Une enfance marquée par les deuils
Prosper Chachignon est né à Villegardin, dans l’Yonne, le dimanche 23 septembre 1832. A cette époque, Villegardin était un petit village situé à côté de celui de Montacher avec lequel il sera associé en 1965 pour former la nouvelle commune de Montacher-Villegardin.
- Source : carte de l’état-major (1820-1866), site « remonterletemps.ign.fr »
Au moment de la naissance de Prosper, ses parents, André Flavien Chachignon, âgé de 35 ans, et Geneviève Adam, âgée de 34 ans, sont mariés depuis 7 ans. Ils ont déjà eu deux fils à Souppes-sur-Loing : Eugène né en 1828 et décédé en 1830 et Méry né en 1829. Ils auront une fille encore en 1834 à Chaintreaux qui malheureusement décédera 10 jours après sa naissance.
Les parents de Prosper étaient certainement de condition assez pauvre. Son père était manouvrier, et fils de berger. Il est veuf et a un enfant lorsqu’il se remarie en 1825. Sa mère, quant à elle, domestique à la ferme du Boulay lors de son mariage, deviendra manouvrière-journalière. Elle était la fille d’un vigneron maçon.
L’enfance de Prosper a été marquée par le décès de sa jeune sœur lorsqu’il avait 2 ans puis de son père, alors qu’il n’avait que 3 ans. Même s’il était certainement encore trop jeune pour comprendre et se souvenir de ces évènements, la mémoire familiale a dû être fortement marquée par ces décès auxquels s’ajoute la mort de son frère ainé intervenue avant même sa naissance.
Prosper n’a pas connu ses grands-parents qui sont tous les quatre décédés avant sa naissance.
Après le décès de son mari, la mère de Prosper va retourner vivre à Fonteneilles, dont elle est originaire, un hameau de Souppes-sur-Loing, village éloigné d’une vingtaine de kilomètres de Villegardin.
- Source : carte de l’état-major (1820-1866), site « remonterletemps.ign.fr »
Souppes-sur-Loing a développé une culture importante de chanvre, puis va s’ouvrir à l’ère industrielle dès 1773 avec l’établissement d’une manufacture d’acier et d’une papeterie. Le développement démographique et économique de la ville va s’affirmer dans la seconde moitié du XIXe siècle avec l’extraction et la taille de la pierre qui va être utilisée dans la construction des grands monuments parisiens, notamment le Sacré Cœur de Montmartre, et celles des immeubles d’Haussmann. La présence de carrière explique certainement le métier de Prosper qui sera terrassier au chemin de fer.
Une adolescence bousculée par des crises politiques
Les années de jeunesse de Prosper sont marquées en 1832 par l’insurrection républicaine à Paris et celle royaliste dans l’Ouest de la France aussi appelée la cinquième guerre de Vendée dont le but est de renverser la monarchie de Juillet.
En 1848, lorsqu’il a 16 ans, la « révolution de février » se déroule à Paris du 22 au 25 février. C’est la troisième révolution française après celle de 1789 et celle de 1830. C’est l’avènement de la seconde république. En province, la crise de subsistance qui sévit dès 1846 à la suite de deux mauvaises récoltes de céréales (1845 et 1846) et à la maladie de la pomme de terre, provoque également des troubles.
Du coup d’état de 1851 à la défaite de 1870, Prosper va ensuite vivre la période du Second Empire de Napoléon III. On verra plus loin comment cette défaite va bouleverser la vie de Prosper.
En 1854, il est condamné à 4 mois de prison par le Tribunal de Fontainebleau. Les causes ne sont pas connues.
Le sort s’acharne sur Prosper
Prosper épouse Estelle Coralie Hutteau le 29 septembre 1857 à Estouy dans le Loiret, il a 25 ans, elle a 20 ans. Elle est née le mardi 13 juin 1837 à Estouy, pas loin de Pithiviers. C’est un petit village d’environ 570 âmes situé à 35 kilomètres de Souppes-sur-Loing. On ne sait pas comment ils se sont rencontrés.
- Source : carte de l’état-major (1820-1866), site « remonterletemps.ign.fr »
Leur mariage se déroule très certainement dans l’église Saint-Martin-et-Saint-Grégoire-de-Nicopolis où Estelle a été baptisée. Ils passent devant le maire à 10 heures du matin en présence de leurs mères, du père d’Estelle, du frère et demi-frère de Prosper et de deux amis du père du marié. Il est intéressant de noter que Prosper a signé son acte de mariage.
Après les noces, Prosper et sa jeune épouse s’installent à Souppes-sur-Loing. Mais leur bonheur n’est que de courte durée, car Estelle décède le 9 juin 1858, 9 mois après son mariage. Ce malheur laisse Prosper veuf et sans enfant. Il vit encore quelques années à Souppes-sur-Loing chez sa mère au moins jusqu’en 1861 (date du dernier recensement où son nom est mentionné à Souppes-sur-Loing).
Pendant 13 ans, il travaille comme terrassier pour les chemins de fers dans divers endroits en province et il a déjà fait de courts séjours à Paris, comme va nous l’apprendre les pièces de son dossier judiciaire.
On le retrouve en août 1870 à Paris au 15 rue Hôtel Colbert dans le quartier de la Sorbonne.
- Source : Plan Avril Frères, lithographie Hangard-Maugé, vers 1859, site vergue.com Source : Rue de l’Hôtel Colbert, de la rue Galande. Paris Ve. Vers 1866, site vergue.com
- Source : Rue de l’Hôtel Colbert, de la rue Galande. Paris Ve. Vers 1866, site vergue.com
1870 – 1871 deux années décisives
Le 19 juillet 1870, l’Empire français déclare la guerre au royaume de Prusse. Napoléon III, qui dirige l’armée jusqu’au 7 août, jour où il est défait sévèrement, cède le commandement au général Mac Mahon. Il laisse la régence à son épouse Eugénie de Montijo. Encerclé à Sedan, l’empereur capitule le 2 septembre 1870.
Cette capitulation entraîne la chute du régime et la proclamation de la République. Le gouvernement provisoire continue la guerre, mais la masse des volontaires rassemblés par ses représentants manque de matériel et d’encadrement. Le gouvernement est assiégé à Paris.
À partir du 17 septembre 1870, Paris est rapidement encerclée par les troupes allemandes. Les derniers moyens de communication entre Paris et la province sont interrompus au cours de l’après-midi du dimanche 18 septembre.
La guerre de 1870 a profondément marqué la ville, qui a subi un siège très dur et dont la population a souffert de la faim. Les ouvriers, les artisans et leurs familles furent ceux qui souffrirent le plus de l’envolée des prix. S’enrôlant en grand nombre dans la Garde nationale, ils portèrent ses effectifs à 350 000 hommes. L’armistice de janvier 1871 paraît insupportable aux Parisiens, qui ont résisté à l’ennemi pendant près de quatre mois.
Sa signature et le cessez-le-feu interviennent le 26 janvier 1871. L’Assemblée nationale s’installe à Versailles pour éviter la pression de la Garde mobile parisienne en état de quasi-insurrection. Enfin, la journée du 18 mars entraîne l’instauration de la Commune de Paris et le second siège mené par les armées régulières contre les insurgés. La Commune dure 72 jours, du 18 mars 1871 à la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871.
Le traité de paix, signé le 10 mai 1871 à Francfort-sur-le-Main, consacre définitivement la victoire allemande.
- Source : Costumes militaires de la Commune d’après nature par A. Raffet.
Prosper dans la tourmente
A 37 ans, Prosper est terrassier du génie auxiliaire à Noisy lors du siège de Paris. Puis il travaille pour le compte de la Compagnie de Lyon. Pendant la Commune, il appartient au 248e bataillon fédéré puis au 2e bataillon des Vengeurs de Paris.
Lors de la « Semaine sanglante », il est arrêté le 25 ou 26 mai 1871, place Saint-Michel, sur le chemin entre le Champ de Mars et la place Maubert. Il est emprisonné à La Batterie à Brest. (La retranscription des pièces de son procès est disponible en annexe).
Dans les premiers jours de juin, les conseils de guerre remplacent les massacres et les exécutions sommaires massives de communards. Ils siègent pendant quatre années consécutives. Ainsi Prosper doit la vie au fait qu’il ne portait pas d’arme lors de son arrestation.
Dans son PV d’audition daté de Brest du 12 juillet 1871, Prosper indique qu’il s’est engagé car j’étais forcé de gagner la solde faute de moyens d’existence. Il est dit qu’il est maintenu en détention malgré l’absence d’information sur son rôle pendant l’insurrection.
Il est entendu de nouveau les 25 mars et 1 avril 1872 à Versailles, après avoir été extrait de la prison de la Lanterne.
Lors de l’audition du 25 mars 1872, Prosper indique qu’il y avait dans le bataillon un certain nombre de fusils que l’on distribuait aux hommes de garde. Je n’en ai jamais eu que pour le service. Il précise qu’il avait également une baïonnette, un ceinturon et une cartouchière. Enfin il dit qu’il a d’abord eu un pantalon rouge puis un pantalon noir avec une bande rouge.
J’avais en outre une veste capotable et un képi de Garde Nationale orné d’une grenade rouge. Par contre, il réfute l’accusation de la police d’avoir travaillé aux barricades.
L’audition du 1 avril 1872 se termine par l’affirmation de Prosper : je n’ai rien à dire.
Dans le rapport sur l’affaire, le rapporteur conclut que : La vérité est qu’au moment où Chachignon prétend avoir fait ce voyage de plusieurs jours du Champs de Mars à la place Saint-Michel, le bataillon des Vengeurs pillent le couvent des Oiseaux de la rue de Sèvres, puis défendait la barricade de la rue de Vaugirard. Le rapport fourni par la préfecture de police désigne d’une façon précise Chachignon comme ayant pris part aux actes ici relatés.
On ne retient pas le fruit du pillage mais en présence des déclarations mensongères du prévenu, après la déposition de la Dame M*, on ne pense pas qu’il y ait doute sur les faits de participation active à l’insurrection. Chachignon Prosper, a subi une condamnation à 4 mois de prison. En conséquence notre avis est qu’il y a lieu de mettre en jugement le sieur Chachignon Prosper pour avoir dans un mouvement insurrectionnel été revêtu d’un uniforme (et) porté des armes apparentes dont il fait usage. Crimes prévus et punis par l’article 5 de la loi du 24 mai 1830.
Le 29 avril 1872, il est déclaré non coupable d’avoir dans un mouvement insurrectionnel s’être revêtu d’un uniforme militaire et porté ses armes apparentes.
Lors de son jugement à 38 ans, il est décrit comme mesurant 1,85 mètre, les cheveux et les sourcils prématurément gris, le front ouvert, les yeux gris, le nez ordinaire, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale et le teint ordinaire. Il est veuf. (Source : jugement exécutoire d’acquittement ou d’absolution du 17e Conseil de guerre permanent de la 1re division militaire en date du 29 avril 1872).
La disparition de Prosper
24 ans après ces évènements, Prosper décède, âgé de 63 ans, le 16 mai 1896 à Arpajon. Sur son acte de décès, il est indiqué qu’il est de passage dans cette ville et que son domicile est inconnu.