Ce cliché est d’avant 1909, date à laquelle les Malange ont acheté l’épicerie Bouyssonnet. La date est exacte, j’ai lu l’acte notarié.
Le banc est situé sur la place d’Armes de Belvès, en face de la halle, au soleil à partir de midi. Il a toujours été le lieu où l’on se rencontrait après le repas. Les premiers arrivés occupaient le banc, les autres restaient debout ou s’asseyaient sur le trottoir, mais les plus vieux avaient priorité. On évoquait les derniers potins, on proposait de réformer le monde, enfin, le monde de la commune, ou parfois même du département. Chacun avait sa solution, étayée par de solides exemples.
Il en était de même sur l’agora d’Athènes, et en ce sens nous sommes plus près des Grecs que des Romains, nous disait Deluga, notre professeur de lettres.
Après deux heures, les travailleurs cédaient la place aux vieux qui sortaient de leur sieste et ne songeaient plus à bouleverser le monde.
L’épicerie Bouyssonnet arbore l’inévitable chocolat Menier et présente en devanture des carafes et des attrape-mouches derrière des carreaux sales. Ces pièges, où se prenaient aussi les guêpes, étaient un spectacle peu ragoûtant sur la table de la cuisine. On appréciait l’épaisseur des cadavres flottant sur le vin et l’on regardait avec délectation les prisonnières cherchant désespérément l’issue.
Sur le banc, le premier personnage somnole ; la femme assise sur le trottoir s’amuse de voir qu’Antoine le photographie dans cette posture. Au milieu, l’homme a ôté son grand chapeau pour prendre la pose : c’est heureux car on peut voir sa belle tête, ses yeux vifs et sa moustache à la gauloise.
C’est une institution, ce banc, il est resté là jusqu’à la fin du siècle. La propriétaire actuelle l’a rangé dans sa cave, il attirait trop de monde devant l’entrée de sa maison.
Encore une aimable tradition qui se perd.
Découvrir Le Périgord d’Antoine Carcenac : (photographies 1899 - 1920).