Une vieille technique
Le travail de la soie est attesté dans les Cévennes depuis 1234, date du premier document mentionnant une activité séricole en France. On y signale l’exportation vers Marseille d’ouvrages en soie provenant des Cévennes. Le fait qu’un « trahandier », c’est à dire un dévideur de cocons, exerce son activité à Anduze, près d’Alès, en 1296, laisse supposer que le vers à soie, importé d’Italie, y était élevé sur place dès cette époque. Pendant plusieurs siècles, les Cévennes restent le centre de la sériciculture française jusqu’à ce que, sur les conseils d’Olivier de Serres, Henri IV fasse planter des mûriers dans la plupart des régions de France (les feuilles de mûrier sont la nourriture exclusive du vers à soie).
S’il est difficile de dater exactement l’apparition du bas de soie, on sait que dans la première moitié du XVIe siècle il fut fort prisé et son port encouragé par François 1er. Il s’agissait alors de bas faits en tissu de soie et ajustés. C’est entre 1540 et 1570 qu’à la suite de l’évolution du costume masculin, on vit apparaitre des bas plus longs s’attachant aux chausses et tricotés, la maille donnant plus de souplesse et d’élasticité. Cette mode des bas de soie, exécutés aux aiguilles par des ouvriers spécialisés, se répandit rapidement dans tout le royaume.
L’apparition du métier à faire les bas
Une seconde étape décisive pour le bas de soie fut l’invention du « métier à faire les bas ». Cette machine fut découverte vers 1610 par un anglais, Lee, qui s’installa à Rouen et commença une industrie florissante, soutenue par Henry IV et Sully. Mais à la mort de Lee, les ouvriers qui étaient anglais retournèrent dans leur pays avec les fameux métiers. A partir de ce moment, les anglais, jaloux de cette invention, défendirent alors « sous peine de vie, de la transporter hors de l’ile ni d’en donner modèle à un étranger ». Cependant, un français, Jean Hendret, réussit à surprendre le secret, fit construire le premier métier français et fonda en 1656, au château de Madrid au bois de Boulogne, la première manufacture de bas au métier.
Le succès remporté aboutit en juillet 1672 à la déclaration royale érigeant en titre de maîtrise et communauté « le métier et manufacture de bas, canons, camisoles, caleçons et autres ouvrages de soye qui se font au métier ». La fabrique de bas de soie se développa de façon fulgurante. Mais dès 1700 un arrêté va considérablement restreindre la liberté d’exercice du métier : « Défense d’établir aucun métier ailleurs qu’à Paris, Dourdan, Rouen, Caen, Nantes, Oléron, Aix, Toulouse, Nîmes, Uzès, Romans, Lyon, Metz, Bourges, Poitiers, Orléans, Amiens et Reims. Tous les faiseurs de bas établis dans une autre place doivent se retirer dans les dites villes ». Défense de travailler ou de faire travailler sans avoir été reçu maître. Obligation pour les compagnons de se faire reconnaitre par les jurés de leur communauté et de se faire inscrire sur un registre avec mention de leur demeure et du nom de leur maître. Interdiction pour eux de vendre un ouvrage fait au métier. Interdiction aux femmes et aux filles de travailler au métier, exception faite pour les filles de maître mais seulement dans l’atelier de leur père. D’autres points des statuts portent sur la taille des métiers, la qualité de la soie à employer, la précision du travail.
Cette réglementation satisfaisait les fabricants de bas proprement dits qui voulaient se réserver le monopole du métier, mais les facturiers de laine, les marchands de drap et de soie qui prétendaient faire travailler et vendre des bas pour leur compte contestaient ces dispositions. Des conflits entre les deux communautés vont s’installer jusqu’en 1712.
A partir de 1713, le monopole des dix-huit villes étant difficile à respecter, on permit à des habitants d’autres lieux d’exercer le métier. Ce qui ne manqua pas de soulever des difficultés.
Au-delà de ces querelles, la principale préoccupation fut de satisfaire la demande et d’adapter la production aux besoins et aux goûts de la clientèle. Les bas fabriqués à Paris et consommés dans la capitale étaient considérés comme très solides tandis que ceux de Nîmes avaient la réputation d’être moins résistants, la nécessité de faire des produits bon marché influant sur la qualité. En effet, la production cévenole était destinée non seulement à la consommation intérieure mais surtout à l’exportation, principalement à l’Espagne et aux Indes espagnoles. Ainsi en 1760 la ville de Lima, au Pérou, consommait deux millions de bas de soie par an. Pour plaire à cette clientèle, les faiseurs de bas avaient reproduit sur leur fabrication les broderies et les couleurs des bas de coton que les péruviennes avaient l’habitude de porter.
Le métier proprement dit
Quels qu’aient été les statuts de la corporation, la trajectoire à suivre pour devenir faiseur de bas reste la même :
- Trois années d’apprentissage chez un maître ou chez un fabricant inscrit au registre de la communauté. L’artisan s’engage, par contrat passé devant notaire, à transmettre au jeune homme tout ce qui est nécessaire pour apprendre le métier, en retour l’apprenti s’engage à faire tout son possible pour y parvenir.
- Deux années de compagnonnage. Au terme de cette période, il pourra prétendre à la maîtrise (jusqu’en 1712) ou à être du corps (après 1712).
- Soit la maîtrise : Le compagnon doit monter un métier devant le syndic et payer un droit d’inscription. Soit l’entrée dans le corps : le compagnon doit exécuter une paire de bas dont la qualité est jugée par les syndics et payer les frais de réception.
Le faiseur de bas travaille chez lui et peut avoir jusqu’à quatre métiers. Sa journée de travail est longue. A la fin du 18e siècle, elle s’étendait en été de cinq heures du matin à la tombée de la nuit, en hiver de six heures du matin à dix ou onze heures du soir.
Il existe des bas pour hommes et des bas pour femmes. Ils peuvent être unis, ajourés ou brodés. Au sortir du métier, le bas se présente comme une bande plate à sinuosités symétriques. Le talon a été renforcé par doublement du fil. La pointe, aussi renforcée, est confectionnée à part. Les bas sont ensuite assemblés par des couturières spécialisées. Dans un premier temps elles rassemblent les deux moitiés des talons et des semelles et ajustent les pointes. Ensuite, elles plient les bas longitudinalement pour réaliser la couture, besogne délicate et toute en finesse. D’autres femmes interviennent, ce sont les brodeuses, la broderie étant un élément important de la commercialisation. Lorsqu’il est noir, le bas ne doit recevoir sa nuance qu’après complet achèvement au métier, sauf sil entre dans sa confection des fils d’or ou d’argent. Pour les autres teintes, c’est le fil de soie qui est préalablement teinté avec des colorants comme la cochenille, le safran, l’indigo, l’épine vinette, la gaude ou encore le bois des îles. Chaque douzaine de bas est marquée avec un plomb portant les noms de la ville et du fabricant avant d’être commercialisée.
Une classe privilégiée ?
Chaussé de sabots, coiffé d’un bonnet de coton, les mains fréquemment lavées pour ne pas salir un ouvrage si délicat, le faiseur de bas travaille souvent debout à la lumière du jour ou à la lueur d’une lampe associée à un globe de verre qui démultiplie la lumière. Il lui faut une journée entière pour réaliser une paire de bas. Le dimanche et le lundi sont chômés. Ce repos hebdomadaire est occupé à l’entretien du métier et aussi au travail des champs, lopin de terre ou carré de vigne, car l’artisan reste toujours un peu cultivateur.
La profession est très souvent héréditaire et le métier à faire les bas, portant le nom du premier utilisateur gravé sur la barre transversale, se transmet de génération en génération comme un meuble de famille. Il figure ainsi en bonne place dans les inventaires après décès. Cette classe d’artisans a toujours semblé assez privilégiée. En 1790, il est affirmé quelle est encore la plus aisée, la moins exposée aux maladies et celle qui se nourrit le mieux. En 1836, il est dit que le faiseur de bas est plus propre que les autres, plus économe, de meilleures mœurs et plus aisé malgré la modicité de ses gains.
La fabrique de bas à domicile va se maintenir tant bien que mal jusque vers 1880, date de l’apparition du métier mécanique mu par la vapeur. C’est la mort du métier à bras. Le savoir-faire si patiemment acquis pendant les années d’apprentissage et de compagnonnage n’est plus nécessaire. L’artisan ne peut plus travailler chez lui, en famille, libre de gérer son temps.
Le faiseur de bas abandonne son art pour l’atelier qui peut regrouper jusqu’à vingt machines dans un bruit assourdissant ou bien il s’engage comme employé ou surveillant dans les filatures de soie qui se sont développées depuis le milieu du siècle.
Ma famille de Saint Jean du Gard en est l‘exemple type. Sept générations se sont ainsi succédé : quatre faiseurs de bas, un faiseur de bas puis surveillant de filature, un directeur de filature, un acheteur de soie en Chine.
Note : Ces pages sont extraites d’un article que j’avais écrit en 1987 et qui avait été publié dans le n° 56 de la revue Gé-magazine.
Bibliographie :
- Dutil, La fabrique de bas à Nîmes au XVIIIe siècle, Annales du midi, 1905
- De Saporta, La bonneterie de soie dans les Cévennes, Revue des deux mondes, 1898
- Etat des fabriques et manufactures textiles du Gard, Archives départementales du Gard, série 9M.
Encyclopédie Diderot – Le métier à faire des bas.