Mademoiselle Christine-Antoinette Desmares, comédienne, née à Copenhague en 1682, rencontra le Régent vers 1698. Elle était alors à l’apogée de son talent, sa beauté était très remarquée, une figure charmante aux yeux étincelants. Elle jouait principalement des rôles de soubrette et elle était adorée du public. Son portrait figurait encore il y a quelques années au foyer de la Comédie française [1] (on peut voir sur le site Artnet son portrait présumé réalisé par le peintre Jean-Baptiste Santerre). Elle était très admirée par le Duc de Luynes [2].
Le grand succès de sa vie ne fût pas seulement le théâtre, mais les faveurs du Régent Philippe II d’Orléans avec qui elle eut une longue liaison, et donna naissance à Paris en 1700 à une jolie petite fille nommée Angélique.
Cette fillette reçut au baptême le nom de Philippe-Angélique de Froissy. Elle fut immédiatement enlevée à sa mère et confiée à Sieur Ponce Coche, Valet de chambre du Duc D’Orléans, homme de confiance et complice de toutes ses galanteries, qui deviendra le tuteur de cette petite fille.
Ponce Coche demeurait à Paris au Palais Royal, dès le printemps il partait rejoindre son épouse Anne Bédauré et les enfants à la campagne dans un Château à Gagny.
Sa femme était une personne très dévouée qui n’avait pu donner d’enfant à son époux et qui compensait ce manque d’affection en élevant tous les enfants illégitimes (fruits des amours adultères du Régent) avec beaucoup d’attentions.
C’est à Gagny, dans la propriété du Château de Maison Blanche, vaste et beau domaine de 440 arpents (soit plus de 200 hectares) qui s’étendait aux limites de Neuilly-sur-Marne, offert à Ponce Coche par le Duc d’Orléans pour les services rendus... C’est dans cette propriété que se déroule avec beaucoup de mystère l’enfance d’Angélique de Froissy.
- Le château de Maison Blanche
Cette vaste demeure comportait de nombreuses pièces. Au rez-de-chaussée 8 pièces, au premier étage 11 chambres et au deuxième étage 10 chambres, sans compter les cuisines et dépendances [3]. Ce grand nombre de pièces permettait à Anne Bédauré de pouvoir élever avec aisance tous les enfants adultérins du Régent, dont Charles de saint Albin.
Angélique connait une enfance agréable entourée d’affection et sans problème. Mais après quelques années passées avec Ponce Coche et Anne Bédauré, dans une ambiance protégée et choyée, elle est placée dans le Couvent de Saint-Denis où elle reçut une très bonne instruction, une éducation mondaine et religieuse. Pendant ses années passées au couvent, elle ne reçut jamais la visite de sa mère. Les Religieuses de Saint-Denis n’auraient pas accepté qu’une comédienne vienne perturber leur couvent. Elle n’en sortit qu’à l’âge de 18 ans. Le désir du Régent était alors de voir sa fille entrer dans les ordres, mais tous les efforts furent vains et Angélique refusa de prononcer ses vœux.
Elle ignorait jusque là le secret de sa naissance, par ordre exprès du Régent qui avait interdit de lui révéler ce secret. Un jour le Régent la fit sortir de l’obscurité dans laquelle elle avait vécu jusque là, et lui apprit lui-même qu’il était son père. Selon les dires de la Princesse Palatine « lorsqu’Angélique eut connaissance de ce secret, elle fut transportée de joie » [4]. D’autant plus, surprise, qu’elle s’était imaginée être la fille du Duc de Luynes… grand admirateur de sa mère.
Après cette révélation, elle espérait être reconnue par le Régent, mais il fallut attendre nombreuses années, seulement en 1722 et après son mariage pour cette légitimation [5].
Déçu par le refus de sa fille d’entrer en religion comme il le souhaitait, le désir du Régent était maintenant de voir sa fille entrer dans la vie mondaine et de lui choisir un époux.
C’était une jeune fille très belle, comme sa maman, douce et avec de l’esprit, elle était parvenue rapidement à gagner l’affection de son père, si bien qu’il la garda auprès de lui jusqu’à son mariage. Il la traita avec une grande bonté.
La vieille Duchesse d’Orléans « Madame La Palatine » comme on la nommait, lui témoignait également de l’affection et s’occupait d’elle autant que ses descendants directs.
La Mère du Régent, « La Princesse Palatine », n’hésitait pas à se montrer en public avec la fille de la comédienne [6].
Un évènement se produisit un jour, lors de leur présence au Théâtre–Français, où l’on donnait « Œdipe ». Angélique occupait avec Madame le devant de la loge. C’est alors que Mademoiselle Desmares, qui jouait le rôle de Jocaste, demanda qui était cette jeune fille si belle qui accompagnait la Princesse. Elle apprit que cette jeune personne n’était autre que l’enfant qui lui avait été arraché de ses bras et qu’elle n’avait jamais pu embrasser. L’émotion fut telle, qu’elle s’arrêta de jouer et ne put achever la représentation [7].
Quelque temps après sa sortie du Couvent de Saint-Denis et après concertation entre le Régent et Ponce Coche, l’organisation de son mariage fut décidé dans les plus brefs délais. C’est ainsi qu’Henri François Comte de Ségur deviendra l’heureux élu pour épouser Angélique. Elle viendra avec une dot de deux cent mille livres.
La cérémonie se fera en deux temps et le contrat de mariage fut établi à Paris le 10 septembre 1718, en présence de personnages illustres : son demi frère, également fils naturel du Régent et élevé par Ponce Coche, le Seigneur Charles de Saint Albin Abbé de l’Abbaye Royale de Saint-Ouen et de Rouen, coadjuteur du prieuré de Saint Martin des Champs de Paris, ainsi que de Jacques Barthelemi de la Brosse, prêtre et docteur en théologie de la faculté de Paris, la Duchesse de Berry, Montseigneur le Duc de Chartres, Mademoiselle, fille de son Altesse Royale, ainsi que le Régent et Sieur Ponce Coche son tuteur accompagné de Dame Anne Bédauré son épouse. Du coté du Comte de Ségur, le Marquis Henry Joseph de Ségur et Dame Elizabeth Binet ses père et mère demeurant à Paris, dans leur Hôtel rue d’Enfer, paroisse de Saint Séverin accompagnés des témoins [8].
Un incident se produisit pendant le déroulement de cette signature du contrat de mariage. En effet, « Monsieur D’Argouges, dit M. de Caumartin, parent de la famille de Ségur, refusa de signer et il fallut un ordre du Duc d’Orléans pour qu’il s’exécute, mais de fort mauvaise grâce » [9].
La cérémonie religieuse se fit dans la chapelle de Ponce Coche, seigneur de la Maison-Blanche, à Gagny, par Jacques Nicolas Adam prêtre et curé de Gagny, après avoir obtenu l’accord de Monseigneur le Cardinal de Noailles, archevêque de Paris, de pouvoir célébrer cette union dans la Chapelle privée de Sieur Ponce Coche, le 13 septembre 1718, mais en l’absence de ses parents.
Dés que le mariage fut annoncé, Ponce Coche et son épouse Anne s’affairent aux préparatifs de cette fastueuse cérémonie. C’est une jeune fille qu’ils ont élevée, Ponce Coche en est le tuteur, ce n’est pas rien !
Le château avec ses nombreuses pièces est en effervescence. Les huit pièces du rez-de-chaussée, les onze chambres du premier étage et les dix du second étage sont passés en revue, astiqués. Marie-Blanche et Antoine Lefeuvre ainsi que Pierre Notaire tous les trois domestiques des Châtelains sont affairés à nettoyer les cuivres, les parquets mosaïques des chambres et de la grande salle à manger. Pour se faire aider, des domestiques des alentours ont été sollicités, la femme d’un vigneron de Maison Rouge et également une aide cuisinière venant de la ferme Guyot, afin de recevoir les hôtes de prestige dans les meilleures conditions. La famille Pluyette, fermier de la ferme du château, se prépare à fournir les légumes du potager, les volailles et fruits de saison [10]. Les nappes blanches amidonnées et repassées avec grand soin, enfin le tout pour la fête !!! À cette époque tous les travaux ménagers se faisaient à la main.
Le choix du menu étudié avec beaucoup de soin est prêt et déjà la cuisinière et ses aides se préparent à exécuter des plats raffinés et succulents pour ce prestigieux repas.
Quant à Claude Gamelin, jardinier de son état, il prépare le parc, ratisse les cailloux des allées, taille les rosiers et les roses fanées, nettoie la statue installée sur son socle au centre de l’allée bordée de superbes arbres menant au château.
C’est ainsi que le 13 septembre de l’an 1718 à la sortie de la Chapelle, tout le monde se dirige vers le Château qui ouvre ses portes aux mariés, à leur famille, et aux invités sans oublier le Prêtre, curé de Gagny.
En pénétrant par le vestibule, les dames avec leur belle robe à panier frôlent le sol au carrelage à damier noir et blanc, la double porte s’entrouvre vers les salles à manger et le salon. Les portes fenêtres laissent apercevoir la superbe marquise en rotonde recouverte de verdure bien taillée, par cette journée justement très ensoleillée.
- Le vestibule du château et son superbe sol carrelé en damiers
Tous se pressent pour fêter l’évènement et prendre un remontant pour apaiser les émotions !
Les invités peuvent alors admirer dans la salle à manger les murs décorés de pâtisserie [11], la grande cheminée en marbre blanc veiné sur laquelle repose une superbe pendule en bronze, de chaque côté un candélabre avec ses bougies. Au-dessus de la cheminée une grande glace entourée de moulure qui capte, par temps ensoleillé, la clarté et le reflet du parc arboré de grands et beaux arbres.
Les hôtes du jour peuvent également admirer sur un mur de la salle à manger la superbe tapisserie de la Manufacture Royale de Beauvais représentant une scène champêtre, et sa particularité de tissage : entourée d’une bordure de guirlandes de fleurs vraiment remarquables.
Dans chaque pièce se trouvent de majestueux lustres en bronze doré à pendeloques de cristal, avec coupelle pour supporter les bougies.
La grande table nappée de blanc est dressée, garnie de petits bouquets de roses. Les assiettes de faïence, les couverts et les verres disposés avec soin attendent les convives. Les serviettes pliées sont présentées sur les assiettes. La présentation des serviettes a été minutieusement choisit selon l’usage de l’époque, parmi les vingt sept façons de pliage inventées par les maîtres de cet art [12].
Les repas se déroulaient en plusieurs services successifs. Imaginons ce qui aurait pu être servi ce grand jour de mariage :
Menu [13]*****Consommé aux Xérès garni de quenelles*****Carpe à la MaréchalePâté d’anguilles en brioche*****Beignets de béatilles du couvent*****Sorbet à l’ananas et au rhum*****Langue de bœuf au concombreRôti de bécasses et de ramiersFilet de chapon à la princesse*****Granité à la Romaine*****Faisan à la broche et aux truffes*****EntremetsCéleris et cardons au poivre*****Gougères au Saint-GermainSorbet dans une croustade de gaufre*****Mille-feuillesUne pyramide de Fruits de saisonavecLes Prunes noires de GagnyLes pêches de Montreuil et de Villemomble
À volonté les pains de Gonesse plus blancs et plus fins, pétris par les forains du village du même nom qui les vendaient sur les marchés. Les béatilles [14], met très appréciées comportaient : crête de coq, riz de veau, cervelle d’agneau. Des dragées de Verdun sont placées sur la table, déposées dans de petites abaisses de sucre musqué et ambré. Le repas est accompagné de champagne et des vins choisis dans les caves du Châtelain de Maison-Blanche.
Après les agapes, les invités se promènent dans le parc. Le soir venu, après cette belle journée d’automne, ils peuvent accéder par le superbe escalier de bois cirés aux chambres du 1er étage ou celles du deuxième étage, certaines donnant vers le parc et les autres au-dessus du perron de l’entrée.
- Escalier en bois ciré montant dans les étages
Certaines chambres possèdent de très belles cheminées en marbre gris ou blanc, une autre de style gothique flamboyant [15] pour faire une petite chauffe à cette époque de l’automne, où les soirées tardives sont un peu fraîches.
D’autres reprennent leur calèche avec les chevaux restés maintenus à la borne près de l’entrée de la propriété [16].
- Borne servant à attacher les chevaux se trouvant de chaque côté du château
La vie de cette nouvelle Comtesse de Ségur avec son époux se déroulera simplement. La Comtesse sera reconnue de tous, épouse et mère exemplaire, elle donnait l’exemple d’un dévouement conjugal. Appelée « femme du monde », elle recevait dans ses salons, réceptions qui rivalisait avec les plus célèbres et les plus recherchées.
Philippe-Angelique de Froissy comtesse de Ségur mourut à l’âge de 85 ans le 15 octobre 1783 dans les écuries de Montseigneur le Duc d’Orléans (père du futur Philippe Egalité), rue de Provence à Paris. Selon certains écrits, les obsèques d’Angélique Froissy Comtesse de Ségur auraient eu lieu dans la Chapelle de la Vierge en l’église Saint-Eustache de Paris [17].
Elle avait été légitimée par le Régent, le 22 avril 1722 en même temps que son demi-frère Charles de Saint Albin, Archevêque de Cambrai.
De son union avec Henri François Comte de Ségur naquirent cinq enfants, dont trois décédèrent, comme cela se produisait souvent à cette époque :
- Une fille, Philippine-Charlotte née le 12 juillet 1719.
- Une fille, Henriette, Elizabeth née le 20 septembre1722.
- Le 20 janvier 1724 à Paris des jumeaux naquirent :
Une fille, Philippe-Angélique, qui ne survivra pas et un garçon le seul, Philippe, Henri Marquis de Ségur et dont la précoce valeur se mesura à coté de son père, aux batailles de Rocroy et de Lawfeld. Louis XVI, le nomma Ministre de la guerre et le conserva 7 années. - Puis, naîtra Henriette-Césarine de Ségur le 2 novembre 1726 et qui est décédée le 30 avril 1782. Elle avait épousé, Bertrand Gaich Baron de la Crozes, Chevalier de Saint louis
Le seul fils survivant de la famille de Ségur, Philippe Henri de Ségur devenu Maréchal de France, fut incarcéré durant la terreur à la prison de la force [18]. Il sera libéré en 1800 et se trouvant dans une très grande pauvreté, Napoléon 1er lui fit verser une pension. Il mourut en 1801 et fut enterré au cimetière du Père Lachaise.
Une précision : « La Comtesse de Ségur connue par ses écrits pour les enfants (bibliothèque rose) n’était pas Angélique, mais Sophie épouse d’ Eugène de Ségur qui était lui-même arrière petit-fils de Philippe-Henri de Ségur Maréchal de France.