Gabriel Pallier, qui va fêter ses 92 ans, est un ancien combattant hors du commun. « J’étais presque heureux pendant la guerre, j’étais jeune et insouciant » dit-il aujourd’hui. « Même si Verdun c’était l’horreur ».
« La guerre m’a follement amusé. J’étais heureux, j’aimais mon avion, mes camarades. J’ai vu aussi des choses atroces en 1914-18, des amis mourir à côté de moi. Mais j’étais jeune et insouciant » . Gabriel va fêter ses 92 ans le 19 octobre prochain. L’œil coquin, le sourire en coin, il balaie, d’une seule remarque amusée tous les poncifs sur les anciens combattants. Certes, il a connu l’enfer de Verdun, les tranchées et aussi l’autre guerre mondiale, la seconde, mais il ne veut en rien et surtout pas jouer à l’ancien combattant. D’ailleurs, il a en horreur les distinctions et les réunions de groupe en tous genres. Et s’il se rendra à Draguignan le 11 novembre prochain il ne sait même pas quel type de médaille il va recevoir. Mais ça lui fait quand même plaisir ! C’est vraiment pas un poilu comme les autres, papy Gabriel !
Dans sa chambre de la maison de retraite du Bonfin, Gabriel Pallier ne s’est pas entouré de ses souvenirs de guerre, loin de là. Pas de médaille, pas de diplôme, pas de ce qu’il appelle « des gris-gris qui font pencher la poitrine ». Non, il vit avec son temps, la télé, les journaux et sa famille, à laquelle il ne rabat sûrement pas les oreilles de ses souvenirs du temps passé. Et s’il accepte de raconter un peu « sa » guerre, c’est par petites touches, en quelques images. Visions impressionnistes de deux conflits.
Les canards de la Somme
Gabriel Pallier s’est engagé à 17 ans, « en trafiquant ma date de naissance » dit-il avec malice. « Je voulais gagner un an ».
Cavalier sortant de Saumur, il rêvait d’avion, de ciel bleu. Il est alors maréchal des logis à Arras, d’où il est chassé par « les uhlans » (troupes allemandes). Il apprend ensuite à piloter en moins de trente heures, sur le « Caudron G-3 » qui avançait moins vite que les canards de la Somme. Il se souvient avoir abattu trois avions dans la Meuse, en 1917.
« Je me prenais pour un chevalier de l’air », dit l’ancien combattant « Fanfan le tulipe, et tout... L’escadrille, c’était beau. Il y avait une ambiance de camaraderie extraordinaire entre nous. Le moment fantastique, quand on s’est senti maître du ciel, le jour où les allemands fuyaient. En 1918, ils refusaient le combat. Nous étions fiers, nous nous sentions des âmes de vainqueurs. Si c’était dangereux ? Nous étions 18 dans l’escadrille. Elle s’est renouvelée deux fois. J’ai eu de la chance. J’avais l’insouciance de la jeunesse. Tout m’amusait follement. »
Un vrai feu d’artifice
Verdun, papy Pallier n’en parle pas trop. Par provocation sans doute, il évoque la beauté des relèves de la nuit, lorsque les Français, comme les Allemands, envoyaient des fusées éclairantes qui zébraient le ciel : « Un vrai feu d’artifice ».
Il se souvient aussi des horreurs, des rats, compagnons de tranchées ; de la soupe qui n’arrivait pas les jours de bombardement ; et des morts, des
cadavres. « Mais j’étais fataliste. Je me disais que l’homme qui venait de tomber à côté de moi, d’une balle dans la tête, ça aurait pu être moi. C’est tout ».
Sa seule obsession, à cette époque, c’était de faire en sorte que l’aviation française soit meilleure que l’allemande. Même pas de sauver sa peau.
Indépendance
Après la guerre, Gabriel Pallier a continué une carrière militaire, commandant notamment l’école d’instruction de pilotage. Il a formé quatre promotions de jeunes pilotes. « Les meilleures, bien sûr », ajoute-t-il avec malice.
Il a fait ensuite la guerre de 1939-45, dont il garde « un très mauvais souvenir ». Celui des « combattants abandonnant leur paquetage et fuyant ».
- Le Commandant Pallier, à Chantily-les Aigles, en mars 1940.
Il n’a pu aller en Angleterre sinon « J’aurais gagné mes étoiles ». Enfin, il a travaillé à l’état-major de la région aérienne de Paris.
Colonel, grand-père et arrière-grand-père, ce vieil homme n’a jamais voulu s’inscrire à aucune association. « Par esprit d’indépendance », dit-il simplement.
Commandeur de la Légion d’honneur pour faits de guerre, Croix de guerre 1914-18 et des T.O.E., voilà des « grigris », comme il dit, qu’il n’étale
pas volontiers, par modestie sûrement.
- En famille avec ses deux grands enfants en 1988.
Cet ancien combattant déroutant, sourit à tout et à la vie. Et dit comprendre parfaitement la « décontraction » des mentalités actuelles. C’est cette ouverture d’esprit qui lui donne, sans doute, cet air de jeune homme qui se rit de tout, sans amertume d’un homme ayant vécu ses 20 ans le fusil à la main.
Mon grand-père Gabriel Pallier, par son origine eurasienne, représentait déjà pour l’époque un modèle d’ascension professionnelle, sociale et raciale, issu de l’Union française. Je regrette que sa carrière exemplaire de pilote de chasse ait été brutalement interrompue à la veille de la Bataille de France, pour des considérations futiles après une brillante trajectoire, et alors que son pays ne pouvait se permette de faire l’impasse, sur des hommes de son expérience. Je regrette aussi que son refus de servir l’occupant, l’ait d’avantage desservi pour la suite de sa carrière, que certains contemporains qui ont opté eux, pour la collaboration. |