Marie-Jeanne Fourn épouse Morvan referme la porte de chez elle à Recouvrance [1]. Par ce petit matin de janvier 1917, le froid la saisit. Elle s’est levée tôt pour partir à la gare, une voisine s’occupera des enfants, elle leur a dit qu’elle embrasserait leur père pour eux. Leur père, son mari, est à Quimper.
Depuis son retour de la Grande Guerre, il est pris en charge par un organisme spécialisé dans les traumatismes de cette foutue guerre. Dans le Finistère, l’asile Saint-Athanase soigne, essaie de soigner, ceux qui gardent des blessures invisibles.
François Morvan et Marie-Jeanne sont tous les deux du Léon [2], comme de nombreux Brestois. Lui de Porspoder, elle de Larret. C’est entre mer et campagne qu’ils ont grandi et se sont connu.
François s’est engagé dans la Marine Marchande en 1901 [3] aussi, quand Marie-Jeanne le rencontre, le prestige d’une situation établie a certainement fait son effet. En raison de sa profession de marin au commerce, le couple se rapproche de Brest, si possible à quelques encablures du port. Mais sans doute le Pont National représente-t-il une frontière, un cap à ne pas franchir ? Les jeunes mariés s’installent à Recouvrance.
Dans le train qui la mène à Quimper, Marie-Jeanne se prend à imaginer si la guerre n’avait pas eu lieu… Tout serait différent. Elle ira voir son mari aussi souvent qu’elle le pourra.
Mais le 11 mars 1917 est son dernier voyage ; elle ne se lèvera plus si tôt, elle n’ira plus à la gare prendre le train pour Quimper, François s’est éteint hier.
Marie-Jeanne se remarie l’année suivante à Recouvrance avec un marin vétéran qui succombe en 1935 ; mais elle est déjà partie pour son dernier voyage en 1929.