Introduction
L’Anglais qui a blessé Jehanne d’Arc !....
Depuis octobre 1428, la ville d’Orléans était assiégée par l’armée anglo-normande, dont les soldats occupaient les bastilles réparties autour de la cité. Une garnison importante était stationnée au fort des "Tournelles" (ou Tourelles), bloquant ainsi le pont sur la Loire, dont la rive sud permettait de rejoindre facilement la Sologne et le Berry.
Lors de la reprise de ce fortin le 7 mai 1429, on sait que Jehanne fut blessée au-dessus du sein, d’une flèche décochée par un archer anglais. Sans doute cet archer restera-t-il toujours un illustre inconnu, mais pourquoi ne serait-ce pas, après tout, l’un des archers de la troupe ci-après ? John Craber, Gieff Morgan, ou John "Dessus-la-Mer"... possible !
Ces hommes combattaient comme archers et homme d’armes dans la compagnie du capitaine anglais Thomas GYFFARD, à l’époque du siège et de la délivrance d’Orléans, dont Jehanne fut l’inspiratrice, sinon l’héroïne.
On trouve bien d’autres troupes de ce genre dans les chroniques, mais celle de cet écuyer anglais, venu combattre en France, et se trouvant ainsi mêlé à cette tourmente historique, nous a semblé relever d’intéressantes caractéristiques.
Pour des raisons d’effectifs et de paye, les soldats étaient recensés à peu près chaque mois, et l’on a ainsi un "flash" de ce groupe (on disait alors : une montre, sorte de revue militaire) d’une quarantaine de combattants, effectif moyen des compagnies, lors de trois dates : le 23 décembre 1428 (deux mois après le début du siège), le 25 janvier 1429 (à peu près au milieu) et le 9 mars 1429, avant l’arrivée de Jehanne elle-même sur le théâtre d’opérations. Sur cette base, nous allons pouvoir étudier un peu cette troupe.
Ce n’est pas un travail d’historien... je n’en ai pas la prétention ! Mais simplement le résultat de recherches dont l’intérêt s’est manifesté lorsque j’étais encore très jeune.
En effet, bien que j’aie des racines alsaciennes depuis l’an 1500, les aléas et fortunes des guerres ont fait que j’ai vu le jour à Orléans, dans la rue Saint-Paul, face à Notre-Dame-des-Miracles où Jehanne venait prier, et à deux pas de la maison de Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans, qui fut l’hôte de la Pucelle durant son séjour.
L’épouse du trésorier se nommait LHUILLIER, et le frère de celle-ci reçut de l’argent du duc pour la confection d’une huque pour Jehanne. Des ascendants LHUILLIER jalonnent ma généalogie, et il me plairait de penser que certains de mes ancêtres faisaient partie de la famille de ce Jacques "L’HUILLIER", qui a vu la Pucelle d’assez près, pour lui prendre ses mesures afin de lui fabriquer ce vêtement. Cela serait un grand plaisir.
Mais revenons à cette troupe anglaise stationnée aux Tourelles du pont d’Orléans.
Troupes du capitaine anglais Thomas GYFFARD
Thomas était un écuyer anglais. Nous avons les noms de ses hommes.
Les hommes d’armes :
- Gybard (Gilbard) GYFFARD (GIFFARD)
- John (Jehan) PARKY (STARQUIN)
- Richard BULBLEY (VOLKLEY, BETHELEY)
- John (Jehan) PESE (CESSE)
- John (Jehan) WETELEY (WETHELEY)
- John HYLLYING (HILVING)
- Will (Welim) SCADELEY (STADLER)
- John (Jehan) SKYRMOTTE (SKYRMONT, SKYRMOT)
- May (Max) HALL
- Rychard BRABBE
- John (Jehan) HEREBANK (HERTANK, HERTARK)
- John (Jehan) BEUTLER (BAUTHELEY, VAUTHELEY)
- Thomas MASDUSLEY
- Adam BRAMVOYE
Les archers :
- Davy (David) BANGOR
- Thomas JOLY
- Thomas BILDELVYN (BOLDOIN, BAULDOUIN)
- Wile MALDOU
- Robert MAYNE (MAIN, MAYN)
- Thomas BRAVSON (BRAMSON)
- John WILLEMSONNE (WILLENSON, WILLIAMSON)
- Davi JOHNSON
- John (Jehan) MASSY (MASSE)
- John (Jehan) CRABER (CROKER)
- Robert PEWHATT
- John MORYON
- Joffrey (Greffin, Geuffroy) BAKWELL (BLAKWELL, BLATIWELL)
- John (Jehan) de La MORE (de La MARE)
- John (Jehan) MYLLER (MILER)
- Richart (Richard) HAWKE (HAULK)
- John DINBY
- Willem SOORY
- John SOORY
- John (Jehan) BRAMFELD (VRAMFELD, BRAINFELD)
- Mayhow (Mahieu) KEWRON (KYNESTHON, KYNERTON)
- John (Jehan) BUSSELL (ROUSSEL)
- John (Jehan) of BOTHE (AVOTHE, ABOTHE)
- John (Jehan) FALLQUEVER (FAUCONNIER)
- John (Jehan) FERRONE (FERROS, FERROR)
- John (Jehan) BRETON
- John (Jehan) HOLTON (HAULTON)
- John (Jehan) STYLE (STILL)
- John FAWKNERE
- Gorge LUDLOW
- Richard (Richart) YORKE (DIORK, DYORK)
- Thomas DAINCRE
- Henry LENOIR
- John (Jehan) RYFFYN (RUFFIN)
- Willem BURSTON
- Rychard (Richart) KYNNER (RYNVER, QUINEBER)
- Robert MAPCHALL
- Jehan ALAIN
- Robert NEWHULL
- John (Jehan) DESSUS LA MER
- Jehan (John) BOURSTON
- Elix GAMELIN
- Robert LYTTE
- John HELLYNG
- Gieff MORGAN
- John ADENE
- Thomas HOMOLTON
- John ALBERY
- Nicolaz BAR
- Guillaume STILLE
- Jehan GEUFFROY.
"pour lesquelz hommes d’armes et archiers de sa retenue, il aura et prandra gaiges, c’est assavoir :
- pour hommes d’armes, douze deniers esterlins le jour, monnoye d’Angleterre, avec regars accoustumez, et pour chascun archier, six deniers esterlins le jour, d’icelle monnoye, ou aultre monnoye coursable à la valeur, en la manière acoustumée."
Nous trouvons là mention de 66 personnes, représentant un effectif moyen d’une quarantaine d’hommes, car divers changements s’opèrent d’une date à l’autre, ainsi que le montre ce qui suit :
- Hommes présents aux trois dates : 10 hommes d’armes + 20 archers, soit 30 hommes.
- Hommes présents à deux dates : 1 homme d’armes + 6 archers, soit 7 hommes.
- Hommes présents à une date : 4 hommes d’armes + 19 archers, soit 23 hommes.
- Absents à chacune des trois dates : 0 hommes d’armes et 6 archers, soit 6 hommes.
Cela représente, pour chacune des trois dates (y compris le chef) :
- au 23/12/1428 : 12 hommes d’armes + 28 archers, soit 40 hommes,
- au 25/01/1429 : 11 hommes d’armes + 33 archers, soit 44 hommes,
- au 09/03/1429 : 13 hommes d’armes + 30 archers, soit 43 hommes,
c’est-à-dire un effectif moyen de 42 hommes, réparti entre 12 hommes d’armes et 30 archers environ.
Aux 23/12/1428 et au 09/03/1429, la proportion est de 2,3 archers par homme d’armes. Au 25/01/1429, elle est de 3 archers par homme d’armes, chiffre conforme à la coutume d’Angleterre qui était en principe de 3 archers par "lance".
(Si l’on compte les absents signalés en décembre, on a 13 hommes d’armes et 36 archers, soit pratiquement la "bonne" proportion, et si l’on prend la totalité des hommes cités, 15 hommes d’armes et 51 archers, on arrive alors à 3,4 archers par homme d’armes).
On entendait par "lance" un chevalier (ou écuyer) armé, accompagné d’un page et d’un coutillier (armurier), ce qui représentait au moins trois personnes, auxquels se rajoutaient les trois archers. Mais il semble que dans les comptes, on ne comprenne que l’homme d’armes et les archers comme par exemple :
- "Rouland Standish, chevalier bachelier, est retenu capitaine de Charlemesnil, à 2 hommes d’armes et 6 archers, sa personne en ce comprise (soit 8) dont lui-même et 3 archers servant à cheval, et l’autre homme d’armes et trois archers servant à pied." (donc bien 8 personnes).
Dans le compte du siège, on rencontre les mots hommes et personnes, comme dans ces deux extraits :
- "... 252 livres tournois à 252 hommes, tant lances que archiers..."
- "... 50 livres tournois pour quatre hommes d’armes et 46 archiers, qui font 50 personnes, pour chascun des ditz hommes, 20 solz tournois..."
Une montre (revue militaire) de Jehan Le Baveux, capitaine de Montlhéry, faite à Notre-Dame-des-Champs en 1427, indique qu’il est retenu "lui, 33 hommes d’armes et 26 hommes de traicts, qui font 60 combattants."
Il semble que ces exemples soient suffisants. L’homme d’armes représente, dans ces extraits, une seule personne, et que ses suivants ne soient pas comptés. Il faut en tenir compte lorsqu’on calcule les effectifs d’une troupe. En fait, 1 homme d’armes et 3 archers représente en réalité, non pas 4 hommes, mais 6 personnes.
Comme on le constate, les hommes d’armes étaient payés le double des archers (12 deniers esterlins par rapport à 6). Le chef de la troupe ci-dessus, Thomas Gyffard, percevait la même solde que ses hommes. Cette différence dans les soldes peut sans doute se justifier. Les archers avaient un équipement beaucoup plus léger que les hommes d’armes qui, eux, devaient payer aussi le cheval, mais encore l’armure, le bouclier, les armes (lance, épée, dague...) et aussi les suivants qui ne combattaient pas toujours, tels les valets d’armes, qui les aidaient à revêtir l’armure, à s’équiper, à monter à cheval, et qui entretenaient leurs armes et équipements.
Les archers étaient plus autonomes, n’étant équipés que de leur arc, leur trousse à flèches, et sans doute aussi d’une dague ou d’une petite épée qu’ils utilisaient lors des combats au corps-à-corps.
Il est possible que les archers se cotisaient pour payer quelques ramasseurs de flèches, qu’on récupérait dans la mesure du possible, et qu’ils recrutaient sur place les jeunes hommes du lieu qui voulaient se rendre utile tout en gagnant quelque pièce.
Pour cette troupe, voici un récapitulatif des soldes perçues pour cette période :
- 1re période :
Hommes d’armes 12 x 12 deniers est./jour = 144 d.e./jour
Archers : 28 x 6 deniers est./jour = 168 d.e./jour,
soit : 312 deniers esterlins/jour.
- 2e période :
Hommes d’armes 11 x 12 d.e./jour = 132 d.e./jour
Archers : 33 x 6 d.e./j = 198 d.e./jour
soit : 330 deniers esterlins/jour.
- 3e période :
Hommes d’armes 13 x 12 d.e./jour = 156 d.e./jour
Archers 30 x 6 d.e./jour = 180 d.e./jour
soit : 336 deniers esterlins/jour,
ce qui donne en moyenne 326 d.e./jour, soit environ 7,76 deniers esterlins par homme.
Les patronymes
Les patronymes sont ici retranscrits littéralement avec, souvent, des orthographes différentes d’une date à l’autre. Cela n’avait pas d’importance à l’époque, où l’on écrivait ce que l’on entendait, chacun le transcrivant à sa manière, qui pouvait être différente d’une fois à l’autre (par exemple : Burston et Bourston...)
Tous les scribes et les "plumitifs" n’étaient pas forcément des clercs et, dans le cas présent, il y avait aussi la difficulté de la langue et de la prononciation anglaise et française, tous les secrétaires n’étant pas tous de la même nation (par exemple : Gieff devait sans doute être Jeff).
Parfois il y avait carrément traduction : Fallquever, pour Fauconnier.
Certains noms à consonance française, comme Joly, de La More (de Lamare), Breton, Lenoir, Alain (peut-être Alan), ou connus dans l’histoire comme : York (Yorke, Diork, Dyork).
Mais que penser de ce Jehan (John) "Dessus-la-Mer", présent à deux dates ?
On relève aussi deux GYFFARD (Gyffart) : Thomas, l’écuyer, chef de la troupe, et Gybart (Gilbert ?), cité juste après lui, et qui n’est pas présent au 9 mars. Sans doute étaient-ils frères, partis pour combattre ensemble.
Et aussi :
- Willem Soory et John Soory, absents au 23/12, et ne figurant pas aux deux autres dates,
- John Style (Still), présent aux 23/12 et 25/01, et ne figurant pas au 09/03, et Guillaume Stille qui lui est présent au 09/03,
- Willem Burston, présent au 23/12 et John Bourston présent aux 25/01 et 09/03.
Pour les deux derniers cas, il s’agit peut-être d’un remplacement, un frère (ou un fils) venant relayer l’autre qui doit rentrer au pays, est blessé ou peut être tué, le survivant reprenant à son compte, pour le venger, le "contrat" passé avec le capitaine, qui était sans doute aussi son recruteur ou même son seigneur, et à qui la famille devait service.
Pour les prénoms, les mêmes phénomènes se répètent, soit dans leur francisation, ou par rapport à l’orthographe et à la prononciation. Les voici, récapitulés selon leur fréquence :
- John, Jehan : 32
- Thomas : 7
- Richard, Richart, Rychard : 5
- William, Wile, Willem, Guillaume : 5
- Robert : 5
- David, Davy, Davi : 2
- May, Max : 1
- Adam : 1
- Joffrey, Geuffroy, Greffin : 1
- Mahieu, Mayhow : 1
- Gorge (Georges) : 1
- Henry : 1
- Elix : 1
- Gieff (sans doute Jeff) : 1
- Nicolaz (*) : 1
- Gybart (Gilbert ?) : 1
(*) on utilisait le Z à la place du S à cette époque, pour la pluriel : "ils estoient restez", pour restés.
Dans cette compagnie, en plein combat, il ne fallait assurément pas lancer à la cantonade : "Jean, passe-moi des flèches !", car l’on avait peu de chance de réponse rapide, ou, au contraire, tous les combattants répondant à ce prénom se seraient retournés tous en même temps, semant la pagaille dans la troupe.
En effet, ce prénom revient à 32 reprises dans la liste, soit pratiquement la moitié ! Mais c’était un prénom très répandu, tant du côté anglais que du côté français.
Mais quel était l’environnement qui attendait les hommes de Thomas Gyffard lors de leur arrivée ? Comment était le lieu où ils allaient combattre ?
Le fort des Tourelles sur le pont d’Orléans
Les anglo-normands avaient établi des bastilles autour d’Orléans, mais la plus importante, déjà sur place, celle où étaient stationnés Thomas et ses hommes, était la forteresse des Tourelles (ou Tournelles), bâtie au bout du pont, sur la rive gauche, côté Sologne.
Description des Tourelles (Tournelles) en 1448 :
"Les Thourelles étaient composées de deux tours rustiques faictes en pierrez de taille à pointes, l’une a faiste, l’autre à demy faiste avec porte au milieu, deux porteaux, un guichet de vedette, deux herses et d’un pont-levis, une barrière volante avec chaînes, en avant du sud ; elles avaient de plus un pont de bois sur chevalet, qui fut remplacé par une arche en pierrez.
Ces Thourelles avaient trois étages voûtés, crénelés, avec meurtrièrez pour fauconneaux, veugliaires, bombardez et aultres artilleriez facites et pratiquéez depuis quelque cents ans ; elles étaient en outre entourées par le boulevart qui estoit faict de fagots et de terre."
(Mémoires de la S.A.H.O., t.26, médiathèque Orléans)
Est-ce une description fidèle de la forteresse telle qu’elle était au moment du siège de 1428-1429, et telle qu’elle existait encore en 1448, ou une sorte de devis descriptif du projet de reconstruction ?
Car, au moment du siège, la forteresse avait souffert, et subi de graves avaries, les toitures brisées, les planchers effondrés ou brûlés et les murs percés par des projectiles.
Quatre arches du pont (sur lequel elle reposait) avaient été rompues ; les murailles du boulevard et celles des Tourelles profondément dégradées, menaçaient ruines.
La ville d’Orléans en 1429
Orléans était à ce moment une ville d’environ 15.000 habitants. Une cité importante, qui avait pu se doter d’un pont de pierre de 19 arches sur la Loire.
La première arche était coupée d’un pont-levis, au nord, côté Beauce.
Après la 6e arche, les Orléanais avaient construit un petit fortin, sur l’une des îles d’appui, nommée Bastille Saint-Antoine.
Sur la 18e arche, un châtelet, composé de deux tours, réunies par un porche voûté, et sur la 19e, comme sur la première, isolant le Châtelet par un pont-levis, la construction qu’on nommait indifféremment le fort des Tourelles ou des Tournelles, car il y avait deux "tourelles", et aussi parce-que c’est dans l’eau profonde qu’elle dominait que se faisaient les virages, ou "tournelles" des bateaux à l’entrée ou à la sortie d’Orléans.
Après la 19e arche, côté Solognot, s’élevait une redoute en pierre, ou boulevard.
Les remparts étaient garnis de 71 canons ou bombardes et de nombreuses couleuvrines (petits canons portables), dont l’apparition, pour la première fois, semble dater de ce siège.
Orléans était une place importante pour tout le royaume, défendant le passage de la Loire, et d’où l’on pouvait conquérir plus facilement le Berry et l’Auvergne. Il fallait donc que les Anglais la prennent, et en particulier cette forteresse qui défendait le pont.
Du 17 au 20 octobre 1428, les Anglais édifièrent la bastille des Augustins, sur la rive gauche côté Sologne, sur les ruines d’un couvent que les Orléanais avaient détruit pour ne pas que les ennemis l’utilisent.
Cette bastille était juste devant les Tourelles, sur la rive.
Le 21 octobre, ils avaient assaillis un "boulevert" de fagots et de terre, devant les Tourelles, dont l’assaut dura quatre heures sans cesser (de 10 à 14 heures). Beaucoup de blessés côté français, et "plus de douze-vingt" côté anglais (soit 240).
Le 24 octobre, les Anglais investissent la bastille et le fort des Tourelles. Ils rompent une arche en avant et une en arrière de ces ouvrages, les remplaçant par un tablier mobile, et aménagent en forteresse, sur la rive Solognote, les ruines du couvent des Augustins.
Une fois tout cela mis en place, la garnison anglo-normande fut plus réduite, commandée par William Glasdale (Glassdal) que Jehanne nommait "Glacidas".
Voilà ce que virent les hommes de Thomas Gyffard.
Quels évènements allaient-ils y vivre ? On pourrait l’écrire un peu comme un "journal" qu’aurait tenu l’un des combattants.
Journal fictif d’un des combattants anglais des Tourelles
- 1er décembre 1428 : le seigneur John Talbot, baron d’Angleterre, arrive avec le seigneur d’Escales et 300 combattants, des vivres, bombardes et autres. Quelle dure journée où il a fallu aider à cantonner tous ces gens, et ranger en bon ordre tout ce qu’ils avaient amené.
- 31 décembre 1428 : une anecdote ! Deux français, Jehan Le Gasguet et un nommé "Védille", tous deux Gascons, hèlent les Anglais. On va aux remparts voir ce qui se passe. Ces deux-là nous défient de faire "deux coups de lance". Deux d’entre-nous sortent à leur rencontre. Enfin un peu d’exercice ! Beaucoup de spectateurs tant français qu’anglais se groupent pour voir le déroulement de l’affrontement.
Guasguet jeta son adversaire à terre d’un coup de lance, un point pour les français, mais "Védille" et l’autre anglais ne purent se vaincre l’un l’autre, et regagnèrent chacun leur camp.
- Mardi 11 janvier 1429 : vers 21 heures, les français tirent au canon sur la forteresse des Tourelles, et en détruisent la couverture et les combles. Quelle pagaille ! On se protège, mais six anglais furent tués et ensevelis sous les ruines.
- Dimanche 16 janvier 1429 : vers 14 heures arrivent 1.200 anglais avec John Falcot, avec de nouveau des vivres, canons, bombardes, poudres, traits et autres. Cela se répètera ensuite à plusieurs reprises.
Le temps passe, entrecoupé d’escarmouches et de périodes de calme.
- 28 avril 1429 : un bruit court dans la garnison. Une pucelle nommée Jehanne, dont on avait entendu parler, une sorcière, est signalée par des courriers et des éclaireurs. Elle est à Chécy, sur la rive gauche, à peu de distance d’Orléans, en route vers nous...
Nous sommes dans la crainte, car il paraît que cette fille, possédée du démon, a pour objectif de nous chasser de France. Il faudra qu’elle soit bien forte !
- 29 avril 1429 : cette Jehanne passe aujourd’hui la Loire, au droit de Chécy, tout près de nous, en aval, sur la Loire. C’est le matin, et elle s’arrête au lieu-dit Reuilly jusqu’à la chute du jour.
Vers 20 heures, le même soir, nous entendons des cris et des ovations du côté de la porte Bourgogne. C’est cette fameuse pucelle qui entre dans la ville, accompagnée de deux cents hommes. Une grande partie de la population l’accueille, munis de flambeaux, et l’escortent jusqu’à la maison d’un certain Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans qui est prisonnier chez nous, en Angleterre, depuis 1415. Nous suivant son parcours depuis le troisième étage de la forteresse. La liesse des Orléanais dure longtemps. Nous sommes perplexes.
- 30 avril 1429 : la pucelle parcourt les rues d’Orliens (Orléans) à cheval. Elle se montre à tout le monde en nous entendons dans la ville force ovations. D’où nous sommes, nous voyons très bien où elle se trouve dans la cité, entendant les cris qui montent jusqu’à nous.
- 1er mai 1429 : la pucelle accompagne un seigneur français et ses compagnons "hors aux champs". Ce seigneur est le demi-frère de notre prisonnier le duc. Il s’agit de Jehan de Dunois, dit le Bastard d’Orléans. Certains d’entre-nous ont déjà combattu contre lui, et il paraît qu’il est redoutable. S’il est là avec elle, il faut s’attendre à ce que "cà chauffe" dans les prochains jours.
- 2 mai 1429 : des guetteurs nous informent que la pucelle fait une reconnaissance autour de la ville, sans doute pour se rendre compte de l’état de nos défenses, bastilles et forteresses. Nous l’injurions copieusement, comme nous l’avions déjà fait.
- 3 mai 1429 : cette fois, cà y est ! Je l’ai vue de bien près. Elle s’est avancée jusqu’au boulevard de la Belle-Croix, sur le pont. Nous l’avons bien observée et invectivée.
Elle est équipée comme un chevalier, avec son armure en métal blanc et son épée au côté. Un page ne la quitte pas d’un pas, portant un étendard sur lequel on peut lire "Jhésus-Maria". Pourquoi craignons-nous autant cette fille ? Elle est paraît-il investie de sa force et de son pouvoir de par Dieu. Qu’elle y vienne... nous l’attendons !
- 4 mai 1429 : on nous signale que les français vont recevoir des renforts. Une armée s’avance, sur la rive droite, venant de Blois, envoyée par Charles, celui qui se prétend roi de France à la place de notre propre roi Henry, qui est roi des deux pays. La pucelle est sortie à leur rencontre.
- 5 mai 1429 : c’est le jeudi de l’Ascension. Tout est calme en apparence. On pense qu’ils étudient un plan d’attaque. Mais aura-t-elle lieu ? Cela ne devrait plus traîner maintenant. La pression monte chez nous, et beaucoup sont impatients d’en découdre, mais aussi inquiets...
Mais... que se passe-t-il ? Elle est aux remparts, sur le pont, côté d’Orléans. Elle nous fait lire une lettre par un héraut, nous enjoignant de nous en aller, de rentrer chez nous en abandonnant notre forteresse, que nous aurons ainsi la vie sauve et que, sinon, beaucoup seront tués et l’issue du combat sera en leur faveur.
Non mais, des fois...! Viens-y voir, pucelle, putain des Armagnacs, et tu verras ! Tu ferais mieux de rentrer chez toi et de garder les bêtes ou de faire ton boulot de nana !
Des cris, des insultes partent de nos murs à son encontre. Tout à coup, elle fait demi-tour, vexée sans doute de notre réaction.
Nous passons toute la soirée à fourbir nos armes et nos arcs. Les chefs nous talonnent et gueulent après nous pour que tout soit en ordre, et prêts pour l’affrontement qui ne va pas tarder de se produire incessamment.
- 6 mai 1429 : çà y est... ! Ils attaquent... Pas encore notre fortin directement, mais la bastille de Saint-Jean-le-Blanc, située rive gauche, à quelques centaines de mètres de nous ? Les nôtres se retirent vite, car les français leur font peur tant ils y mettent de l’ardeur. Certains se réfugient aux Augustins, et d’autres viennent se replier jusqu’à nous.
Un peu plus tard, les français se sont avancés jusqu’à la bastille des Augustins et l’ont prise. Cette fois c’est sérieux ! Ils ne sont plus qu’à quelques dizaines de mètres de nous. Heureusement le boulevard et le pont-levis nous protègent encore. Dans la lutte, cette diablesse de pucelle a été blessée au pied par une chausse-trappe. Cela va sans doute la calmer un peu !
- 7 mai 1429 : dure journée ! C’est la journée des Tourelles. Les français se battent comme des fous, subjugués par cette pucelle qui est partout, ordonnant de poser une échelle, de foncer, assurant que tout va bientôt être à eux. C’est assurément une sacrée fille ! On n’a jamais vu cà !
Nous commençons à être submergés par les ennemis qui, l’enthousiasme aidant, nous investissent de plus en plus vite. Nous avons du mal à contenir les assauts et, déjà, les premiers français arrivent en haut des remparts.
Je grimpe vite au troisième étage, et bandant mon arc et visant avec soin, j’aligne la fille, et lui décoche une flèche qui arrive sur elle, et la blesse juste au-dessus du sein. J’avais visé le coeur, mais elle bouge sans cesse... la blessure est toutefois assez sérieuse pour qu’elle se calme un peu et, du fait même, que l’ardeur de ses compagnons soit moindre.
Mais les combats n’en reprennent que de plus belle, et la revoilà ! Tout va mal ! Un français, venu sous le pont avec un bateau chargé de poix, y met le feu et saute à l’eau. Le pont-levis s’embrase, communiquant l’incendie au reste de l’édifice. C’est fini ! Nous ne pouvons plus résister.
Le seigneur Glasdall et d’autres capitaines importants sont morts. Nos troupes lèvent le siège.
Notre capitaine, Thomas Gyffard, nous ordonne de nous retirer, chacun pour soi. Nous dégageons le plus vite que l’on peut. Avec quelques copains, nous fonçons vers le Champ-Pryvé, passons la Loire à la nage, et nous nous réfugions près de la porte Renard, dans la bastille Saint-Laurent.
- 8 mai 1429 : malgré sa blessure, cette pucelle est entrée à Orléans par le pont, qu’ils ont rétabli avec des madriers. Nous avons de plus en plus peur d’elle et de ses troupes.
Nos chefs ce matin nous font ranger en ordre de bataille. Les français sont en face, presque les yeux dans les yeux avec nous. Sans doute nos capitaines jugent-ils alors qu’il est plus sage de ne pas arriver à l’affrontement au corps-à-corps, car nous nous retirons sans combattre. Ont-ils peur d’elle, aux aussi ?
Thomas nous enjoint de nous diriger, le long de la Loire par le côté rive droite, vers la ville de Meung-sur-Loire, où nous nous retrouvâmes tous bientôt, pansant nos blessures et comptant nos morts (500 des nôtres y sont restés !), et entretenant et préparant nos armes pour un prochain combat, comme c’est le propre de tout soldat...
A Orléans, on organisa une messe dominicale, en pleins champs, au-delà de la porte Renard, à laquelle assistèrent toute la population d’Orléans et les combattants.
Dans la ville, la joie tourne au délire, et un héraut nommé "Fleur de Lys" est désigné sur le champ pour courir à Chinon afin d’informer celui qu’ils appellent leur roi Charles de la victoire...
Les habitants pillent ce qui reste des Tourelles...
Nous sommes contents d’en être partis !
Ce jour-là fut inaugurée la procession et la fête que la cité d’Orléans réitèrera chaque année, jusqu’à nos jours, en souvenir de cet évènement.
Voilà peut-être comment l’un des combattants de cette compagnie aurait pu se souvenir de ces journées.
Sans doute Thomas Gyffard et ses hommes participèrent-ils à bien d’autres combats !