- L’ange du silence
Dans le « Génie du christianisme », Chateaubriand fait suivre l’ange du silence, par l’ange de la nuit et l’ange du mystère. Cette trilogie, comme un avertissement, incite à ne jamais trahir le secret de ce mystérieux massacre de six personnes dans le parc du château de Vitry dans la nuit du 20 au 21 avril 1796, qui demeure jusqu’à nos jours une énigme.
Si les victimes sont bien connues, leurs assassins et leurs éventuels commanditaires n’ont jamais été identifiés. Des noms d’hommes politiques célèbres et de grands financiers sont cités et on évoquera même des liens avec l’affaire du jeune Dauphin officiellement mort au Temple un peu moins d’an plus tôt. Mystère aussi sur les motifs du massacre : affaire politique ou/et financière, brigandage à la mode du temps, luttes familiales à enjeux d’héritages ?
Aucun témoin de la tuerie, des suspects relâchés faute de preuves, aucun coupable plausible et, pour couronner le tout, le dossier de l’affaire qui disparaît mystérieusement des archives de la Police générale dans les premières années du Consulat…
Pascal ne voulait croire qu’aux histoires « dont les témoins se feraient égorger ». Ici seules les victimes se font égorger et témoignent de la réalité de notre histoire. On osera donc braver l’interdit de l’ange du silence en soulevant le voile du temps pour rassembler, à partir de différentes archives, les principaux éléments de l’affaire et les pistes d’enquête pour étayer les hypothèses les plus plausibles.
Château de Vitry-sur-Seine
Évitons tout de suite au lecteur un déplacement à Vitry-sur-Seine pour voir les lieux du crime : il ne reste plus rien aujourd’hui ni du château, ni du parc sauf une grille curieusement conservée et restaurée et par laquelle se seraient introduits les assassins.
- En rouge : au nord, situation du château, au sud, la grille subsistante
Vitry 2009
Comme on l’a dit le parc a fait l’objet d’une opération de lotissement en 1903 et le corps principal du château subsistant fut démoli en 1911 ; la petite annexe de style Louis XVI qui jouxtait le château vers l’est, un temps préservée, fut rasée à son tour en 1930. Il faut donc aujourd’hui beaucoup d’imagination pour se figurer à l’est de l’église Saint Germain conservée elle comme monument historique, le château et la propriété de François-Gaspard Petit de Petit-Val au moment des évènements. Le promeneur actuel ne pourra remarquer, à l’emplacement même du château au nord de la propriété, qu’un bâtiment qualifié de Galeries municipales et, comme dernier vestige en dehors de l’ange du silence transporté à Versailles, une grille qui donne sur l’actuelle place des martyrs de la déportation, limite sud du domaine.
- Les galeries municipales ont remplaçé le château
- Un nom de rue, à proximité
(Voir la grille infra)
Le château de Vitry en 1796
On ne dispose donc aujourd’hui d’aucun vestige pour reconstituer les lieux des crimes. Des cartes postales anciennes ainsi que des descriptions d’érudits et d’amateurs locaux permettent cependant de tracer quelques repères.
Dans son ouvrage : « En flânant à travers la France. Autour de Paris » (1910), André Hallays décrit le château : « Deux pavillons délicats encadrent la porte et à l’intérieur leurs façades s’infléchissent harmonieusement pour former l’entrée d’une grande cour circulaire. Puis, séparée par une grille, s’ouvre une seconde cour où s’élève la façade du château. La maison n’a qu’un étage avec une terrasse à l’italienne. Un comble domine la partie centrale du bâtiment. Le décor est sobre : de fins mascarons ornent les clefs des fenêtres du rez-de-chaussée. Du côté du jardin, la façade présente des mouvements un peu plus accusés. Au milieu, quatre pilastres forment un portique dont la corniche supporte les statues des quatre saisons. Le château mesure quinze fenêtres de façade. Ses proportions sont d’une justesse merveilleuse. Ajoutez à cette beauté créée par le talent de l’artiste, le pittoresque des arbres qui encadrent la maison et à travers lesquels on aperçoit le clocher de la vieille église de Vitry… »
Observons que l’auteur de ces dernières lignes s’efforça vainement à partir de 1905, de convaincre l’administration des Beaux-Arts et la municipalité de Vitry de sauver l’édifice en y installant la mairie. Après le lotissement du parc, ce fut la démolition complète du château en 1911.
- Plan du château
Fait divers
Un procès-verbal du juge de paix du canton de Villejuif, établi le matin même du massacre et repris dans le registre de l’état-civil de Vitry-sur-Seine (Voir image ci-dessous) en date du 3 floréal constate que sont « décédés et morts violemment dans la nuit du 1er au 2 floréal » :
- François-Gaspard-Philippe Petit du Petit-Val (48 ans)
- Anne-Marguerite Rodrigues, veuve Donat, sa belle-mère (55 ans)
- Marguerite Rodrigues, veuve (Dupont) du Chambon, sœur de la précédente (43 ans)
- Victoire (Hélène) Rodrigues, sœur de la précédente (40 ans)
- Louise Linot, femme de chambre de la Dame Donat (29 ans)
- Gertrude, femme de chambre de la femme du Chambon. (36 ans)
Ni le fils du Petit-Val, Alexandre-Gaspard, âgé de presque dix ans, ni les autres serviteurs présents au château, ne furent attaqués ; aucun vol en argent ou objet de valeur ne fut constaté et on ne releva aucune trace d’effraction. On retrouvera seulement quelques jours plus tard dans un champ à l’extérieur du domaine du château un « portefeuille » (Au sens du XVIIIe : sorte de cartable classeur en cuir servant à renfermer des papiers) vide de tout document et identifié comme ayant appartenu au financier.
- Acte de décès des six victimes
Le journal Le Républicain (« Journal des hommes libres ») du 3 floréal an IV (vendredi 22 avril 1796) va être le premier à relater le fait divers et à lancer l’affaire en pâture à l’opinion publique :
« Le citoyen Petit-Val, demeurant à Paris, quai Voltaire, au coin de la rue des Saints-Pères, acquéreur de plusieurs biens nationaux entre autres du domaine de Vitry, vient d’être assassiné la nuit du 1er au 2 floréal, avec sa belle-mère, sa mère, deux femmes de chambre et deux domestiques femelles. Le fils de la maison, âgé de dix ans et couché auprès de sa belle-mère a été épargné. Un valet de chambre, couché non loin de l’appartement du citoyen Petit-Val, un cuisinier et un jardinier n’ont rien entendu. Le crime a été commis à une heure du matin, dans le parc où on a trouvé le cadavre et, non loin, des bûches ensanglantées et un tronçon de sabre…Il est difficile de conjecturer de quelle passion ce citoyen a pu être victime, vu que son nom n’est attaché à aucun souvenir révolutionnaire… »
Erreurs sur le nombre des victimes et sur certaines identités, affirmations sans preuves et détails fantaisistes n’empêchent pas le même journal d’ajouter le 25 avril : « Qu’attendez-vous citoyens Directeurs pour vous prononcer contre ces assassins ? Ne vous opposerez-vous à leurs forfaits que quand vous verrez leurs bandes ensanglantées marcher sur vous à travers les cadavres des patriotes ? …Non, nous avons dit : « Prévenez-les, ils égorgent les patriotes. Nous vous disons aujourd’hui : prévenez-les, ils vont vous égorger vous-mêmes ! »
Avant même ces objurgations, le gouvernement du Directoire (Barras, Carnot, Letourneur, La Revellière et Reubell) avait cependant diligenté une enquête à Vitry pour faire les constatations sur la scène de crime et rechercher les assassins.
Scène de crime
En cette fin du XVIIIe siècle, on est très loin des pratiques méthodiques de nos polices scientifiques d’aujourd’hui. En lieu et place de nos fameux « experts » contemporains qui sécurisent, filment et photographient la scène de crime, recueillent méticuleusement tous les indices et les soumettent aux analyses physiques, biologiques et chimiques, on imagine les deux gendarmes de Vitry parmi les curieux qui piétinent le parc, plus pressés de faire enlever les corps mutilés que de recueillir des indices dont ils ne sauraient d’ailleurs que faire.
On ne trouvera donc pour imaginer la scène que le récit des deux premières personnes interrogées par les enquêteurs : les frères Étienne et Henri Lorotte, serviteurs au château.
Comme chaque matin, ce 21 avril 1796 vers six heures, ils arrivent devant la grille qui ferme le fond de la propriété au sud, à l’extrémité de l’allée des marronniers.
- Seul vestige : la grille, entrée sud de la propriété
Surpris de trouver la grille grande ouverte les deux frères s’engagent dans la grande allée qui conduit au château. Ils découvrent bientôt, à une centaine de mètres au milieu de la pelouse, un premier corps de femme gisant dans une flaque de sang. Ils reconnaissent Madame Dupont du Chambon la poitrine et le cou dénudés et tailladés sans doute à coups de poignards. Un peu plus loin c’est le cadavre de Louise Linot, qu’ils trouvent presque décapitée comme par un coup de sabre, aux dires des serviteurs. À quelques mètres d’elle c’est Mlle Victoire Rodrigues, « haut troussée » (sic), éventrée, les entrailles étalées alentour.
Poursuivant leur marche vers le château ils sont bientôt devant la façade où ils découvrent le corps de leur maître, François-Gaspard Petit du Petit-Val : la gorge est ouverte d’une plaie béante, l’œil droit, à-demi arraché pend le long de la joue, la main gauche est sectionnée ; quant au crâne il a éclaté sous des coups de bûches laissées à côté, et couvertes de sang et de morceaux de cervelle humaine.
Un peu plus tard on retrouvera sur la pelouse l’autre servante, Gertrude, massacrée elle aussi semble-t-il à coups de sabre. Enfin c’est la veuve Donat qu’on découvre bientôt égorgée dans son lit.
Les policiers relèvent que l’état maladif des hôtes du château, leur sexe, leur âge, n’exigeaient pas une force très grande ni un nombre important d’assassins. Deux hommes solides et vigoureux pourraient avoir accomple le forfait.
On s’arrêtera donc là en s’en tenant aux documents d’état-civil de Vitry-Sur-Seine qui recensent effectivement ces six victimes. Pour autant et bien plus tard certains historiens ajouteront une autre femme totalement décapitée et un valet de chambre abattu sur le perron du château ; pour faire bonne mesure d’autres récits à sensations recenseront même douze voire quinze victimes mutilées et éxécutées.
En dehors des journaux qui rapidement oublièrent l’affaire, des érudits et mémorialistes reviendront plus tard sur cette affaire sans d’ailleurs apporter de nouveaux éléments vérifiés ; il en est ainsi de Mme d’Abrantès, veuve d’Andoche Junot, qui rapporte l’affaire dans ses mémoires en brodant à partir de toujours les mêmes éléments, joliment mis en scène et illustrés de jugements, de suppositions et de détails propres à provoquer l’intérêt du lecteur. Pour autant la mémorialiste se garde bien d’avancer la moindre hypothèse sur l’identité des assassins.
Éléments biographiques
À part les deux servantes, dont on peut supposer qu’elles ont été assassinées pour la seule raison qu’elles se trouvaient là et risquaient d’être des témoins gênants, on trouve comme victimes : le maître des lieux, François-Gaspard-Philippe Petit du Petit-Val et les trois sœurs Rodrigues
François-Gaspard-Philippe Petit du Petit-Val, propriétaire du château de Vitry-sur-Seine, et principale victime, était né le 17 juillet 1747 à La Rochelle. Receveur général des fermes de La Rochelle, il hérite en 1784 à la mort de son père d’une fortune considérable qu’il va faire fructifier. En 1785 il épouse Anne-Suzanne-Marguerite Donat de Saint-Coux, née Rodrigues, dont il a un fils en 1786, Alexandre-Gaspard. Mal remise de ses couches, sa femme meurt en 1787 et il s’installe alors à Paris avec son fils, sa belle-mère et les deux sœurs de cette dernière, dans un très bel immeuble qu’il vient d’acheter à l’angle du quai Voltaire et de la rue des Saints-Pères. Puis le 25 janvier 1790 il achète le château de Vitry comme maison de campagne et où il va vivre pendant la Terreur. Durant toute la période révolutionnaire et malgré plusieurs dénonciations, Petit-Val parvient à n’être jamais réellement inquiété et il semble avoir accepté la Révolution sans réticences. Au moment de sa mort tous les témoignages s’accordent pour affirmer que Petit-Val était à la tête d’une immense fortune qui le fait le plus souvent qualifier de « financier » sans que l’on puisse déterminer précisément la nature de ses affaires en dehors de prêts à l’État pour des fournitures aux armées.
Les trois sœurs Rodrigues :
- Anne-Marguerite Rodrigues mère de l’épouse décédée du financier a 55 ans ; elle est veuve de Jean-Anne-Gabriel Donat, chevalier, seigneur de Saint-Coux,.
- Marguerite Rodrigues a 43 ans ; elle est veuve de Charles-François Dupont du Chambon, écuyer, Chevalier de Saint-Louis, capitaine au régiment de Blois.
- Victoire-Hélène, dite « Mlle Hélène » la cadette a 40 ans, n’a pas été mariée.
Les deux premières, veuves d’aristocrates, sont des rescapées des prisons de la Terreur et, complètement ruinées, elles n’avaient eu d’autres ressources que de demander l’hospitalité de Petit-Val. Celui-ci toujours charitable envers les membres de sa famille les avait accueillies à Vitry ainsi que la cadette qui apportait tous ses soins au jeune Alexandre-Gaspard, chétif et de santé fragile.
Pistes d’enquête et hypothèses
Affaire de famille et d’héritage ?
Où se révèle la convoitise des héritiers de Petit-Val...
Après le mort de Petit-Val les querelles entre les branches familiales paternelles et maternelles vont se développer pour mettre la main, par l’intermédiaire d’un tuteur désigné du jeune héritier, sur un héritage considérable qui attise les convoitises. Pour autant il n’y a aucune preuve que ces querelles familiales posthumes aient été jusqu’à la préméditation des assassinats.
Comme on l’a vu le fils de François Petit du Petit-Val avait été épargné lors du massacre et ce jeune garçon était désormais le seul héritier à neuf ans d’une très grosse fortune. Du côté paternel tout le monde ayant émigré il ne restait en France que le frère cadet du banquier défunt Pierre-Alexandre Petit du Petit-Val qui se trouvant le plus proche parent, fut désigné le premier pour administrer ses biens. L’homme va alors être l’objet de plusieurs dénonciations successives comme quoi il figurait sur la liste des émigrés qui tenait lieu de preuve de son émigration. Malgré ses dénégations il va se retrouver condamné et emprisonné au Temple.
La famille du côté maternel, ruinée par la Révolution, va alors profiter de cette mise à l’ombre pour obtenir la revanche qu’elle attendait depuis la mort du financier. Un grand-oncle maternel, Pierre Rodrigues aîné, frère des trois victimes féminines du massacre, fut alors nommé tuteur. Le côté maternel pensa pouvoir enfin mettre la main sur la fortune de l’orphelin. Un peu plus tard cependant la preuve est faite que les dénonciations étaient « fausses, calomnieuses et dictées par l’intérêt » et vraisemblablement manigancées par Frédéric-Joseph-Louis Dupont du Chambon, fils de l’une des victimes féminines. Pierre-Alexandre Petit du Petit-Val est alors libéré et reprend sa fonction de tuteur. En 1799 nouvelles dénonciations anonymes contre le tuteur mais le 18 avril 1801 le fameux pupille meurt à l’âge de quatorze ans et demi.
L’événement tant attendu par la famille maternelle se solde pourtant par une déception : l’héritage est partagé par moitié entre la famille paternelle et la nombreuse famille maternelle dont la part se trouva ainsi très morcellée.
Ces démêlées familiales posthumes n’apportent aucun élément susceptible de faire porter la responsabilité du crime de Vitry sur l’un où l’autre des membres de la famille maternelle. Pourtant on va les voir activement tenter de détourner les soupçons sur une autre piste : les frères Pierre Michel et Marc-Antoine Michel. Il s’agissait de très riches financiers qui, ayant parait-il emprunté des sommes considérables à François Petit du Petit-Val auraient au moins combiné cette sombre affaire pour éviter de rembourser ce qu’ils lui devaient. Faute de preuves on va voir que cette piste fut abandonnée.
Affaire politique/financière ?
Où des débiteurs peu scrupuleux auraient effacé leurs dettes en supprimant leur créancier...
En dehors des parents de Petit-Val et des frères Michel, beaucoup d’autres personnes avaient un intérêt financier à sa mort. Il s’agissait en particulier de plusieurs ex-conventionnels bien connus comme Rovère, Fouché, Tallien, Freron, Barras et d’autres encore. Non seulement ces "thermidoriens" avaient eu besoin d’acheter plusieurs députés pour abattre l’incorruptible, mais ils avaient aussi emprunté à Petit-Val pour leurs besoins personnels des sommes estimées à huit cent cinquante mille livres. Comme Petit-Val était en rapport avec quantité de gens de finance et des marchands de biens avec lesquels il montait de fructueuses affaires, il avait eu besoin d’appuis de personnages haut placés. Ceux-ci lui auraient soutiré des sommes importantes en monnayant des promesses d’interventions ou d’influences qu’ils n’auraient pas tenues. Parmi les bénéficiaires des largesses intéressées de Petit-Val on cite aussi Cambacérès qui aurait reçu la somme de 95000 livres pour une raison inconnue.
Il est évident que tous ces personnages séparément ou ensemble auraient pu organiser la disparition de Petit-Val et la récupération de documents compromettants pour régler définitivement leurs dettes et mettre leurs réputations à l’abri de tout soupçon de corruption.
Ainsi, l’affaire dépasse de beaucoup l’intérêt de l’énigme policière car, par les personnages en cause, elle attire l’attention sur la question encore si mal connue des rapports des manieurs d’argent avec les hommes politiques.
Mais là encore aucune preuve ; le silence se fit rapidement sur cette affaire sous le Directoire et, dès le début Consulat, opportunément, le dossier de la police générale disparût mystérieusement. Il est vrai qu’à l’époque le second Consul, Cambacérès y trouva sans doute avantage tandis que les fameux frères Michel apparaissaient encore (pour plus de 7M. de francs) au nombre des nombreux créanciers de l’État ; ils étaient en bonne compagnie avec les Récamier, Laffitte, Ouvrard, etc. Nul doute que si Petit-Val avait été vivant, il eût été de la partie.
Affaire d’État ?
Où l’on tente d’égarer les soupçons en présumant un assassinat politique : la piste Louis XVII…
Parmi les nombreuses hypothèses concernant le sort de l’enfant royal enfermé à la prison du Temple et officiellement mort le 8 juin 1795 on trouve une piste qui passe par le château de Vitry et Petit-Val.
Selon cette conjecture l’enfant mort au Temple n’était pas le dauphin mais un enfant du même âge, chétif et malade, qu’on lui aurait substitué. Moyennant finance et avec la bénédiction de Barras, le jeune Dauphin aurait été remis à Petit-Val pour qu’il le garde sous un faux nom dans son château de Vitry. Au moment du massacre ce vrai faux dauphin se serait enfui, etc. À l’appui de cette thèse on se sert même d’une lettre de Babeuf, produite à son procès, écrite le 9 mai 1796 qui disait : " Il m’a été assuré, aujourd’hui, que les personnes assassinées à Vitry l’ont été par ordre du Gouvernement et que le motif est que le Dauphin n’est pas mort". Ceci est évidemment une autre histoire et il nous faut revenir alors sur les causes précises du massacre.
Dans cette hypothèse seul Petit-Val et peut-être ses proches vivant au château auraient été en mesure – éventuellement preuves de la substitution à l’appui – d’affirmer que le jeune garçon dont ils avaient la garde était le jeune dauphin. Il faut alors rechercher qui aurait eu intérêt à supprimer ces preuves et à s’en tenir finalement à la mort du dauphin le 8 juin 1795. Il y a d’abord les organisateurs de la substitution qui en raison des évolutions politiques avaient désormais intérêt à dissimuler leur intervention mais il y avait aussi les deux oncles paternels du dauphin, les plus menacés par sa survie : le comte de Provence qui se faisait désormais appeler Louis XVIII et son cadet, le comte d’Artois qui deviendra plus tard Charles X. Que des sbires bien intentionnés des uns ou des autres aient cru bien faire et s’attirer des récompenses en donnant, sans ordres, un coup de pouce à l’histoire de France, personne ne saurait le dire.
Cette dernière hypothèse est évidemment aujourd’hui battue en brèche par les analyses ADN du cœur de l’enfant mort au Temple le 8 juin 1795, conservé à Saint-Denis, qui ont prouvé qu’il s’agissait bien de celui de Louis XVII (Voir les travaux de l’historien Philippe Delorme). Dans cette surenchère d’énigmes notons toutefois que d’aucuns prétendent désormais que s’il s’agit bien du cœur d’un Bourbon, il s’agirait de celui du frère aîné de Louis XVII, Louis-Joseph mort en 1791. On se gardera ici d’évoquer en plus les revendications Naundorff.
Les célèbres historiens médiatiques André Castellot et Alain Decaux n’ont fait que confirmer l’énigme :
- Castellot2
- Lettre de André Castelot
Au risque de laisser maintenant nos lecteurs sur leur faim - saus à ce qu’ils poursuivent eux-même l’enquête- il nous faut abandonner là les conjectures sans même pouvoir appuyer une hypothèse. Un jour peut-être le fameux dossier de police, mystérieusement disparu, réapparaîtra apportant la solution de l’énigme. En attendant l’ange du silence de Versailles garde son secret.
Une semaine après les six meurtres du château de Vitry, jour pour jour, à seulement 30 km au sud, éclatait la fameuse affaire du courrier de Lyon qui trouva nombre d’historiens, romanciers, auteurs dramatiques et cinéastes pour l’illustrer. Les six meurtres perpétrés à Vitry passèrent alors au second plan avant d’être oubliés. Déjà un scoop chassait l’autre et les massacres révolutionnaires avaient rendu les morts violentes plus familières, relativisé le prix de la vie humaine et émoussé la sensibilité du public ; en outre le climat d’insécurité générale qui régnait en cette deuxième année du Directoire avait calmé l’ardeur de policiers blasés et débordés. Les bandes de brigands plus ou moins « chauffeurs » infestaient les campagnes et de préférence, les abords des grandes routes et la région parisienne. Paysans et citadins se barricadaient chez eux dès la chute du jour. Les rapports des brigades de gendarmeries étaient pleins de vols à main armée et même d’assassinats dont on retrouvait rarement les auteurs.
L’affaire Petit-Val ne fait donc pas vraiment exception mais demeure toujours une énigme à raison même de l’absence remarquable de vol qui a orienté les conjectures sur les relations familiales, politiques ou financières du banquier Petit-Val. À défaut d’éléments de preuves on a vu que les hypothèses sont allées bon train jusqu’à y superposer l’énigme du jeune Dauphin et que des suspects tentèrent d’accréditer des pistes qui les innocentaient. En même temps les lenteurs de l’enquête, les falsifications et disparitions de documents, la mollesse de l’instruction judiciaire et l’inertie de la justice sont propres à susciter les soupçons. Faut-il vraiment s’en étonner alors que certaines « affaires » contemporaines (Sur 1000 homicides par an en France en 2008, 200 sont restés non résolus) demeurent toujours inexpliquées malgré leur médiatisation et la débauche de moyens d’investigation et d’expertise de nos polices scientifiques ?
Références et documentation :
- Mairie de Vitry-sur-Seine : voir site web « Le château de Vitry » et registre numérisé d’état civil pour l’an IV.
- La Seigneurerie de Vitry et son château, brochure du Centre Culturel de Vitry-sur-Seine, 1988
- L’intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1964
- Mémoire justificatif de Barras : l’assassinat de Petit-Val (Séance secrète du Directoire du 28 avril 1796).
- Le château de Vitry : son histoire, Claude Fredix, Société d’histoire et d’archéologie, 1967
- L’affaire Du Petit-Val, Bernard Quillet, Albin Michel, 1989
- Louis XVII et l’énigme du Temple, G. Lenôtre, Perrin 1927
- Le brigandage pendant la Révolution, Marcel Marion, Plon 1934
= Bulletin de la Société d’Histoire de Vitry, n° 45
- Évocation du grand Paris : la banlieue sud, (Vitry p 231 à 240) Jacques Hillairet et Georges Poisson, éd. de Minuit, 1956
- Intrigues dévoilées, Gruau de la Barre, Nigh, Rotterdam, 1846
- L’affaire Petit du Petit-Val, Léonce Grasilier, Perrin, 1927
- Mémoires de la duchesse d’Abrantès (p 160 à 167) 1835.
- En flânant à travers la France, Autour de Paris, André Hallays, Perrin, 1923
- Images : photo ancienne du château et manuscrit A. Castellot communiqués par Danièle Riondet avec son autorisation de publier du 09/04/2009. Autres images : documents et photos de l’auteur de l’article.
Philippe de Ladebat est l’auteur de :
Journal de déportation en Guyane et discours politiques
- Première de couverture, 24/17
La présentation par l’éditeur : Négligées par l’histoire officielle de la Révolution française, les déportations politiques en Guyane après le coup d’État du Directoire du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) ont frappé près de 300 personnes : la moitié sont mortes sur place en moins de deux ans. Au nombre des seize premiers « déportés de fructidor », André-Daniel Laffon de Ladebat, Président du Conseil des Anciens, a retracé quotidiennement dans son Journal son voyage et son exil forcés dans la Guyane de la fin du XVIIIe siècle, qualifiée alors de « guillotine sèche ».
Considéré par plusieurs historiens comme l’un des témoignages les plus importants et les plus factuels sur les « déportations de fructidor », la présente édition annotée de ce Journal de déportation est complété par une biographie de son auteur et par ses principaux discours politiques :
- « Discours sur la nécessité et les moyens de détruire l’esclavage dans les colonies »,
- « Discours au Tiers-état de Bordeaux » et
- projet de « Déclaration des droits de l’homme ».