Voici Alphonse CROVISIER, maréchal-ferrant, qui s’essaye aux nouvelles techniques...
N’a t-il pas l’air martial ?
- Alphonse Crovisier sur son engin.
Regardez s’il est fier, ce vélocipédiste !
Etait-ce déjà le mot "ad hoc" pour ceux qui pratiquaient ce genre d’activité ?
Cet homme altier, posant pour la postérité sur sa belle machine, est un ascendant du 19e siècle.
Il répondait au nom d’Alphonse Crovisier.
Né le 7 novembre 1852 en Alsace, dans le village de Witternheim, de Aloïs (né en 1817) et de Hélène Christ (née en 1819), il était issu d’une famille d’agriculteurs bien connue dans cette région du Ried, entre Sélestat et Erstein.
Son grand’père, Nicolaï, 5e de 7 enfants, avait été durant 40 années le maire du village.
Depuis environ 1730, cette famille était installée à Witternheim, l’ancêtre, autre Nicolaï, étant né sur les contreforts des Vosges, à Colroy, de parents venus avant 1680 de Raon l’Etape (Vosges).
Alphonse, lui, quitta la condition d’agriculteur pour celle de maréchal-ferrant, installant d’abord son atelier dans un petit local à Benfeld, chef lieu du canton, près de l’église.
Avec son épouse, Marie-Victorine Warth, ils eurent 4 filles et 5 garçons. Parmi ces derniers, 4 reprendront "le métier", Joseph et Auguste comme maîtres-forgerons et Camille, le dernier, comme maître serrurier-ferronnier, transmettant également leur art aux descendants.
Alphonse aimait son métier, posant durant des décennies des fers aux pieds des chevaux de la ville et des environs. Mais il aimait aussi, pendant ses loisirs, travailler le fer, fabriquant des objets de toutes sortes, utiles ou non. Sans faire de jeu de mots, c’était "le dada" du maréchal-ferrant !
C’est probablement ainsi, le voyant faire, que ses fils embrasseront la vocation de forgerons et de ferronier.
Mais venons-en à l’histoire de cette machine que nous voyons sur cette photographie prise vers 1895.
En 1817, un engin bizarre était apparu : la draisienne, qui permettait de se déplacer avec l’aide des jambes.
Elle sera un engin peu pratique et peu utilisé par le commun des mortels. Pourtant en 1861, à Paris, un nommé Pierre Michaux y ajoutera "un axe coudé dans le moyeu de la roue..." une amélioration simple mais pratique, qui deviendra la pédale.
Vers 1870, naît "le grand-bi", avec une petite roue à l’arrière, et une énorme roue à l’avant, dont le diamètre atteindra jusqu’à 3 mètres, munie de pédales.
Vers 1875, on y adjoindra des rayons métalliques, remplaçant ceux en bois, et vers 1880 l’engin, avec une chaîne et un cadre, ressemblera à celui que l’on connaît aujourd’hui.
Enfin, vers 1891, on ajoutera des pneumatiques.
La machine que l’on voit ici fut construite, vers 1876 semble-t-il, par.... Alphonse lui-même !
Ce n’est plus un "grand-bi", mais la roue avant est encore d’un diamètre supérieur à la roue arrière.
L’engin est mû grâce à des pédales, dans le moyeu de la roue avant, donc sans encore de chaîne. Les rayons sont en bois, et il n’y a pas de pneumatiques.
Par contre, il semblerait qu’il y ait eu une sorte de frein, que l’on apercevrait, au-dessous de la selle, frottant sur la roue arrière.
Cette machine avait vu le jour suite à une sorte de pari, de défi !
L’équipe municipale du lieu était réquisitionnée chaque année pour participer à l’organisation d’une fête, au cours de laquelle déambulaient dans les rues des chariots décorés et des habitants portant des costumes de différentes époques, accompagnés de groupes de musique folklorique.
Alphonse voulait marquer cette manifestation d’un peu de "modernisme". Comme il parlait souvent de ces nouveaux engins, certains de ses amis le mirent au défi d’en fabriquer un...et Alphonse les prit au mot !
On avait un peu oublié l’anecdote, mais, au fond de son atelier, Alphonse, patiemment, travaillait chaque jour pour réaliser sa machine.
Et le jour de la fête... quelle ne fut pas la surprise générale !
Alphonse, monté sur son vélocipède, fier comme artaban, l’air martial et satisfait, paradait en tête du défilé, sous les applaudissements des spectateurs ébahis.
Par la suite, il le sortit fréquemment, le montrant à qui le lui demandait.
Puis un jour, il voulut matérialiser son oeuvre pour la postérité, et fit réaliser cette photographie.
La tradition familiale nous a transmis cette singulière histoire... mais malheureusement pas la belle machine.
On sait seulement qu’elle a séjourné assez longtemps, par la suite, au fond de la forge, et qu’elle serait ensuite partie en Suisse, dans un village près de Bâle, emportée par un cousin collatéral.
Plus personne ne sait depuis ce qu’elle est devenue, mais nous en conservons la trace à travers une belle histoire, et la photographie de l’engin, piloté par son constructeur.
La maréchalerie Crovisier, vers 1925, avec au centre Camille, fils d’Alphonse.