d’ordre est renforcé par une compagnie du 137e Régiment d’Infanterie ;
A quatre heures, le fourgon contenant les bois de justice se gare devant la prison.
DEIBLER et ses trois aides procèdent aussitôt au montage de la guillotine, qu’ils érigent près de l’entrée de l’établissement pénitentiaire. La rue Brizeux est évacuée et ses deux extrémités sont barrées par un cordon de troupe. Des centaines de curieux ont déjà pris place sur les murs alentour.
A quatre heures quarante, les représentants du Parquet et Maître FEILLET, rejoints par l’aumônier pénitentiaire, entrent dans la cellule de FLOCH. Le Procureur de la République lui annonce que son recours a été rejeté et que son exécution va avoir lieu. Yves FLOCH ne réagit pas, il semble indifférent à ce qu’il entend, il demande néanmoins à rester seul un moment avec l’aumônier, à qui il donne sa montre, puis il assiste à une messe et communie.
A cinq heures quinze, alors que le jour s’est levé, FLOCH soutenu par deux aides du bourreau sort de la prison, l’exécution va s’opérer avec une rapidité inattendue. En quelques secondes, FLOCH ayant franchi, sans un mot, les quelques mètres qui le séparent de la guillotine, bascule et le couteau tombe, il est cinq heures vingt et Justice est faite.
Yves FLOCH fut le dernier condamné à mort à être guillotiné en place publique, en Finistère. Le dernier condamné à mort, par les assises du Finistère, exécuté, Joseph ELIES, docker de Lambézellec, reconnu coupable du meurtre d’une épicière à Brest sera quant à lui fusillé, le 17 Novembre 1945, sur le Mont Frugy, au champ de tir d’Ergué Armel, la guillotine n’ayant pu faire le voyage de Paris, pour cause de désorganisation de la justice en cette période d’après guerre.
Sources : Les sources utilisées pour la rédaction de l’article sont les archives
des journaux La Dépêche de Brest" et Le Finistère pour l’année 1930, mises en ligne par les Archives Départementales du Finistère.