Lieu situé sur la paroisse de Saint-Denis-en-Val, Luminart (ou Luminard, aujourd’hui Lumina) fut occupé longtemps par Mengin, frère d’Isabelle "Romée" et son épouse.
Ils n’eurent pas d’enfants.
Luminart était attenant au domaine du Mont, ayant appartenu à Antoine de Brunet, époux de Marguerite du Lys, fille de Jehan d’Arc/duLys et donc nièce de la Pucelle, les deux sites étant repris plus tard par les seigneurs de l’Ile, lieu situé tout près de là.
Il semble certain que cette propriété ait appartenu en propre à Mengin de Vouthon, grand-oncle de Jehan du Lys, comme frère de sa grand’mère Isabelle.
Vente de Luminart :
Le 6 septembre 1460, Mengin vend Luminart pour 10 livres tournois, somme assez modeste [1], à un Orléanais nommé Jehan de Thamenay. Vu la relative modicité de la somme, il est probable que la propriété en question n’était pas importante. Sans doute l’acheteur voulait-il faire un investissement pour l’avenir, et/ou faire plaisir à des parents de La Pucelle qui étaient peut-être démunis.
L’acte de vente est assez complet :
"Mengin de Voton (sic), natif de Voton en Lorraine, oncle de feu Jehanne la Pucelle, de présent demourant en la parroisse Sainct-Denys-en-Vaulx, lequel tant pour luy en son nom, comme pour et au nom de Guillemette, sa femme, et promectant la faire consentir et obliger si toust que requis en sera... et par ces présentes vend, cedde, transporte et du tout délaisse, dès maintenant pour tousioursmès, à Jehan de Thamenay, demourant à Orliens, en la parroisse Sainct-Donnacian (Saint-Donatien), ad ce présent et acceptant les héritaiges qui s’ensuivent."
La propriété était aux deux noms de Mengin et Guillemette, mais celle-ci semble ne pas être présente au moment de la vente.
L’acte se poursuit, donnant la description des lieux :
"C’est assavoir ung petit lieu ou a logeis (où il y a un logis), petite grange, vergier, bois, aisances et appartenances audit lieu,...ou de présent demourent lesdiz Mengin et sadicte femme, assis au lieu de Luminart, en la parroisse Sainct-Denys-en-Vaulx, tenant d’une part au chemin allant dudit lieu de Luminart à Jarguau (Jargeau), d’autre part à une noé nommée la noé à Lalemande, d’autre part à la turcie de la rivière de Loyre ; icellui lieu contenant environ arpent et demi d’éritaige."
Après l’endroit où s’élève la maison, on décrit les dépendances. On y apprend les noms des voisins :
"Item, une pièce de bois contenant environ trois quartiers, qui fust à Guillot Fermain, tenant à ladicte noé à Lalemande, d’une part, ung foussé (fossé) entre deux, d’autre part au long du champ de Sainct-Euvertre, par ung bout au talu de ladicte rivière."
Et encore quelques terres, situées un peu plus loin, non attenant au reste :
"Item, ung arpent de terre, ou environ, assis au lieu des Plantes, tenant à Jaquet Pastault, d’une part, et à Pierre Charpentier de deux aultres parts."
Dans la suite, il est bien précisé que Mengin avait acquit la propriété "de son conquest", c’est-à-dire de ses propres deniers, à un cordonnier :
"Iceulx héritaiges mouvans du conquest dudit vendeur, par luy faict de Denys Janvier, cordoannier, comme il disoit ; chargez iceulx héritaiges des cens et charges foncières qu’ilz pèvent (peuvent) devoir..."
Pour l’anecdote, le mot "cordonnier" vient de la ville de Cordoue, en Espagne, de laquelle on importait un cuir réputé pour sa qualité. Les gens qui travaillaient ce cuir étaient dits alors : cordouaniers, ce qui a donné, par mutation ou déformation dans le temps, des patronymes tels que : Corvisier, Courvoisier, Crovisier, Corvizart, et autres, comme Corviset, nom de jeune fille de Catherine, épouse de Jacquemin d’Arc, frère aîné de Jehanne. On indique alors le prix de la vente :
"Ceste vente faicte pour la somme de dix livres tournoys monnoye courant à présent, que icellui vendeur a confessé en avoir pour ce eue et receue dudit achapteur et dont icellui vendeur s’est tenu contant et bien païé, et en quicte et clame quicte ledit achapteur..."
Reprise du lieu par Mengin à titre de locataire :
Bizarrement, par un autre acte daté du même jour, Mengin de Vouthon reprend à titre de locataire, le petit domaine qu’il vient de vendre à Jehan de Thamenay.
Quelle en est la raison ? Il est possible que Mengin et son épouse, obérés et ne pouvant plus entretenir la maison, aient préféré la transférer à cet Orléanais qui, peut-être par déférence à ce couple âgé, leur loue pour un loyer annuel très raisonnable.
C’est un bail à vie, jusqu’au trépas de Mengin et Guillemette :
"Ledit Mengin de Voton confesse avoir pris à tiltre de loage (louage, location), ferme ou pencion, dudit Jehan de Thamenay, qui a conféssé luy avoir baillé audit tiltre de ferme ou pencion, lesdits héritaiges dessus déclarez, du jourd’huy, jusques durant le plain cours des vies desdiz de Voton et sadicte femme, et jusqu’au trépas du survivant et derrenier de vie d’eulx deux..."
On précise le loyer et le terme :
"...pour la somme de six solz parisis par an, icelles vies durans, païables par chascun an par icellui Mengin audit Jehan de Thamenay et au terme de la feste de Toussains ; le premier paiement commençans de la feste de Toussains prouchaine venans, en ung an."
Le couple devra veiller à maintenir le lieu en bon état, le nouveau propriétaire, lui, s’engageant à faire refaire les toitures :
"Et par ce bail faisant, seront tenuz iceulx mariez de mectre, tenir, sous-tenir et maintenir iceulx héritaiges, tant de couverture, cheminée, charpenterie, comme autrement en bon estat et convenable, moyennant que icellui Thamenay a promis de faire couvrir lesdictes maison et grange, dedens Karesme prenant prouchainement venant. Et à la fin dudit temps, les lesser en bon et souffisant estat."
Et enfin, bien sûr, les charges et impôts restent à payer par Mengin :
"Et aussy paieront du leur iceulx preneurs, pour et au nom dudit achapteur, les cens et charges foncières avec toutes tailles de guerre, de puis (puits), de turcie, de rivière et aultres charges et subvencions qui seront mises et imposées sur iceulx héritaiges le temps desdictes vies durant.
Promectans et obligeans par foy de chascune partie, consentans...."
Mengin et Guillemette eurent ainsi une rentrée d’argent qui dut bien leur convenir, car ils ne semblent pas avoir été bien riches. La maison et la grange reçurent un nouveau toit.
Dans ce contrat de location, tout se passe comme si Jehan de Thamenay, qui était peut-être un proche ou un ami du couple, avait voulu qu’ils restent tous deux sur place.
Le couple n’ayant pas eu d’héritiers, il a dû récupérer la maison après leurs morts.
Plus tard, Luminart sera incorporé au domaine de l’Ile, tout près de là, tenu par la famille Groslot.
(*) Le prix de la vente, 10 livres tournois, représente le prix d’un mouton, ou l’équivalent de deux mois de solde d’un archer anglais, au temps du siège d’Orléans.
Le loyer est de 6 sols parisis par an. Cela représente environ 3 mines de blé, soit environ 75 kilos.
Mengin de Vouthon :
Mengin de Vouthon était l’un des frères d’Isabelle Romée. Leur nom de famille était : de Vouthon, car ils étaient issus du village portant ce nom.
Le qualificatif "Romée" fut donné à Isabelle, suite à un pèlerinage au Puy-en-Velay, qui comptant comme un voyage à Rome, cette ville étant trop lointaine, en Italie, et les gens n’ayant pas tous les moyens financiers pour s’y rendre.
C’était donc "celle qui s’était rendue à Rome". En Alsace, par exemple, le même phénomène s’est produit avec le patronyme Rohmer, qui procède de la même origine.
Le père de famille se prénommait Jehan ; on ignore le nom de la mère.
Ce couple eut 5 enfants :
- Isabelle de Vouthon, née entre 1380 et 1387, et qui épousera vers 1400 Jacques d’Arc. Ce sont les parents de Jehanne la Pucelle. Elle décède le 28 ou le 29 novembre 1458 à Orléans ou Sandillon, village voisin.
- Jehan de Vouthon, couvreur à Sermaize (près de Bar-le-Duc), décédé vers 1446. Il épousera Marguerite Colnel.
- Aveline de Vouthon, qui épousera avant 1410 Jehan le Vauseul.
- Mengin de Vouthon, décédé après septembre 1460, probablement à Saint-Denis-en-Val, où il résidait au lieu dit Luminard. On ne connaît que le prénom de sa femme : Guillemette.
- Henri de Vouthon, qui fut curé de Sermaize.
On sait qu’Isabelle "Romée" arriva à Orléans en 1440, accompagnée de son fils, Pierre, et de sa petite-fille Marguerite, fille de Jehan, autre fils.
On ignore par contre quand sont arrivés dans la région orléanaise Mengin de Vouthon et son épouse Guillemette.
Sans doute Mengin et sa femme ont-ils d’abord résidé dans la ville d’Orléans, la famille sur place les hébergeant peut-être quelques temps. Ensuite, ils achetèrent la métairie de Luminart (Luminard, aujourd’hui Lumina) à ce cordonnier d’Orléans, et vécurent là plusieurs années, avant de la vendre, mais en restant sur place en tant que locataires, et ce jusqu’à leur mort, comme le précise l’acte.
Ils n’eurent pas d’enfants.
Autre mention de Luminard :
Pierre d’Arc/du Lys (frère de Jehanne) avait des fiefs dans l’Orléanais.
Mais, à la fin de sa vie, "messire Pierre" semble avoir habité la propriété de Luminart, en la paroisse de Saint-Denis-en-Val, limitrophe de Sandillon.
Dans l’enquête de 1502 concernant la succession de Jehan du Lis, fils unique de Pierre (frère de Jehanne), l’un des petite-neveux de celui-ci, "noble homme Claude du Lis", alors âgé d’environ cinquante ans, déclare "avoir demouré, en son jeune âge, avec feu Pierre du Lis, oncle à sa mère, et avec dame Jehanne (Baudot) sa femme, "au lieu de Luminart, près Orliens", environ le temps et espace de cinq ans."
Deux passages de cette enquête :
"Noble homme Claude du Lys, demourant audit Domrémy-sur-Meuse, aagé d’environ cinquante ans, a dit, affermé, et attesté, sous sa loyaulté et conscience, que en son jeusne aaige, peut avoir environ vingt quatre ans, il demoura avec ledit feu Pierre du Lis, oncle à sa mère, fille de Jacquemin du Lys, grand-père dudit attestant, au lieu de Luminart, près d’Orliens, environ le temps et espace de cinq ans..."
"...Que sa mère estoit fille de Jacquemin du Lis, grand-père de luy, attestant ; que feu Pierre du Lis [frère dudit Jacquemin] estoit oncle de sa mère, et que lui-même, Claude, en son jeune aaige, peut avoir environ vingt-quatre ans, avoit demouré, le temps d’environ cinq ans, avec le sieur Pierre du Lis et dame Jehanne, sa femme, au lieu de Liminart, près d’Orliens."
Luminart a été habité par Mengin de Vouthon, on l’a vu, jusqu’après 1460. Sans doute Mengin et son épouse Guillemette sont-ils décédés dans ces moments-là.
Claude du Lis, né vers 1450, aurait donc séjourné à Luminart, venant de Lorraine, chez son grand-oncle Pierre du Lys, environ de 1462 à 1467, soit de l’âge de 12 ou 13 ans jusqu’à celui de 17 ou 18 ans.
Jehan du Lys, fils de Pierre, résidant alors certainement à Bagneaux, commune de Sandillon, dont il exploitait la métairie. Il était aussi seigneur de l’Ile-aux-Boeufs, sur la Loire, qu’il sous-louait aux bouchers d’Orléans pour la pâture, et seigneur de Villiers-Charbonneau, commune d’Ardon, où se trouvaient plusieurs métairies.
Pierre du Lys s’était certainenemt retiré à Luminart, avec son épouse, après les décès de Mengin et de sa femme, et laissé son fils Jehan gérer ses affaires.
Mais comment Pierre du Lys avait-il acquit Luminart ?
Nb : outre l’Ile-aux-Boeufs, Bagneaux et Villiers-Charbonneau, Jehan avait d’autres fiefs, tels que l’étang de la Couaspelière (à Menestreau-en-Villette), un étang sur La Ferté-Abert (La Ferté-Saint-Aubin), et, à Sandillon, des vignes et une maison et aussi, à Orléans, une petite maison dans la rue des Africains, au quartier de Saint-Pierre-le-Puellier.
Réf. :
- Minutes de Jehan Petit, notaire au Châtelet d’Orléans en 1460. Etude de Me.Regnault, notaire à Orléans, successeur de Jehan Petit et dépositaire de ses minutes.
- Médiathèque Orléans - Bull.SAHO.