Quand j’étais enfant, ma grand-mère, Marie Fourré Lebossé (1877-1968) me racontait des histoires de la Révolution. Elle avait été élevée par sa grand-mère Anastasie Fortin Lehérissé (1804-1885) qui lui avait transmis ce que ses parents, oncles et tantes lui avaient raconté de cette période trouble de notre histoire.
Elle me parlait en particulier de son grand oncle Daniel-René Fortin qui avait fait les guerres napoléoniennes, puis des histoires de chouanneries me montrant des greniers dans les fermes où l’on accédait par des trappes bien dissimulées et où les prêtres réfractaires continuaient à faire des messes ou à enseigner le catéchisme. Au risque de se faire mettre en prison ou devoir s’expatrier.
Pour appuyer ses dires, elle me montrait le testament par lequel le Lieutenant-colonel Fortin laissait ses biens à ses deux sœurs, dont son arrière grand-mère, Victoire Fortin Lehérissé. Puis me faisait remarquer une statuette de la Vierge qui ornait sa salle et qui avait un bras cassé. Lors d’une perquisition de la ferme familiale par des « bleus » (les républicains) cette statuette avait été jetée sur le tas de fumier, pendant que la famille avait été enfermée dans la grange avec menace d’y mettre le feu si elle ne donnait pas des informations sur les chouans.
Après le décès de ma grand-mère, j’ai découvert qu’elle m’avait laissé ce testament, cette statuette, et tous ces souvenirs me sont revenus en mémoire.
Nous avons la chance, en Mayenne, d’avoir un historien, l’abbé Angot [1], qui a écrit un dictionnaire de la Mayenne qui fait référence pour l’histoire des lieux et de familles. En effet j’y ai trouvé mention de ce Lieutenant-colonel et de trois frères Fortin, de St Loup-du-Gast condamnés pour chouannerie, mais sans que je puisse établir de lien de parenté car ils étaient dits nés à Chantrigné, mais impossible d’en trouver trace dans les registres paroissiaux.
C’est grâce aux archives de l’armée de terre à Vincennes que j’ai obtenu leurs dossiers militaires et m’apercevoir qu’ils étaient bien frères, nés à Charchigné et non Chantrigné. Ces trois lieux, avec St Loup, s’inscrivant dans un rayon de 15 km.
Après avoir quitté Charchigné, leur père François Fortin exploitait, avec sa femme Margueritte Mauguit, une petite ferme à St Loup du Gast et était marchand tanneur. Cette ferme, l’Anglécherie (Le nom de ce lieu viendrait de l’occupation anglaise), était un héritage de son épouse dont la famille était de petits notables comprenant notaires, curés, prêtres et marchands.
Ils avaient huit enfants, cinq garçons et trois filles et c’est leur histoire que j’ai cherché à reconstituer.
Daniel-René FORTIN, soldat sous la Révolution, le Directoire, l’Empire et la Royauté
Daniel-René Fortin est né à Charchigné (Mayenne) le 24 août 1772. C’était le 4e enfant et le 3e fils d’une famille de 8 enfants comportant 5 garçons et 3 filles.
Il venait d’avoir 17 ans quand le 12 octobre 1789, il s’engage comme simple soldat au 15e régiment d’infanterie à Laval. Nous ne saurons jamais quelles furent ses motivations, goût de l’aventure, enthousiasme pour les idées de la Révolution, opposition aux idées très conservatrices de sa famille, ou envie de se faire une situation, car étant le 3e fils, il ne pouvait espérer hériter des terres familiales.
En décembre 1791, il est nommé caporal dans le même régiment, puis passe dans la Légion du Nord et de la Vendée le 13 mars 1793, où il est classé brigadier fourrier le 15 mai suivant. Il est probable que l’instruction reçue de sa famille ainsi que la connaissance des chevaux acquise à la ferme facilitèrent cette promotion. Sa fonction consistait à s’occuper des écuries et du fourrage.
Le 15 ventôse An II (5 mars 1794), engagé dans la guerre de Vendée, il y fut blessé d’un coup de feu à l’épaule droite, sur les hauteurs de Chemillé. Remis de sa blessure, Daniel-René est ensuite affecté, le 30 mars 1794, au 16e régiment de dragons, rattaché à l’Armée de Sambre et Meuse en cours de formation. Ce régiment prestigieux avait été créé en 1718, sous le nom d’Orléans-cavalerie, sous l’autorité du Régent.
Apprécié, il eut des promotions rapides, maréchal des logis le 20 août, maréchal des logis chef le 8 décembre de la même année.
Pendant la campagne d’Allemagne, le 22 messidor an IV (10 juillet 1796), sous les ordres du général Jourdan, il est à la bataille de Friedberg, au nord de Francfort, contre les autrichiens. Il sauve la vie de son colonel Michel Bernard Leblanc, blessé, qui avait eu sa monture tuée sous lui, en lui donnant son cheval [2]. L’armée de Sambre et Meuse eut des chefs prestigieux, Jourdan, Kleber et Hoche. C’est ce dernier qui eut l’idée de créer des divisions de cavalerie regroupant hussards, chasseurs et dragons [3]. Ces derniers, pouvant combattre à pied et à cheval étaient jusqu’alors incorporés dans l’infanterie. Le 16e fut ensuite en garnison à Mayence (Mainz), cette ville qui avait épousé les idées de la République fit partie du département français de Mont-Tonnerre.
À partir de 1798, son régiment est affecté à l’armée d’Italie, et ses états de service indiquent qu’il fut à Rome, puis à Naples. En effet, le Directoire avait décidé d’accroître le territoire de favoriser l’émergence de « républiques sœurs » alliées à la France. Création d’une république cisalpine, et d’une république romaine, occupation du Piémont et de la Toscane.
En riposte une 2e coalition est chargée de contenir l’expansion française. La Grande Bretagne, la Russie et les Deux-Siciles doivent intervenir en Italie. Ces derniers s’emparent de Rome.
Le général Championnet prend la direction de l’Italie du sud, libère Rome et s’empare de Naples (23 janvier 1799) et crée une république parthénopéenne. Puis Championnet en désaccord avec le Directoire fut destitué et remplacé par le général Mac Donald qui prit la tête de l’armée de Naples.
Les russes du général Souvarov interviennent au nord de l’Italie, repousse le général Moreau, s’emparent de Milan le 28 avril et de Turin le 29 juin, l’obligeant à se réfugier dans la région de Gènes.
Le Directoire ordonne à l’armée de Naples de remonter au secours des troupes de Moreau et d’effectuer la jonction. Mais sur la rivière La Trebbia (à l’est de Gênes), Mac Donald se heurte à Souvarov et Moreau ne peut faire le rejoindre. L’armée de Naples sera défaite perdant 12 000 hommes [4]. Daniel-René Fortin y sera blessé d’un coup de feu à la tête et fait prisonnier le 17 juin 1799, le premier jour de la bataille. Tant qu’au colonel Leblanc, qu’il avait sauvé à la bataille de Friedberg, il sera tué et remplacé par Clément (de la Roncière). Une dissension entre autrichiens et russes conduisit ces dernier à se retirer de la coalition et à signer une paix séparée avec la république française, le 22 octobre. C’est certainement à cette époque que les prisonniers français furent libérés.
Le 21 avril 1800, Fortin est promu officier, au grade de sous-lieutenant.
Nous le retrouvons en Batavie, une des « républiques sœurs » comprenant une grande partie des Pays Bas. Il y est constitué une armée gallo-batave comportant 2 divisions françaises et une batave. La première, sous les ordres du général Duhesme, incorporait les 300 dragons du 16e régiment [5]. Cette armée sous les ordres d’Augereau intervint sur le Main et la Redniz à l’aile gauche des troupes du général Moreau pour contrer une offensive des autrichiens le 6 frimaire an VIII (27 novembre 1800). Elle se conclura par la défaite de l’ennemi et par la paix de Lunéville le 9 février 1801.
Dans le récit des batailles, le 16e dragons est cité à diverses reprises :
- Le général en chef ordonna à l’adjudant commandant Deverinne de passer avec le 98e et le 16e régiment de dragons, les deux bras du Main…
- L’ennemi paraissait vouloir le presser, il fut contenu par le général Treillard, qui le chargea plusieurs fois à la tête du 16e de dragons…
Cette armée sera supprimée le 23 octobre 1801. Nous n’en savons pas plus sur le nouveau rattachement du 16e, mais nous retrouvons le sous-lieutenant Fortin en garnison au camp de Compiègne. C’est sans doute à cette période qu’il fit un séjour à l’école vétérinaire d’Alfort pour apprendre puis enseigner l’hippiatrique, comme précisé dans ses états de service. En effet le manque de chevaux de qualité était un des points faibles da la cavalerie napoléonienne.
Ensuite, à partir de 1804, il est à Calais. Son régiment devait prendre sa part dans la création de l’Armée des Côtes de l’Océan. C’était un rassemblement de troupes, 200 000 hommes, que Napoléon avait formé en vue d’envahir l’Angleterre.
Mais, suite à la création de la troisième coalition (Angleterre, Autriche, Russie et Suède) le 29 aout 1805, cette armée devient la « Grande Armée » et fait mouvement à marche forcée (40km par jour) pour entreprendre la campagne d’Allemagne.
Le régiment est affecté au 4e corps d’armée du maréchal Soult, 3e division de dragons, 2e brigade du général Scalforf et participe à la victoire d’Austerlitz, le 2 décembre 1805. Soult avait parachevé la victoire en coupant la route aux 20 000 soldats russes en retraite.
Presqu’un an après, Le 14 octobre 1806, c’est la bataille d’Iéna contre les prussiens. Cette fois le régiment est affecté à la réserve de cavalerie du maréchal Murat, division du général Beaumont, brigade du général Marizy. Les cavaliers de Murat avaient pour mission de poursuivre les prussiens dans leur retraite. A l’entrée de Weimar ils rattrapent l’artillerie prussienne, seule la reine de Prusse leur échappe car excellente cavalière et plus légère.
Au combat de Prentzlow, le 28 octobre, qui suivit cette victoire, Murat captura le reste de l’armée prussienne (16 000 hommes, 6 régiments de cavalerie, 60 canons)
Fortin raconte « C’est à moi que le prince Auguste de Prusse remit son épée, mais un officier [6] du 13e dragon, qui n’avait été que spectateur sut s’en attribuer les mérites et reçut la croix ». Murat dira de cette bataille « La plus belle charge que j’ai jamais vue ».
Sa bravoure dut être appréciée car le 8 décembre il est promu lieutenant.
Le 28 décembre 1806, il est à Pulstusk où dans la boue et sous une tempête de neige, l’encerclement de l’armée russe échoue.
Puis ce fut la campagne de Pologne. Le 8 février 1807, il est à Eylau contre les prussiens et les russes. Le 10 juin c’est la bataille d’Heilsberg entre Napoléon et l’armée russe de Bennigstein. Son régiment est sous les ordres du colonel Sébastien Viala de la division de Milhaud et de l’armée du prince Murat, qui subit de lourdes pertes, ce que lui reprocha le général Savary "Il aurait mieux valu qu’il (Murat) eu moins de courage mais plus de sens commun" [7].
Il ne participa pas, quatre jours plus tard, à la victoire de Friedland, où les russes défaits, capitulent et abandonnent leurs possessions de Pologne.
Le 1er Octobre 1807, le lieutenant Fortin fut décoré chevalier de la légion d’honneur [8], pour sa belle conduite à Pultusk où le tiers de sa brigade avait été décimée et, le 16 septembre 1808, il est promu adjudant-major.
En 1808, le 16e dragons est dirigé vers l’Espagne et le Portugal. Cette guerre fut déclenchée, avec l’accord de l’Espagne pour punir le Portugal d’être l’alliée de l’Angleterre. Mais des dissensions à la tête du royaume d’Espagne conduisirent Napoléon à détrôner le souverain en place pour tenter d’imposer son frère Joseph, provoquant la révolte du peuple.
C’est grâce à l’histoire du régiment [9] que nous pouvons reconstituer son parcours dans cette guerre chaotique.
En 1809 sous les ordres du général Soult :
Le 22 juillet, il combat au pont d’Arzobispo où il surprend l’arrière garde espagnole.
Le 28 juillet, il est engagé contre les troupes anglaises à Talavera. Les français du général Victor subissent de lourdes pertes.
Le 19 novembre, c’est la bataille d’Ocana contre l’armée espagnole qui perdra 19 000 hommes à cause de la brillante utilisation de la cavalerie française. Mais le colonel Viala, qui commandait le régiment, succombera à ses blessures après avoir mené plusieurs charges. Il sera remplacé par le colonel Grouvel.
Début 1810, les français ayant décidé de conquérir l’Andalousie, pénètrent dans la Sierra Morena, le 28 janvier sous les ordres du général Sébastiani le régiment participe à la victoire d’Alcala la Real et le 31 il est aux portes de Malaga qui se rend le 5 février. Le régiment y établit sa garnison.
Fortin obtint le rang de capitaine, à titre provisoire, le 16 mars 1810.
Puis, la situation en Espagne se dégradant, Joseph Napoléon donne, en août 1812, l’ordre à Soult d’évacuer l’Andalousie. Le régiment doit assurer l’arrière garde de l’armée soumise aux attaques incessantes des partisans.
En janvier 1813, Soult est rappelé par Napoléon dont la campagne de Russie est un echec. En Espagne cette année là, l’hiver est très dur, de plus l’armée est encombrée par l’important butin que les généraux ont accumulé, en particulier Soult qui avait rêvé de se faire nommer roi du Portugal.
Le 17 mai, Fortin est confirmé comme capitaine titulaire, puis le 21 juin, il est nommé chef d’escadron. Un escadron est composé de 100 à 150 cavaliers. Le régiment, comportant de 2 à 4 escadrons, est commandé par un colonel.
Ce même jour, les troupes françaises furent défaites à Vittoria (au sud- est de Bilbao) par celles du duc de Wellington. Cette date marque la fin de la campagne d’Espagne et le retrait en France pour assurer la défense du Sud-ouest.
Tant qu’au 16e, il avait quitté le sud-ouest pour rejoindre, à marche forcée le nord-est de la France et être incorporé dans la Grande Armée chargée d’assurer la défense de la France. Pendant la retraite, le 19 janvier 1814, le nouveau chef d’escadron sauva son régiment surpris par les cosaques dans la ville d’Hervé au pays de Liège, mais fut blessé de 2 coups de lance au bras et à la jambe droite.
La campagne de France, se fit sous les ordres du Maréchal Oudinot. Le 17 février, Napoléon prit le commandement, c’est la victoire à Mormant contre les russes et les bavarois, qui perdirent 5000 hommes, les dragons venus d’Espagne y prenant une part active. Elle fut suivie de combats victorieux à Valjouan mais le général Victor fit arrêter ses troupes épuisées, alors que l’empereur lui avait demandé de poursuivre jusqu’à Montereau. Il sera privé de commandement. Ensuite, le 27 février, le 16e est engagé à Bar-sur-Aube, son dernier combat avant l’abdication de l’empereur.
Par décret du 12 mars 1814 de la 1re Restauration, il n’est conservé que 15 régiments de dragons, Les 5 premiers sont transformés en chevau-légers, Le 16e prend le numéro 11. Il ne conservera ce numéro que 10 mois.
Le 1er mars 1815, Napoléon quitte l’ile d’Elbe. Le 20 mars, il entre dans la capitale, mais les alliés reprennent les hostilités. Il faut réorganiser l’armée. Le 16e régiment de dragons reprend son ancien numéro.
Pendant les « Cent jours », le 15 juin 1815, il participe à la dernière victoire de Napoléon sous les ordres du Maréchal Grouchy, il est affecté au IVe corps d’armée dirigé par général Maurice-Etienne Gérard, 6e division de cavalerie (général Antoine Maurin qui sera blessé pendant la bataille) et retrouve comme commandant la 2e Brigade, le général Berruyer.
Comme plus ancien chef d’escadron, en l’absence de son colonel, Fortin eut l’honneur de commander le 16e Dragon qui comportait 326 hommes répartis en 4 escadrons. En termes de force morale, les régiments du général Gérard étaient les meilleurs après ceux de la garde impériale [10] . Les dragons harcelèrent les prussiens et participèrent grandement à la victoire, mais Napoléon perdit dans tous ces combats 9600 hommes et surtout s’il enfonça les prussiens, il ne les anéantit pas et cela influera sur le résultat de la bataille de Waterloo.
Napoléon avait confié au maréchal Grouchy la mission de poursuivre et d’anéantir les troupes prussiennes défaites à Ligny. Mais, (voulant laisser ses troupes se reposer), voulant attendre le réveil de l’Empereur, le 17 au matin, pour avoir confirmation de cet ordre il ne s’engagea que tardivement dans cette poursuite en direction de Namur et rattrapant l’arrière garde de l’ennemi, il n’a pas vu que les gros des troupes de Blücher, s’étaient mises à couvert et revenaient vers Waterloo.
Entendant le bruit du canon, vers Waterloo, le général Gérard voulait faire demi-tour mais Grouchy ne voulut pas déroger à l’ordre de l’empereur. Ce n’est que tardivement qu’une estafette réussit à le rejoindre, lui apportant un contre-ordre de Soult, chef d’état major de Napoléon.
Et comme dit Victor Hugo dans un poème, L’expiation :
Waterloo, Waterloo, Waterloo, morne plaineSoudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C’était Blücher.L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme.
Les 34 000 hommes du maréchal Grouchy ne furent donc engagées que tardivement dans la bataille et ne purent apporter une contribution décisive, hormis pour protéger la retraite du reste de l’armée. C’est toujours à la tête du 16e que Fortin y participa [11], mais cette fois, ce fut la défaite de Waterloo.
Son régiment fut dissous le 15 juin 1815, après la seconde abdication de l’empereur, Il fut licencié et rentra dans ses foyers à Saint-Loup-du-Gast le 16 décembre 1815, classé en non-activité mais avec traitement. Ses exploits militaires étaient terminés mais pas sa carrière.
Grâce à une attestation du major commandant le 16e régiment de dragons :
« Mr le chef d’escadron Fortin est très bon officier supérieur, a de l’instruction, a été à l’école d’Alfort, peut enseigner l’hippiatrique, qu’il est très bon militaire, plein d’activité et de zèle, très soumis envers ses chefs. S.M. LOUIS le Désiré aura un très bon serviteur en cet officier qui est dans le cas d’être utile à l’État », contresigné par le vicomte de Briche, lieutenant général commandant la 9e division, il fut affecté en janvier 1817 au régiment de dragons de la Seine en tant que chef d’escadron de complément.
Fin 1822, venant d’avoir 50 ans, souffrant de ses blessures de guerre, après 33 ans de service ininterrompu sous 3 régimes, 23 campagnes, 4 blessures, il fit valoir ses droits à la retraite. Celle ci lui fut accordée au taux plein de 1800 Francs par an, il fut décoré de la croix de St Louis et, à titre exceptionnel car il n’avait pas dix ans dans le grade de chef d’escadron, il fut promu à titre honorifique au grade de lieutenant colonel.
- Les états de service de Fortin
Devenu conseiller municipal de Mayenne, resté célibataire, il rédigea son testament le 1er juin 1844 par lequel il léguait ses biens à sa sœur Victoire Fortin veuve Lehérissé, sous réserve de legs particuliers :
- À sa sœur Marguerite Fortin veuve Herblin, une somme de 3000 francs.
- À sa gouvernante Marie Anne Thivet, une rente viagère de 300 francs par an, mobilier, linge, vaisselle, ustensiles de cuisine et 150 bouteilles de vin rouge et blanc.
- À un ami, M° Armoudier fils, sa cave à liqueurs et trois paires de boutons de manchette en or.
- Aux pauvres de St Loup-du-Gast, le montant des arrérages de 6 mois de loyer de sa closerie de l’Anglaicherie.
Il décéda à Paris le 19 septembre 1845, âgé de 73 ans, fut inhumé au cimetière du Montparnasse, si ses volontés furent respectées, « dans la plus grande simplicité, sans déranger personne, ni ne me faire rendre les honneurs militaires » et ses legs furent délivrés le 25 octobre 1845 par M° Bernard, notaire à Ambrières.
Sa sœur Victoire n’en profita guère, car elle décéda le 26 décembre 1845, alors que Marguerite lui survécu cinq ans.
Les frères FORTIN, chouans
Nous ne savons comment la famille accueillit l’engagement de Daniel René dans l’armée révolutionnaire, mais le contexte local et familial nous permet de l’imaginer.
Les plaintes de St Loup-du-Gast, rédigées en 1789 portent sur la gabelle « l’abus des abus », l’injuste répartition des tailles, les francs-fiefs qui ruinent les propriétaires qui y sont soumis (un tiers des fonds de la paroisse y sont soumis. Aussi l’abolition des privilèges fut certainement appréciée. Mais c’est le décret du 27 novembre 1790 sur le serment des prêtres à la Constitution et son application, qui déclencha l’hostilité vis-à-vis de la Révolution, d’autant que nombre de familles avait un membre du clergé dans leur parenté. Aussi, en juillet 1792, après avoir chassé l’intrus, les paroissiens se réunissaient à l’église, écoutaient l’évangile et chantaient des chants religieux.
Dans la famille du coté paternel, un des frères de François FORTIN, René-Jacques, curé de Montreuil, prêta un serment restrictif le 27 février 1791 et l’intrus nommé n’osant paraître il continua d’administrer la paroisse jusqu’en juillet 1792. Sur dénonciation de la municipalité, il fut incarcéré à la prison de la Patience à Laval, le 14 octobre, puis transféré à Rambouillet. Relâché en février 1794 (il avait 70 ans), il reprit son ministère, se tenant caché avec son vicaire. Le département, en février 1798, ordonna de faire des perquisitions, sans succès « tous le pays les cache ». Au concordat, il reprit sa cure. Un autre frère, Pierre-Aignan était aussi prêtre.
Du coté de l’épouse Margueritte MAUGUIT, elle descendait d’une famille des notables de St Loup-du-Gast (Notaires, prêtres et marchands). Son frère René était curé de Beaulieu, un bourg de 800 habitants, où ses oncles s’étaient succédé depuis 1729. Il refusa de prêter tout serment et officia jusqu’en avril 1792. Il fut déporté à Jersey où il mourut en août 1794, laissant sa fortune aux pauvres de sa paroisse. Aucun intrus n’osera se présenter à Beaulieu.
Dans cette ambiance, on comprend mieux pourquoi trois des frères de Daniel-René, François dit Nul-ne-s’y-frotte (°1768), Jean Baptiste dit Mathieu (°1770) et René-Jérémie dit du Bois (°1773) rejoignirent Robert-Julien Billard de Vaux dit Alexandre, né à Ambrières, et furent les premiers chefs de l’insurrection royaliste dans l’arrondissement de Mayenne.
Nous trouvons trace de leurs exploits dans les mémoires du comte de Frotté, chef de l’insurrection normande, et dans les mémoires de Billard de Veaux
[12]. Celui-ci fut un des plus valeureux commandant du comte de Frotté, accomplissant des coups de main d’une grande audace. Mais en ce qui concerne ses mémoires, elles sont sujettes à caution. En effet après le retour de la royauté, il ne s’estima pas récompensé à la hauteur de ses mérites et complota contre Louis XVIII, en faveur du comte d’Artois. Pour mieux se faire valoir, ses mémoires, qu’il chercha à vendre en 1830 à la dynastie de Juillet, sont truffées d’insinuations perfides contre ses chefs et ses camarades qui avaient été mieux traités que lui.
Leur première action fut, en mars 1793, de se rendre à Mayenne où avait lieu le tirage au sort des conscrits, suite à la décision de la Convention, par décret du 24 février, de lever 300.000 hommes, de les soulever et de forcer les officiers publics à se retirer. Ils recommencèrent à St Fraimbault. Ils furent inculpés par le tribunal de Mayenne, et jugés par contumace, sous les motifs suivants :
- Pour avoir empêché le vendredi précédent, le tirage à Mayenne.
- Pour avoir, sur la place publique, donné un soufflet à un fonctionnaire public haranguant en faveur de la république.
- Pour avoir le dimanche suivant, 3 mars, fait sauter tous les officiers municipaux de la paroisse de St Fraimbault-de-Prières par-dessus une table, après s’être saisi de l’écharpe du maire et l’avoir déchirée : crime de lèse majesté.
Condamnés à mort, le 20 juillet 1793, ils allèrent rejoindre les Vendéens, firent toute la campagne d’Outre-Loire jusqu’au Mans et vinrent se réfugier au moulin du Gué-de-Loré, fomentant la révolte dans ce canton. Frotté les nomma capitaines dans la division d’Ambrières, qui forte de près de 1000 hommes, étendait son action sur Domfront, Pré-en-Pail, Gorron, Mayenne...
Rappelons qu’à la même période, leur frère Daniel-René combattait aussi en Vendée, mais dans les troupes républicaines. Bel argument pour construire un roman..
Deux des frères, François et Jean-Baptiste, furent pris et incarcérés à Mayenne et demandèrent leur grâce à Boursault-Malherbe, représentant de la Convention, le 11 novembre 1794. Pour échapper à la mort, ils durent s’enrôler dans les armées républicaines, embarqués sur un bateau corsaire, ils furent pris par les Anglais à l’embouchure de la Loire, en mars 1798, et emmenés à Porchester. Frotté intervint en avril 1799, auprès du gouvernement anglais pour faire adoucir leur captivité et les faire libérer.
Dans une note [13] qu’il écrivit avant de quitter l’Angleterre le 23 septembre 1799, de Frotté « recommande les deux frères FORTIN de St Loup près Mayenne qui ont fait la guerre sous ses ordres (et présentement prisonniers sur les pontons d’Angleterre) comme officiers et y ont perdu un troisième frère. Ils voulaient émigrer pour se soustraire, eux et leur famille, aux persécutions de nos ennemis ; ils furent capturés au sortir de la rivière de Nantes en mars 1798 et depuis ce temps, ils sont restés prisonniers au château de Porchester ».
Après la pacification de 1796, René-Jérémie, qui avait épousé Pélagie Lemaire de Boisguérin, une cousine de Billard de Veaux originaire de la Ferté Macé, fut arrêté, emprisonné à Alençon par mesure de sûreté publique. Après un an de détention il fut conduit à l’échafaud.
En 1815, les 2 frères demandèrent au nouveau régime la confirmation de leur grade de capitaine.
François René, en particulier, s’agita beaucoup pour tirer avantages de ses actions. Dans ses états de service il est précisé qu’il est entré au service de l’Armée royale vendéenne le 1er mars 1793 et y avait fait campagne jusqu’à son incorporation, le 4 janvier 1795, dans l’armée royale de Basse Normandie ou il servit en 1795 et 1796. Il fut déporté après le 18 fructidor an V. Il fut nommé chevalier de l’ordre royal de la Légion d’honneur, le 22 août 1821. Il obtint également un poste de percepteur à Ambrières.
Pour son inscription dans l’ordre de la légion d’honneur, il obtint du tribunal de Mayenne son changement de nom : « Que le nom de Moulinière est joint à son nom Fortin, seulement après son mariage avec Mlle Moulinière, son épouse, pour le distinguer de ses frères et autres famille ».
Il mourut à Laval en 1823, il avait 55 ans.
Jean-Baptiste, qui avait reçu plusieurs blessures, retourna à la charrue à St Loup-du-Gast et reçut une pension de 200 Fr., sous la Restauration. Il mourut, célibataire, à St Loup, en 1824. Il avait 54 ans.
Un autre frère Victor, trop jeune pour participer à ces événements est mort prêtre et aumônier à Château-Gontier.
C’est donc leur frère Daniel-René, qui avait parcouru l’Europe et connu tous les risques de la guerre, qui vécut le plus longtemps puisqu’il s’éteignit à 73 ans.
Pour conclure :
Pendant plus d’un siècle, cette période a marqué les habitants de la région. En 1900, ma grand-mère fut courtisée par un jeune homme de Mayenne, mais ses parents refusèrent car il était d’une famille de républicains notoires.
En 1906 lors de l’inventaire des églises, suite à la loi sur la séparation de l’Église et de l’État, des paroissiens de St Loup s’étaient barricadés dans leur église, refusant d’en permettre l’entrée aux agents du fisc. Il fut fait appel à la troupe, le 130e R.I. de Mayenne, qui reçut détritus et seaux de purin. Mon grand-père maternel y participa comme soldat. Un grand oncle de ma branche paternelle était dans le clocher !