- Buste de Vincent Caillard
La famille Caillard est une vieille famille de St Laurent des Eaux. Un de ses descendants écrit en 1924 que cette lignée remonterait jusqu’à Louis XI (règne de 1461 à 1483), dont un Caillard était archer écossais au château de Plessis les Tours Cela reste à vérifier, mais une chose est sûre : on trouve mention de la famille dés le premier registre d’état civil connu de la commune avec Gentien Caillard et son épouse Marie Dubara, en 1624. Le Caillard qui nous intéresse, Vincent, sera le dernier de cette lignée à naître à St Laurent des Eaux plus d’un siècle plus tard.
La légende veut que la famille Caillard soit une famille de modestes cultivateurs, vivant dans une petite maison derrière l’église. Au fil des différents actes qui jalonnent la vie de la famille, nous avons essayé de démêler la légende de la réalité. Modeste, elle l’est sûrement, comme la majorité des familles rurales de l’époque, mais il semble bien que depuis plusieurs générations, elle ne compte pas de cultivateur. Le grand-père de Vincent (lui aussi un Vincent) est "conduiseur de vente". Son père (lui aussi un Vincent) est facteur en 1748. Un facteur, à l’époque n’est pas un agent de La Poste mais un commerçant, quelqu’un qui fait du négoce pour le compte d’un autre. En 1755, Vincent père est fagoteur, ce qui peut laisser penser qu’il pratique son négoce dans le bois. En 1775, il est conducteur des Ponts et Chaussées.
Il semble également que Vincent père sache lire et écrire, ce qui n’est pas si courant à l’époque. En effet, plusieurs actes d’état civil sont signés de sa main d’une écriture sûre et bien formée dénotant l’habitude d’écrire.
Par ailleurs, le parrain de Vincent Louis, premier fils de Vincent père, né en 1752, est Louis Sourgeron de la Renière, maître de Postes, personnage très important dans la hiérarchie sociale de l’époque. Sa marraine est Catherine Sartre de Lisle, fille d’un bourgeois de Poitiers. Louis Sourgeron et Catherine Sartre de Lisle se marient le 12 septembre 1752, et ont pour témoins François Sartre de Chaffin et Michel Sartre des Chambres, "écuyer, sieur de la Barboire, garde de la Poste du Roy". La famille Caillard fréquente donc des gens importants et elle ne semble pas aussi démunie et illettrée que l’ont dit certains auteurs.
Mais revenons un peu en arrière. Vincent Caillard père épouse le 13 août 1746 Anne Villermé (ou Villermay selon les actes). De leur union naîtront à St Laurent des Eaux, quatre enfants : Anne le 18 mars 1748, Vincent Louis le 2 mai 1752 (il décède le 20 mai 1754), Madeleine le 9 novembre 1755 (elle décède le 18 mai 1758), et Vincent, celui qui nous intéresse, le 20 juin 1758. La famille part ensuite habiter à Beaugency, où naîtront deux autres garçons : Simon en 1760 et Antoine en 1767. Anne Villermé reviendra par la suite à St Laurent des Eaux et y décèdera le 16 juillet 1793. On trouve confirmation du départ de St Laurent et de la dernière profession de Vincent père dans des documents de Louis Paré, notaire à Sandillon, datés du 25 novembre 1771, dans lesquels il est fait mention du "…sieur Vincent Caillard, conducteur des chemins royaux, ponts et chaussées, demeurant à Beaugency, tuteur d’un fils d’Etienne Villermé"… (frère de sa femme).
Peu de choses sur l’enfance de Vincent, si ce n’est qu’il la passe à Beaugency et perd son père à dix sept ans. Il part ensuite à Orléans où il trouve du travail dans une entreprise de travaux publics. Il est manœuvre, puis piqueur, surveillant et enfin conducteur des Ponts et Chaussée. Il vient alors se fixer à Beaugency. Le 10 janvier 1790, il est élu officier municipal.
Le 7 février 1790, il épouse Marie Madeleine Trotereau. Ce mariage donne lui aussi naissance à une légende. Il était une fois (les légendes commencent ainsi…), à Orléans, une très belle jeune fille qui vit avec une vieille dame. Personne ne sait qui elles sont mais leur allure aristocratique, les belles robes et les bijoux qu’elles portent donnent à penser que ce sont des femmes de cour. La belle jeune fille dit s’appeler Marie Madeleine Trotereau, et le bruit court que sous ce nom se cache une fille naturelle de Louis XV. Le mariage célébré, la vieille dame disparaît et on ne la revit jamais…
Mais malheureusement, là encore, les actes d’état civil détruisent la légende. Ils établissent de façon indiscutable que Marie Madeleine Trotereau est née le 15 septembre 1773 à Mer, de Marcou Trotereau et de Marie Madeleine La Gravère, bouchers. Prenant leur retraite, ils se retireront à Tavers où décède Marie Madeleine La Gravère. Vincent et Marie Madeleine, de 15 ans sa cadette, se marient donc le 7 février 1790, à Beaugency. Le père ainsi que de nombreux témoins signent l’acte (parmi lesquels plusieurs membres de la famille de Chaffin), ne laissant place à aucune supposition romanesque.
Malgré qu’elle ne fut pas fille de roi, Vincent et Marie Madeleine formèrent semble t-il un couple harmonieux et vécurent heureux en famille. Une ombre toutefois à ce tableau idyllique : ils perdirent six de leurs douze enfants.
Pendant la période révolutionnaire, le couple habite Beaugency. Vincent se montre partisan des idées révolutionnaires mais avec modération, en rejetant les plus extrémistes. Il travaille toujours aux Ponts et Chaussées, et conduit les travaux de réfection de la route Paris Bordeaux dans le Loiret.
C’est à cette époque qu’il s’intéresse à la Sologne. La région est alors insalubre et le sol marécageux. Le déboisement, mené depuis le 11e siècle, a laissé des terres nues et gorgées d’eau. La terre est bon marché et Vincent achète de vastes étendues sur lesquelles il plantera des pins maritimes. Choisis pour leur productivité, ces arbres assèchent le sol et assainissent la région. Eugène Sue écrit, dans le feuilleton "Martin, l’enfant trouvé", publié dans le Journal du Loiret en 1846 : "Feu Monsieur Vincent Caillard a le premier introduit dans une partie de la Sologne le boisement en sapins du nord et d’Écosse sur une vaste échelle. Ces plantations ont assaini et fertilisé un sol jusqu’alors stérile et malsain". A partir de 1850, Louis Napoléon Bonaparte, Président de la République et futur Napoléon III, s’inspirera de l’action de Vincent Caillard pour assainir et mettre en valeur la Sologne. Il rénove les fossés, fait des nouveaux assolements en marnant les terres, mais surtout continue la grande opération de reboisement lancée par Vincent Caillard.
La fortune de Vincent Caillard grandit car il achète plusieurs propriétés : à St Hilaire St Mesmin, celle des Châteliers en 1798 et celle de la Pie (actuelle Mairie) en 1814, et à Lailly en Val, celle des Bordes où il fera bâtir un château à partir des années 1800.
En 1815, il s’associe à Pierre Lebrun qui dirige "l’Hirondelle", une entreprise de voitures publiques. Cet Orléanais de 60 ans avait commencé sa vie professionnelle comme marchand mercier. A partir de 1793, il fait fortune en vendant des tentes à l’armée, puis se lance dans le transport de voyageurs. Il ouvrira des lignes vers Paris, Tours, Bourges, puis jusqu’en Espagne et en Allemagne. Vincent Caillard dirigera bientôt seul l’entreprise. Il existe alors en France quelques 3000 entreprises de voitures publiques concurrentes.
Vers 1820, Vincent Caillard s’installe à Paris, à l’hôtel de Juigné, avec son épouse, ses six enfants et sa sœur Anne. A partir de 1826, il s’associe à d’autres entreprises de voitures publiques, et en 1827, dans l’Annuaire du Commerce de Paris, sous l’appellation des Messageries Générales de France, on retrouve les entreprises de Ms Lecomte, Arnoux, Choumery, Monier…et Caillard.
L’année suivante, avec la famille Laffitte, il fonde les Messageries Laffitte et Caillard. Pierre Laffitte, banquier de Napoléon III fournit les fonds, son cousin Jean Baptiste, agent de change est associé dans la gestion de l’entreprise. La famille Laffitte possède la propriété de Folleville à St Hilaire St Mesmin. On peut penser que grâce à la proximité des propriétés, les deux familles avaient des relations amicales et que cela a facilité les contacts entre elles pour arriver à cette association.
En 1828, l’Annuaire du Commerce de Paris fait part du transfert des Messageries Générales de France du n° 24 de la rue Boulay au n° 128 – 130 de la rue St Honoré sous le nom de Messageries Laffitte et Caillard. Au conseil d’administration on trouve, outre Jean Baptiste Laffitte et Vincent Caillard, ses fils, Vincent (communément appelé Marc) et Edouard. Les deux hommes ont donc racheté les parts des autres associés et ont fondé une entreprise qui rivalisera pendant le 19e siècle avec les Messageries Royales. Elle put assurer la desserte de 30 routes et de quelques 2500 relais, établissant souvent les siens.
Mais nul n’est prophète en son pays et il n’y eut jamais de relais des messageries Laffitte et Caillard à St Laurent des Eaux. En effet, depuis 1773, la Poste passe par la rive droite. A la demande Madame de Pompadour, la route à été pavée de neuf pour qu’elle puisse se rendre à son château de Menars, sans avoir à traverser la Loire en bac, et la plus grande partie du trafic, dont la Poste et les Messageries, passe désormais par la rive droite. Dans les cahiers de doléances de 1789, le gouvernement laisse pourtant espérer aux habitants de Cléry, Lailly, St Laurent des Eaux et St Dyé que la Poste leur serait rendue, car malgré sa réfection, la route de la rive droite est moins bonne que celle de la rive gauche. Mais la promesse ne sera pas tenue, et les villages de la rive gauche connaîtront le déclin.
- Un billet en 1849
- Un billet du 16 mai 1849 au nom du Colonel d’Estrai au départ de Paris à 6H 30 pour Lyon. Au bas du billet, on voit "qu’il est expressément défendu de fumer dans les voitures". Déjà...
Les affaires de Vincent Caillard sont prospères et les Messageries Laffitte et Caillard deviennent la plus importante entreprise de voitures publiques. C’est un énorme travailleur qui ne s’endort pas sur ses lauriers. Il se lève à 3H du matin et travaille 15 à 18H par jour. Il semble qu’il soit un homme bon, estimé et respecté.
Il s’intéresse également aux progrès techniques qui révolutionnent la vie en cette moitié du 19e siècle. En 1834 il finance l’étude d’une diligence à vapeur et suit les progrès du chemin de fer.
Vincent Caillard meurt dans sa propriété des Chateliers le 6 novembre 1843. Ses fils prennent sa suite. Jean Baptiste Laffitte meurt à son tour en 1849, et les billets de la compagnie ne portent plus alors que le nom de "Messageries Générales Caillard et Compagnie". Une locomotive est représentée sur ces billets, prouvant que les fils Caillard ont pris le train du modernisme et travaillent désormais avec les compagnies naissantes de chemin de fer. Marc participera à la création de celle du Nord et Edouard à celle d’Orléans.
Vincent Caillard sera enterré au cimetière de St Hilaire St Mesmin, puis reposera dans une chapelle construite à côté de l’église. En 1850, son épouse viendra l’y rejoindre. Un de leur descendant, Léonce Albert Caillard, né à Beaugency en 1846 sera amiral.
Ainsi se terminait l’histoire de Vincent Caillard surnommé le "Napoléon des diligences" par les vaudevillistes et les journalistes de l’époque. Son action fut capitale dans l’essor économique du 19e siècle, car en développant et facilitant le transport des hommes et des marchandises, il a accéléré le développement du commerce et de l’industrie.
La poste et les messageries
Au Xe siècle, la "Reconquista", reconquête de l’Espagne par les chrétiens sur les musulmans, se termine. St Jacques de Compostelle, où le tombeau de St Jacques le Majeur, apôtre d’Espagne, a été découvert au IXe siècle, va devenir pour toute l’Europe un lieu de pèlerinage important. Certaines routes vont peu à peu devenir des axes de pèlerinage traditionnels sur les bords desquels on organise l’accueil des pèlerins (hôpitaux, auberges, lieux de prières, etc).
Le chemin qui traversait notre commune est connu depuis l’époque gallo romaine et il devint un de ces axes de pèlerinage. Il ne fut certainement pas le plus important, mais de nombreux pèlerins devaient le suivre car c’est le chemin habituel qu’empruntent les voyageurs se rendant du Nord et de Paris vers l’Espagne, via Orléans, Blois, Tours, Bordeaux et Hendaye. Une carte du XIIe siècle des itinéraires de pèlerinage signale les points de repos de ces pèlerins entre Orléans et Blois : Cléry, St Laurent des Eaux, Muides/Loire, St Dyé/Loire. St Jacques, nom porté par une rue de St Laurent et par le moulin de Nouan est certainement un vestige de ces pèlerins.
Jusqu’au 15e siècle, pour porter ses dépêches, le roi de France fait appel à des hommes de confiance appelés chevaucheurs. Les temps de transmission sont alors assez long, car le même cavalier fait tout le trajet et doit s’arrêter fréquemment pour se reposer et reposer sa monture. Louis XI, désirant faire parvenir plus vite ses lettres à destination, crée, par l’édit de Luxies (près de Doullens, dans la Somme), le 19 juin 1464, la Poste aux Chevaux. Il fait établir sur des itinéraires précis des relais où les chevaucheurs trouveront des chevaux frais. Ces relais de poste s’installeront naturellement dans les villages où existent déjà des infrastructures, ceux où font déjà étape les pèlerins de St Jacques de Compostelle. A l’origine, ils sont espacés d’environ 7 lieues (28Kms), et par la suite le seront de 3 à 4 (12 à 16Kms).
A partir de 1575, les relais de Poste vont également servir de relais au transport des voyageurs et des marchandises. On y trouve des chevaux frais pour les diligences et les voyageurs peuvent y passer la nuit et s’y restaurer. C’est le service des messageries. Au fil des régimes, elles seront royales, impériales, nationales…
A St Laurent des Eaux, le Relais de Poste est établi à l’Auberge de l’Image (actuelle maison de M et Mme Fassot, en face de la Mairie). On peut penser, vu sa proximité avec Cléry St André, qu’il fut un des premiers créé par Louis XI dans son édit de Luxies. Un extrait des mémoires de Héroard, médecin de Louis XIII, atteste de sa présence au 16e siècle : "le lundi 24 janvier 1622, le roi Louis XIII partit de St Laurent des Eaux et arriva à Cléry où il descendit à l’église…" (peut-être pour inaugurer la statue en marbre blanc qu’il avait commandé au sculpteur Orléanais Michel Bourdin pour remplacer, sur le tombeau de Louis XI, celle en bronze démontée par les Huguenots).
La Poste aux Chevaux a le monopole du transport du courrier et des messageries jusqu’à la révolution. A ce moment là, survint une libéralisation souhaitée dans les Cahiers de Doléances de 1789. Le transport du courrier reste un service public régi par l’administration des Postes, et celui des voyageurs, devient un service privé. On vit alors naître une quantité d’entreprises (on en compta quelques 3000) de plus ou moins grande importance, d’envergure nationale, régionale ou locale.
Vincent Caillard crée la sienne en 1815, en association avec Pierre Lebrun, ancien négociant en tissus d’Orléans. Puis en 1827, il s’associe à d’autres entreprises sous le nom de Messageries Générales de France.
Enfin en 1828, associé à Jean Baptiste Laffitte, il crée les Messageries Laffitte et Caillard. C’est le cousin de Jean Baptiste, Pierre Laffitte, qui apporte les fonds nécessaires. Il est banquier et sera 1er Ministre de Louis Philippe.
Ce début de 19e siècle est révolutionnaire pour le transport. L’état des chemins s’améliore. Ils sont, jusqu’au 18e siècle, à peine tracés, pleins d’ornières. Les axes principaux vont être peu à peu empierrés selon le système de l’Écossais Mac ADAM. L’invention du ressort à lame va rendre les voitures plus confortables, plus rapides. On roule alors à 15Kms/h. Les progrès de la technologie vont permettre de construire des véhicules plus grands (les berlines peuvent emmener 8 personnes, des marchandises et pèsent jusqu’à 4 tonnes à vide). De plus en plus on voyage, on se déplace, et la concurrence que se livrent les compagnies enflamme les esprits. La littérature s’empare du phénomène. Balzac évoque la compétition qui s’instaure entre les Caillard, les Ducler et les Comtesse, voitures de compagnies concurrentes. Hugo écrit dans les Misérables : "nous fuyons dans les bras de Laffitte et sur les ailes de Caillard. Nous fuyons au grand trot, à raison de 3 lieues à l’heure…". Dans l’Annuaire du Commerce de Paris de 1827, les diligences de la Compagnie Laffitte et Caillard sont vantées pour leur "construction élégante et solide", et pour leur rapidité et leur ponctualité.
Les messageries vont connaître leur apogée vers 1838, mais le chemin de fer va peu à peu entraîner leur déclin. Les deux moyens de transport seront pendant un temps complémentaires. En 1840, pour aller de Paris à Bordeaux, on se rend en diligence de la rue St Honoré au quai de la ligne de chemin de fer Paris - Orléans. Là, une grue charge la caisse de la diligence sur un plateau et arrivée à Orléans, la caisse est remise sur ses roues pour continuer le voyage jusqu’à Bordeaux. Peu à peu les lignes de chemin de fer vont s’allonger, se multiplier et entraîner la disparition des diligences. Vers 1875, seules subsistent quelques voitures faisant de la desserte locale dans des zones rurales, non desservies par le rail. Elles continueront jusqu’à ce que l’autobus les envoie définitivement à la ferraille.
Les résidences
L’hotel de juigne
Lorsqu’il décide de s’établir à Paris avec sa famille, Vincent Caillard achète l’hôtel de Juigné. Cette vaste demeure, située quai Malaquais, a appartenu à des familles illustres.
Au 16e siècle, face au Louvre, sur la rive gauche de la Seine, s’étendent les vertes prairies du Pré aux Clercs qui appartiennent aux abbés de St Germain des Prés. En 1630, elles furent achetées par un richissime financier, Louis le Barbier qui éleva là une vaste et belle demeure. Il l’a vendit ensuite à la famille des Loménie de Brienne. Au fil des années, elle appartint au Prince de Conti, frère du Grand Condé, au Duc de Lauzun, à la Princesse de la Roche/Yon, au Duc de Mazarin et enfin au Marquis de Juigné.
La demeure avait été embellie par ses propriétaires successifs et une description de l’époque précise "que l’hôtel comportait de vastes galeries, de grands et hauts salons lambrissés de chêne sculpté, des appartements d’honneur en nombre considérable, des écuries pour 20 chevaux, et surtout un grand degré (escalier) considéré comme le plus beau de Paris, avec des colonnes, des fresques, des rampes en fer forgé où s’entrelaçaient les M de Mazarin. Une cassolette dorée, véritable chef d’œuvre d’orfèvrerie, tenait lieu de pomme d’escalier…" L’hôtel est acheté par les Juigné en 1784 pour 420 000 livres.
À la révolution, la famille de Juigné émigre et la nation s’empare de l’hôtel pour y loger la commission des armes et poudres. En 1795, c’est le Ministère de la Police qui s’y installe pour 23 ans.
À la Restauration, les Juigné reviennent en France, récupèrent leur hôtel et le mettent en vente.
C’est Vincent Caillard qui l’achète pour y installer sa famille et se lancer dans la grande aventure des Messageries. Il restaurera l’hôtel sans toutefois lui redonner son lustre d’antan. Mais il en fit une belle demeure cossue et confortable dans laquelle il recevra le "tout Paris".
Il partage son temps entre ses propriétés des Châtelliers et des Bordes, et sa maison du quai Malaquais. A sa mort, en 1843, cette dernière est vendue par la famille et elle sera démolie. Sur son emplacement, en 1858, sera construite l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts.
Les châtelliers
La propriété des Châtelliers se trouve à St Hilaire St Mesmin. C’est la grande bâtisse aux murs grisâtres située au bord de la RD 951, face à la Mairie. Mais revenons en arrière.
En 508, Clovis fonde l’Abbaye de Micy. Elle est située entre Loire et Loiret, au de là du pont St Nicolas, et son histoire est très liée à celle de la paroisse.
- Les Châteliers face à la Mairie de St Hilaire-St Mesmin
Vers le 12e siècle, les moines construisent sur le coteau, à l’abri des crues du fleuve, un hospice où ils reçoivent leurs frères malades, mais aussi les voyageurs et les pèlerins qui se rendent à St Jacques de Compostelle. Vers 1150, cette dépendance devient une maladrerie, et en 1693, une ordonnance de Louis XIV l’unit à l’Hôtel Dieu d’Orléans.
A la révolution, l’État confisque les biens de l’Église et en octobre 1790, l’abbaye de Micy connaît ce sort. Elle est pillée et en grande partie démolie. Elle aura complètement disparu en 1797. Les Châteliers eux sont épargnés et en 1792, la propriété est vendue à Vincent Caillard.
Il semble que les Châtelliers fut le berceau de la famille Caillard et que cette résidence fut préférée à celle des Bordes. C’est là que mourut Vincent le 6 novembre 1843 et son épouse Madeleine en 1850.
On peut lire au-dessus du portail : "les Châteliers 1703", date de la sécularisation du bâtiment. C’est aux environs de cette date qu’il prit la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.
Aujourd’hui, les Châteliers sont occupés par une institution pour personnes déficientes mentales et physiques.
Les bordes
- Le château des Bordes démoli en 1979
"Le rose d’une construction monumentale, dont les clochetons aigus dépassent le sommet des arbres, nous attire à la lisière du bois, au milieu des vignes qui parfument l’air comme des senteurs d’un immense bouquet de réséda, c’est le château des Bordes". C’est ainsi que E. Huet décrit, en 1900, dans son livre " promenades pittoresques dans le Loiret" le château construit par Vincent Caillard à Lailly en Val. Pour s’y rendre, on empruntait, à l’entrée du village en venant de St-Laurent Nouan, le chemin qui se trouve à droite, où pointent aujourd’hui les silos métalliques de La Franciade.
Alors qu’il travaillait aux Ponts et Chaussées du Loiret, Vincent Caillard avait acheté de vastes terres en Sologne. Sur l’une d’elle il va construire à partir de 1800 le château des Bordes. Lorsqu’il décède, le 6 novembre 1843, c’est son fils Vincent (communément appelé Marc) qui en hérite.
C’est dans cette propriété que se réfugiera la même année le romancier Eugène Sue [1]. Il est beau-frère de Marc Caillard, celui ci ayant épousé Victorine Sue, sœur de l’écrivain.
En 1880, Paul Caillard, petit-fils de Vincent achève la construction du château.
En 1900, les propriétaires des Bordes ont des problèmes financiers et le 5 avril, Joseph Paul Caillard vend le mobilier. Le château est loué à une américaine, Mme Vanderbilt. Cette dernière épouse le comte Czaykowski, d’origine polonaise. La comtesse a une nombreuse domesticité, des toilettes luxueuses, reçoit beaucoup, dépense, dit on, 25000F par jour, bref, c’est la grande vie aux Bordes.
En 1927, Mme de Rochas, descendante de Paul CAILLARD, vend le château et les 400 ha de terres et de bois à Mme Elia Wittel. Elle est française, mais a épousé un américain, George Wittel, qu’elle a connu pendant la guerre, sur le front, alors qu’elle était infirmière et lui ambulancier. George héritera de son père une immense fortune. Après quelques année passées aux Etats Unis, Elia veut avoir un pied à terre en France et jette son dévolu sur les Bordes. Elle le fit restaurer, le meubla et y résida tous les étés. En 1947, après une occupation allemande et américaine, Mme Wittel fit restaurer le château, et y passera alors environ 6 mois de l’année.
Elia Wittel décède le 1er mai 1977, et les 25 et 26 novembre de la même année, tout le mobilier est vendu.
1977, c’est également l’année où le baron Bich achète la propriété. En 1979, il fera détruire le château et aménagera le Golf International des Bordes qui est inauguré en juillet 1987.
La chapelle Caillard
Le 6 novembre 1843, Vincent Caillard meurt dans sa propriété des Châteliers, à St Hilaire. Il est inhumé dans le cimetière de cette commune, alors situé près de l’église.
Le 15 mars 1844, Monsieur de Cardon, Maire de St Hilaire, concéda à Madame Marie Madeleine Caillard, par devant Maître Assie, notaire, un terrain de 24m2 dans le cimetière de la commune. Il se trouvait au nord de l’église, une bande de terrain de 2m le séparant de l’édifice.
Une fille de Vincent Caillard, Marie Adeline Joséphine Laurence, fit construire sur ce terrain une chapelle sépulcrale avec une crypte destinée à accueillir les défunts de la famille. L’oratoire fut béni le 22 février 1847. La chapelle est mise sous la protection de St Vincent, diacre martyre, et de Ste Marie Madeleine, tous deux représentés sur le retable en bois. Ces tableaux auraient été peints dans l’atelier de Ingres qui en aurait retouché les parties principales.
- Façade Sud de la chapelle sépulcrale de la famille Caillard. Aujourd’hui, il ne reste que la crypte, en partie inférieure.
Le 19 mai 1872, le Conseil municipal accorde le droit d’inhumer les membres de la famille à perpétuité dans la chapelle, moyennant
2 150,30F pour la concession primitive et 6 000F pour le privilège de perpétuité.
Le 29 juillet, aux Châteliers, fut signé un acte de donation à la fabrique. Il prévoyait le versement par la famille d’une somme suffisante pour acheter au cours de la Bourse de Paris une rente à 5% de l’État d’un montant de 150F, moyennant que la fabrique assure l’entretien de la chapelle. Cet acte fut signé en présence :
- d’un notaire d’Orléans, Maître Linger
- de deux témoins :
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- Stanislas Leruste, boucher au bourg de l’Archer
- Julien Marie Coupu, maréchal au bourg de l’Archer
- de Victor Laurence et Marie Adeline Joséphine Caillard son épouse, habitant place du Martroi à Orléans.
- Partie supérieure de la crypte sur laquelle était édifiée la chapelle sépulcrale
Il convenait, selon les termes de l’acte :
- d’entretenir à perpétuité toute réparation ordinaire et d’usage de la chapelle et du caveau, les grosses réparations restant à la charge de la famille.
- de payer à perpétuité la prime d’assurance contre l’incendie et le feu du ciel, l’indemnité, en cas d’incendie, restant à la famille Caillard.
- d’acquitter à perpétuité les honoraires de 25 messes qui seront dites dans l’église à l’intention des membres défunts de la famille.
L’autorisation de cette donation revint signée du président de la République, Mac Mahon, et du ministre de l’instruction publique et du culte, de Lamond.
Quinze membres de la famille Caillard furent ensuite inhumés dans la crypte.
En février 1927, le Conseil municipal refusa le legs de Mademoiselle Gadiffet-Caillard, fille adoptive de Joséphine Caillard, épouse Souty, décédée en 1911. Ce legs de 25 000F était proposé à la commune, à charge d’en donner les revenus au curé pour l’entretien exclusif de la chapelle Caillard. Le Conseil, estimant que l’entretien n’absorberait pas les revenus des 25 000F, que cette donation n’était qu’une allocation déguisée faite au curé sous couvert de la commune qui n’en tirerait aucun avantage, refusa donc ce legs.
En mai 1931, c’est l’assistance publique de la Seine, légataire de Mademoiselle Gadiffet, qui versait une allocation au fossoyeur pour l’entretien de la chapelle. Le cimetière fut ensuite déplacé à l’entrée du bourg, mais la chapelle fut conservée et reliée à l’église par un passage couvert.
Au fil des années l’état du bâtiment se dégrada, et il fut démoli en 1989. Seule la crypte fut conservée.
Le buste de Vincent Caillard et le retable furent déposés au musée de Beaugency.
L’auteur remercie, pour les renseignements précieux qu’ils ont apportés dans la rédaction de ce fascicule :
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