En faisant des recherches sur ma famille, je suis tombée sur un article de La Croix de la Drôme du 29 mars 1908 relatant une curieuse histoire : l’assassinat d’un maire au lendemain de l’élection.
Le 22 mars 1908, le maire de Châtillon en Diois, Léopold Ribal, vient d’être assassiné par un dénommé Borel. Je me suis intéressé au parcours de cet individu.
Les faits dans un article très détaillé
Assassinat d’un Maire. Chatillon Un crime horrible vient de jeter la consternation dans notre belle ville de Châtillon. M. Ribal, maire, a été assassiné par un nommé Louis Borel qui lui a tiré presque à bout portant, deux coups de fusils d’un fusil de chasse. Vers six heures du soir, M.Ribal se trouvait sur son trottoir, auprès de la fontaine et il venait de se laver les mains quand il fut atteint de deux coups de feu successifs, au moment où il se préparait à se rendre au café avec son fils aîné, soldat au 4e génie, à Grenoble, actuellement en convalescence. Les coups ont été tirés par un dénommé Louis Borel, âgé de trente-six ans, originaire de Mensac, hameau de Creyers. Au premier coup, Mr Rial trébucha. Son domestique, Philibert Chaix, se trouvant tout près, se précipita vers lui, mais la victime se releva seule ; le deuxième coup de feu éclata, et M. Ribal tomba dans la rue, la face contre terre. De suite, le domestique le releva, en même temps que des cafés voisins sortaient des consommateurs qui se précipitaient sur le lieu du drame. MM. Michel, Boucher, Viret et Bonniot transportaient M. Ribal à son domicile. Louis Borel qui habite en face de chez M.Ribal, avait tiré ses deux coups de fusil à travers la rue, à huit mètres sur celui-ci. Le premier coup atteignit la victime à six centimètres à droite du nombril et ressortait au sommet de la cuisse gauche, traversant le corps ; le deuxième coup l‘atteignit pendant qu’il était penché en avant au sommet de la cuisse gauche, où il provoquait une longue et large plaie en séton. Le meurtrier entra ensuite chez lui, où il était peu de temps après, appréhendé par la gendarmerie. De suite, le juge de paix, M. Mommon, se rendait sur les lieux et, en même temps qu’il prévenait le Parquet de Die, commençait une enquête minutieuse. La famille faisait prévenir le docteur Louis Magnan de Die, pour donner des soins à la victime mais le contremandait ensuite, Ribal venait d’expirer. Le meurtrier habitait Châtillon depuis trois ans. Il est veuf depuis l’année dernière et n’a rien de commun avec les familles qui portent son nom. Avant de se fixer à Châtillon, il avait passé une partie de son existence en Afrique. On croit que c’est la vengeance qui a été le mobile du crime. Lundi matin à 5 h, le Parquet de Die arrivait à Châtillon-en-Diois. Le meurtrier était aussitôt conduit à la mairie et le juge d’instruction lui faisait subir un interrogatoire détaillé. L’on a ensuite procédé sur les lieux du crime à sa reconstitution. Borel, sans trouble aucun, a fait le simulacre de coucher une personne en joue et de tirer deux fois sur elle. Il a été ensuite amené devant le cadavre de sa victime qu’il a longuement embrassé. Dans l’interrogatoire qu’il a subi, Borel a parfaitement reconnu son crime qu’il regrette. Il prétend avoir agi par vengeance, mais ne peut indiquer les mobiles qui l’ont poussé au meurtre. Borel est-il fou, comme certaines personnes le prétendent ? C’est ce que l’examen d’un médecin démontrera. En attendant, l’instruction se continue activement [1]. |
D’après "La Tribune de l’Aube" du 26 mars 1908, Borel dit avoir agi pour se venger du maire Ribal : il l’avait traité, deux ans plus tôt, "d’échappé de guillotine". "La veille du crime, il lui avait réclamé une petite somme qu’il lui devait". Il dit ne pas regretter son geste.
De nombreux articles de journaux les jours suivants évoquent cet assassinat, avec quelques variantes !
Borel est nommé indifféremment par ses différents prénoms : Louis ou Joachim. J’ai recherché son acte de naissance
- 1871 naissance de Louis Borel
- Etat civil de Creyers 2 Mi 1105/R1 (vue 199/468)
Archives de la Drôme
Louis Ludovy Joachim Borel naît le 29 décembre 1871 à Creyers, canton de Châtillon-en-Diois. |
Dans l’article du journal, on apprend qu’il a vécu en Afrique. Son nom figure en effet dans la liste des concessions attribuées gratuitement :
- "Journal général de l’Algérie et de la Tunisie"
1er août 1897
Deux autres familles de Châtillon en Diois sont admises au peuplement du centre de Turenne : savoir les familles : VINCENT, Emile, CHRISTOPHE, Joseph.
Ont obtenu une concession dans le même centre, les cinq familles dont les noms suivent : BOREL Joachim, à Creyers (Drôme), GIN Constant, à Siecq (Charente Inférieure), PELLEGRIN Florimoud, à Fressinières
(Hautes-Alpes), BERLIN Louis, à La Chapelle sur Creuse (Yonne), DEBROAS Florentin, à Marvéjols-les-Gardon
(Gard), MAS Jean, à Alban (Tarn).../...
Le centre de Turenne (Aïn-Sabra) est situé à 27 kilomètres de Tlemcen et 26 kilomètres de Maghrnia, près de la route de Tlemcen à Lalla-Maghrnia.
Territoire de 1.750 hectares, divisés en 40 concessions agricoles de 35 à 40 hectares environ.
Altitude : 600 mètres. Cours d’eau : Ain-Sabra, Aïn-Bodïouighzen, qui débitent l’un et l’autre de cinq à onze litres par seconde.
Cultures : Céréales, vignes, jardins arabes. Elevage du bétail.
J’approfondis ma recherche en cherchant son passé militaire. Ses différentes adresses sont consignées sur sa fiche matricule. Né en 1871 il est donc de la classe 1891, recrutement de Montélimar :
https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/rx7lbtfcj2n4/70d18444-ecbb-4e1d-a060-5a7640178bd6
- Adresses de sa fiche matricule
Donc en 1898 il est bien en Algérie , province d’Oran. Mais le plus intéressant se trouve en bas de page :
- Au bas de sa fiche matricule
Il a été reformé le 16 décembre 1908 pour aliénation mentale. |
Après avoir été arrêté et interné à Privas en Ardèche, il s’évade mais est repris.
- "La Tribune de l’Aube" du 5 mars 1909
Par ce biais, nous connaissons le fin mot de l’histoire. Interné à l’hôpital psychiatrique de Privas, je pense qu’il a dû y finir ses jours. Dans les tables décennales des archives de Privas, je trouve un Joachim Borel décédé le 16 juin 1930.
Pour revenir sur son parcours, sur son acte de naissance est noté en marge son mariage avec Léonie Augustine André le 27 février 1904 à Glandage.
https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/6wszd49t3bvq/87501e68-a23d-4510-995e-4c69a3d600a5
- Extraits de son acte de mariage
- Mariés le 27 février 1904 à Glandage
Au vu de ce document le père du marié était aussi en Algérie et y a laissé sa vie. La concession du terrain accordée par l’état était au nom de Borel Joachim (est-ce son père ou Louis Joachim ?).
Beaucoup de Drômois se sont expatriés à l’époque en l’espoir d’une vie meilleure. D’après l’article cité plus haut, cela à l’air idyllique, le climat, la terre arable…..mais ceci est une autre histoire !
Donc après la mort de son père, notre Louis Joachim Borel rentre au pays. Il épouse une très jeune fille et on sait que d’après le journal, au moment des faits, il est veuf. Qu’est-il arrivé à cette jeune femme ?
Ce qui arrivait souvent à l’époque :
https://archives.ladrome.fr/ark:/24626/hs6k39mrgltw/6b402db3-fd45-4d58-9c8e-7e58345df788
- Extrait de l’acte de décès de Léonie
A Châtillon, à neuf heures du soir, Léonie est morte en couches le 16 juin 1906 : elle a accouché à huit heures du soir d’un enfant "sans vie du sexe féminin". Elle n’avait que 19 ans !
Est-ce ces événements qui l’ont fait basculer dans la folie ?