Les fils de téléphone et d’électricité n’ont pas encore été posés, nous sommes donc avant 1904, en 1902 peut-être, la treille du balcon a été taillée ; février mars ?
Dans la vitrine de Zéphyrin, les cycles Liberator et à gauche le distributeur de cartes postales.
Est-ce à cause de la saison, tout le monde paraît maussade dans cette noce. Dans le cortège, derrière les deux enfants, une femme est coiffée d’un foulard de tête de cérémonie, en soie brillante. Les jeunes et les enfants portent d’immenses chapeaux.
Zéphyrin est en partie caché par la mariée, son chien s’inquiète de ce remue-ménage dans la rue. Contre la maison, les tonneliers de Pierre Delluc ont lâché les douelles, les distractions ne sont pas si nombreuses.
Devant le cortège, une femme en noir, mouchoir de tête, le poing sur la hanche, regarde la noce avec une attitude de défi.
Elle est une de ces femmes qui font des travaux rudes à cette époque. En plus des “ lessiveuses ” et des lavandières, il y a les “ journalières ”, celles qui vont à la journée sarcler les terres, leur seul gagne-pain. On les voyait se rendre au travail ou en revenir, le “ peyradet ” sur l’épaule, l’air sévère. C’étaient les pauvres de l’époque, locataires d’une minuscule baraque. Certaines avaient un petit jardin et vivaient de la vente de leurs légumes, comme la femme de Sarrazin, qu’on appelait la Sarrazine.
Ces pauvres femmes ne connaissaient pas l’humilité, le respect des nantis. Leur attitude était provocatrice, elles cultivaient leur dignité. Dans la rue, elles interpellaient les “ riches ”, en patois évidemment car elles ne parlaient pas le français : « Regarde-les, ces tro-chodouls (ces repus). Nous, on a le ventre plat. » Deux de ces femmes ne se quittaient jamais, ensemble à la peine, le peyradet sur l’épaule pour traverser le village. Mais elles n’arrêtaient pas de se disputer. Un jour, dans la rue du château où elles habitaient, la dispute est allée trop loin et la Rabétoune a allongé « oun cot de peyradet » derrière l’oreille de la Martinote, qui en est morte sur le coup.
La Rabétoune a terminé sa vie au bagne.
Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).