En avril 1917 quatre régiments de volontaires russes, qui combattent depuis un an aux côtés des troupes françaises, sont rattachés à la 5e armée française du général Mazel afin de participer à l’offensive Nivelle.
Le 16 avril, les Russes attaquent les positions allemandes au nord-ouest de Reims. En deux jours, ils prennent les ruines de Courcy, la cote 108, le Mont Spin, Sapigneul, capturant un millier de prisonniers et résistant aux contre-attaques. Le 20 avril, ils sont relevés par des unités françaises, après avoir perdu 70 officiers et 4 472 hommes tués, blessés ou disparus. Pour ces faits d’armes, les 1re et 3e brigades sont citées à l’ordre de l’armée.
Mais les lourdes tensions qui ébranlent les troupes françaises [1] n’épargnent pas le corps russe dont les soldats ont profondément ressenti les événements de Russie, prémices de la révolution d’octobre (le 15 mars le tsar a abdiqué, et le 13 avril les militaires ont prêté serment à un gouvernement provisoire).
Après les attaques du front de Reims, les survivants sont évacués puis regroupés au camp de Neufchâteau où ils se scindent entre communistes et loyalistes partisans du gouvernement Kerensky.
Ces Russes, au nombre de 20 000 étaient arrivés en France après le bain de sang de Verdun. Ils avaient débarqué à Marseille [2], Brest et La Rochelle, et les Parisiens leur avaient fait un triomphe le 14 juillet 1916 sur les Champs-Élysées. L’immense réservoir humain de la Russie tsariste venait au secours d’une France exsangue en échange de matériel de guerre et de munitions.
La 1re brigade était formée des 1er et 2e régiments (ouvriers moscovites et paysans de la région de Samara), la 3e brigade des 3e et 6e régiments (formés à Ekaterinenbourg et à Tchéliabinsk). Après une période de formation, les troupes furent envoyées sur le front de Champagne où elles subirent de très lourdes pertes, notamment en raison de leur sous-équipement en masques à gaz.
Les premiers mouvements de cassure entre les officiers et la troupe apparurent à la mi-mars 1917, après l’abdication du tsar Nicolas II, et la nomination de Kerenski comme premier ministre russe. Même si les russes du front français l’apprennent difficilement, car quand ils questionnent on leur répond que tout va pour le mieux dans la Sainte Russie, et que ce sont des journalistes à court de nouvelles qui ont inventé la révolution pour remplir leurs journaux. La vérité voit tout de même le jour, bouleversant les esprits et faisant éclore les rêves.
Les ouvriers de Moscou, gagnés aux idées bolcheviques, veulent aller prendre part à la Révolution dans leur pays. Les paysans, avertis des premières mesures de partage des terres exigent leurs droits : "On distribue les terres, nous arriverons trop tard pour obtenir notre part légale !". Les soldats du 1er régiment de la 1re brigade s’agitent sérieusement. Ils prennent contact avec les autres unités et se réunissent la nuit dans les caves d’une verrerie abandonnée, et décident de demander leur rapatriement. "Le colonel Netchvolodov, mis au courant de la décision de ses hommes, s’évanouit de stupeur" [3].
C’est dans ce moment de doute, et « pour les calmer », que le général Palitzine met ses troupes au service des offensives décidées par l’état-major français. Les pertes furent énormes. En trois jours, plus de cinq mille soldats russes sur environ dix-neuf mille sont tués ou blessés au combat. Certains officiers auraient été tués par leurs hommes. Cette leçon, toute militaire, n’a porté aucun fruit. Les russes réclament plus énergiquement encore leur rapatriement. Un groupe, évalué à dix mille soldats, décide alors de former des Soviets. Un homme prend leur tête, Baltaïs, et il est décidé, pour la première fois au monde, de célébrer le 1er mai russe (13 mai de notre calendrier) en faisant la grève au front ! On déploie des drapeaux rouges sur lesquels était marqué Liberté en français, on chante les hymnes révolutionnaires. Les représentants du soviet sillonnent la région, un fanion rouge et noir accroché à la portière de la voiture de l’état-major du général Palitzine qui a été réquisitionnée.
Les troupes françaises du secteur observent la mutinerie sans s’y joindre. Le Haut Commandement, conscient des risques de contagion, avait préconisé le retrait des troupes russes du front dès le 23 avril [4]. Les camps où ils étaient affectés devaient permettre le maintien de l’ordre et de la discipline mais les évènements du 13 mai démontrèrent que ce n’était pas suffisant. Donc le 20 mai le général Pétain prit la décision de les isoler dans les environs de Neufchateau mais la ville elle même devait rester interdite aux troupes russes en raison des soldats français qui pouvaient s’y trouver et qu’il ne fallait pas contaminer. Les deux brigades russes sont donc acheminées par voie ferrée en suivant deux axes différents mais néanmoins proches l’un de l’autre : les lignes Neufchateau Merrey et Neufchateau Bologne. C’est ainsi que du 25 au 27 mai 1917 plus de 16 000 soldats russes débarquèrent dans les villages des cantons de Bourmont et de Saint-Blin, et plus particulièrement dans ceux qui étaient implantés le long de la voie ferrée. Après un trajet de plus de 9 heures, les soldats arrivent par petits groupes dans les villages pour loger dans des écuries et des granges.
La 1re division spéciale d’infanterie russe [5] est alors cantonnée dans le secteur de Bourmont pour la 1re brigade [6] tandis que la 3e brigade s’installe aux alentours de Saint-Blin [7].
Cette dernière brigade est dans sa majorité partisane de Kerensky, donc loyaliste, tandis que la 1re brigade semble gagnée au bolchevisme. Un des soldats russes raconte que peu après son arrivée à Goncourt le comité révolutionnaire se réunit sous la présidence de Baltais et que la séance est rapidement devenue houleuse avec les officiers à tel point que lorsque le colonel Netchvolodov [8] lui ordonne de se taire et de se mettre au garde à vous. Baltaïs lui répondit : "c’est à vous de vous lever et de vous mettre au garde à vous". Le colonel se lève alors et déclare "je suis monarchiste" [9] avant de se retirer définitivement. Le soldat qui raconte cet épisode précise qu’ils n’ont jamais revu le colonel et qu’ils sont restés pratiquement deux mois sans commandement tandis que les officiers étaient partis loger quelques rues plus loin. Ils n’avaient plus aucune influence sur des hommes gagnés par les idées révolutionnaires.
Forcément l’arrivée de ces soldats souvent bruyants, portant un uniforme inconnu, parlant une langue étrangère, est diversement appréciée dans nos paisibles villages haut-marnais. A Goncourt, les soldats russes logent à l’entrée sud du village, au 31 rue du Moulin et les officiers au 28 rue de la Vaux. Globalement ils sont bien accepté par la population. Ce n’est pas le cas à Illoud où les femmes n’osent plus se rendre à Saint-Thiébault car des Russes désœuvrés rôdent en leur jetant des regards menaçants.
A Graffigny-Chemin et à Nijon, les villageois sont touchés par le sort injuste qui est réservé à ces soldats venus de si loin pour aider la France à combattre l’ennemi allemand. Pour une partie d’entre eux, ce sont des soldats en provenance d’un hôpital de la région parisienne et qui sont ici en convalescence et attendent leur retour en Russie. Il en est de même pour les militaires de la 3e brigade qui font peur à la population de Prez sous Lafauche.
A Saint-Blin, l’Etat major commandé par le général Volodia Marouchewsky [10] semble avoir moins de problèmes avec ses troupes. L’instituteur du village les décrit comme étant "d’une civilisation très primitive les russes mangent dans un énorme baquet avec des cuillères de bois. Ce sont de grands alcooliques buvant même l’eau de Cologne et la peinture à base d’alcool." Ce n’est pourtant pas tout à fait ce que l’on pense à Goncourt où si les enfants sont étonnés de les voir manger avec des cuillères et des fourchettes en bois, les russes améliorent leur ordinaire en chinant des épices aux habitants et se pavanent "dans les rues avec des cannes au pommeau d’argent d’où pendent des bourses finement brodées" [11].
Mais la nouvelle installation est loin de satisfaire les vœux de la troupe et la colère gronde. Les hommes, fatigués des déplacements et des changements de cantonnements avaient demandé à être placés dans un camp doté d’infrastructures correctes or ils se trouvent être dans des conditions aussi précaires que précédemment [12].
"Saint Blin ressemble à un vrai camp de bohémiens à la tombée de la nuit. Tous très bons musiciens et excellents chanteurs se promènent nonchalamment dans les rues jouant mandoline ou accordéon. De jour ils sont couchés et toute la nuit ils se promènent. Aucune discipline. L’appel journalier est impossible. D’un tempérament paresseux, ils n’ont aucune énergie et pour la plupart illettrés, ils se laissent facilement entraîner. C’est le début de leur agitation révolutionnaire. Des conférenciers viennent essayer de les soulever. Batailles journalières et sanglantes entre les soldats à cocarde rouge et les autres." Cette description fournie par l’instituteur de Saint Blin montre bien que les idées révolutionnaires sont ancrées dans les deux brigades même si elles se sont enracinées plus rapidement dans la 1re, peut être à la faveur des informations en provenance de leur pays comme l’affirme le maître d’école de Semilly. "Ces hommes assez corrects au début sont devenus indisciplinés surtout à la nouvelle de la révolution russe. L’autorité militaire a du les distancier pour éviter de graves inconvénients. La plupart d’entre eux étaient paresseux".
Il y a surtout un véritable clivage : Si les russes blancs acceptent de continuer à se battre en France, les russes rouges veulent rejoindre leur pays et se battre pour la Révolution. C’est ce qui ressort du rapport du général de Castelnau [13] qui vient visiter les cantonnements dans la région le 3 juin 1917 : « c’est l’anarchie, il semble que tout ressort de la discipline militaire et toute tendance vers le bien soit abolie dans l’esprit et le cœur des soldats russes .... Je doute fort qu’il soit possible en France de leur rendre l’équilibre moral qu’ils ont totalement perdu. Il est indispensable d’envisager leur retour dans leur pays d’origine, dont ils disent avoir la nostalgie ».
Effectivement, les officiers russes ne parviennent pas à rétablir leur autorité dans les cantonnements et l’encadrement français signale que les hommes passent leur journées à dormir, qu’ils ignorent les ordres et pratiquent la grève « des bras croisés ».
A la mi juin, le premier congrès des soviets de soldats et d’officiers se tient, à parité et à égalité, dans la salle du conseil municipal de Bourmont pour essayer de restaurer la discipline, et de rapprocher le commandement de ses hommes. Ils ne parviennent pas à une entente et chaque faction poursuivra seule le chemin qu’elle s’est tracé : la loyauté ou la révolution.
Profitant de la proximité de la Meuse, et de leur désœuvrement, certains soldats en profitent pour aller se baigner. C’est ainsi qu’à Goncourt, André Pasko 21 ans plonge sur une racine de saule et s’éventre. Le 7 juin 1917, ses obsèques ont lieu avec les honneurs militaires. La musique du 1er régiment de la 1re brigade l’accompagne jusqu’à sa dernière demeure dans le cimetière du village. Sa dépouille embaumée est portée la bière ouverte par ses compagnons d’armes. Cet événement auquel assistent ébahis les habitants est immortalisé sur une carte postale.
Le même jour à Saint-Blin eut également lieu un enterrement qui est raconté par l’instituteur : "Enterrement grandiose d’un téléphoniste russe frère d’un pope. La cérémonie très imposante a lieu dans la cour de l’hôtel de ville ou le cercueil ouvert est entouré de fleurs de feuillages rapportés par les habitants et décoré avec beaucoup de goût. Les chants religieux sont magnifiques. A l’offerte le pope habillé richement embrasse le mort, les amis du décédé en font autant et les autres russes baisent une insigne religieuse posée sur la poitrine du mort. L’office terminé quatre soldats portent le cercueil ouvert sur leurs épaules, deux autres suivent tenant le couvercle sur leur tête. Puis la musique accompagne et la foule suit. Au cimetière sermon du pope, dernières oraisons funèbres près du cercueil toujours ouvert et placé près de la tombe. Puis on ferme le cercueil, on le descend en terre et chaque assistant prend à tour de rôle la pelle pour remplir la fosse". Si on ne connaît pas les raisons du décès de ce militaire, ce n’est pas toujours le cas.
Ainsi à Semilly, un soldat russe fait une mauvaise chute de cheval et décède des suites de son accident. Là encore cet événement est immortalisé par une carte postale. A Chalvraines, les militaires russes qui sont cantonnés derrière le "château" sont réputés braillards, buveurs, et surtout ils s’exercent à l’arme blanche entre eux. Forcément les "accidents" peuvent arriver, comme le soir du 12 Juin, à Vesaignes sous Lafauche, quand le soldat André Dratcheff de la 12e compagnie du 5e régiment spécial russe est tué à l’arme blanche dans une rue du village. Il sera inhumé le 25 juin dans le cimetière communal. Le 22 juin à Chalvraines, le lieutenant qui loge au 26 Grande Rue [14] est assassiné dans sa chambre à coup de revolver en pleine nuit. Son ordonnance trouve au petit matin le corps sans vie de l’officier. Ce dernier est inhumé le lendemain dans la précipitation car les soldats doivent se préparer à quitter le camp. Quels que soient leurs défauts les soldats russes n’en sont pas moins humains quand arrivent des catastrophes, ainsi le 7 juin après l’enterrement d’un des leurs, la foudre s’abat sur le clocher de l’église de Saint-Blin et commence à ravager la toiture de l’édifice religieux. "Le feu dure de 4 heures à minuit. Dévouement de trois russes au milieu des flammes pour saper la toiture et protéger le corps de l’église, car le clocher, malgré le secours des pompes à incendie de Saint Blin, Prez sous Lafauche et Vesaignes est détruit. Les trois cloches sont hors d’usage, l’horloge est brisée."
A partir du 27 juin les éléments des 1re et 3e brigades quittent le secteur pour être transférés dans un camp du centre de la France : La Courtine. Pour la population c’est le soulagement, et il était temps qu’ils partent comme le pensait l’institutrice de Saint-Blin "On sentait en eux l’esprit de révolte, ils se réunissaient en grand conciliabule à chaque instant et partout" . "Ils n’ont pas été regrettés", pas plus qu’à Semilly. Mais finalement on se souciait bien peu des ressentiments de la population ; il fallait préparer l’arrivée des américains [15].
Dès le 1er juin 1917, le ministre de la Guerre, Paul Painlevé, avait décidé du transfert des régiments soviétisés sur le camp de La Courtine, au beau milieu du plateau de Millevaches, à plus de six cents kilomètres de la ligne des combats. Ce camp de manœuvres avait abrité, au début de la guerre, des civils, puis des prisonniers.
Dès le 11 juin les plus indisciplinés de la 1re brigade sont envoyés dans la Creuse, prendre possession des lieux, où ils arriveront le 18, puis à partir du 27 juin ce sont quelques 16 000 hommes de troupe, 300 officiers et 1700 chevaux qui se mettent en marche pour aller les rejoindre. On sépare les éléments de la 1re brigade de ceux de la 3e brigade considérés comme plus dociles et qui vont s’installer à quelques kilomètres, à Felletin. Tous les soldats ont gardé leurs armes, fusils Lebel, fusils-mitrailleurs, mitrailleuses, canons de 37 et mortiers de tranchées. Ils s’installent à la fin du mois, et l’autorité des soviets se substitue, là encore à celle de l’armée et peu à peu ils se transforment en rebelles.
Tandis que le général Foch tente de faire partir ces troupes pour la Russie, le gouvernement de Kerenski refuse, par peur de l’exemple qu’elles pourraient donner. Le gouvernement provisoire russe souligne, au contraire, que la peine de mort pour indiscipline doit être appliquée aux mutins. Un ultimatum et alors fixé pour la soumission des rebelles. Dans la nuit du 2 au 3 août, des troupes russes loyalistes (appartenant à la 3e brigade) et des troupes françaises prennent position sur les collines entourant le camp de la Courtine. Les mutins élisent un chef qui parle couramment le français et les négociations vont durer sept semaines. Elle n’aboutissent pas et à la mi-septembre, tous les villages entourant le camp sont évacués.
Le 16 septembre, les premiers obus de 75 pleuvent sur La Courtine. Un épisode de la guerre civile russe se noue alors au centre de la France : Blancs contre Rouges. Les explosions provoquent alors une réaction inattendue : les assiégés entonnent La Marseillaise puis La Marche Funèbre de Chopin, mais aussi l’Internationale ! Le bombardement va se prolonger pendant trois jours et trois nuits, faisant des dizaines de victimes [16]]. Peu à peu les mutins se rendent. Les meneurs sont débusqués, condamnés et déportés sur l’île d’Aix [17]].
La révolution d’Octobre et la prise du pouvoir en Russie par les communistes ayant relancé les passions, le Gouvernement français offre aux soldats russes trois possibilités : s’engager dans l’armée française, être volontaires comme travailleurs militaires, ou partir pour un camp en Afrique du Nord. Près de 400 hommes, équipés et armés par la France, vont former une légion russe qui s’illustrera en 1918 dans les batailles de la Somme, du Soissonnais, du Chemin des Dames ; Environ 4 800 réfractaires seront envoyés en Algérie ou au Maroc pour travailler dans les mines ou le chemin de fer [18], alors que plus de 11 000 Russes seront volontaires pour le travail en France. Ils furent alors divisés en petites unités que l’on dispersa afin de pouvoir mieux les contrôler [19]. C’est ainsi que de juin 1918 à septembre 1918 un détachement de travailleurs russes arrive à Vesaignes sous Lafauche, en remplacement d’une compagnie de prisonniers de guerre allemands, qui cassent et transportent des pierres provenant d’une carrière ouverte pour l’entretien de la route nationale [20] avec des camions militaires à vapeur. Ce second séjour des russes dans la commune "ne laisse pas un bon souvenir par suite de ses déprédations aux vergers" [21], et plusieurs générations après les habitants des environs conservent de triste mémoire ces passages des russes pendant la première guerre mondiale sans plus en connaître la raison. Mais l’ont-ils connue un jour ? Tous les soldats russes seront finalement rapatriés à Odessa en 1919. Quelques dizaines d’entre eux s’installeront en France [22], y compris en Haute-Marne [23], et un de ces militaires deviendra ministre de la guerre dans son pays : Rodion Iakovlevitch Malinovski [24].
Sources :
- Archives départementales de la Haute-Marne : 246T1 ; 246T3 ; 246T6 ; 246T9.
- Rémi Adam : Histoire des soldats russes en France, 1915-1920. Les damnés de la guerre, Paris, L’Harmattan, 1996.
- Rémi Adam : 1917, la révolte des soldats russes en France. Les Bons Caractères, 2007.
- Cahiers bourmontais n°5 de 2006.
- Pierre Poitevin : La mutinerie de la Courtine. Payot 1938.
- Pierre Miquel : La grande guerre. Fayard 1983.
- 20 000 moujiks sans importance. Documentaire de Patrick Le Gall 1999.
- Site internet de l’académie de Limoges et divers autres sur les évènements de la Courtine.
Annexes
"Dès notre arrivée en France il y a un an et demi des bruits couraient que nous avions été achetés pour des munitions. Ces bruits se multipliaient de plus en plus et enfin on considérait le soldat Russe pas comme un homme, mais comme un objet. Les blessés, les malades on les traitaient d’une manière révoltante et de plus on leur appliquait une discipline de prison. Cela ne peut pas être autrement : le malade, le blessé cet homme incapable pour le service en d’autres termes un objet inutile.
Donc, avec un objet inutile, il ne faut pas et ce n’est pas reçu de faire des façons.
Nous, soldats bien portants, pour le moment nous sommes objets utiles ayant son prix qu’on appelle la capacité pour le combat. Mais au premier combat, une partie de nous perdra ce prix, on les blessera et cette partie donc suivra le sort déplorable des objets inutiles jetés dans les hôpitaux. Chacun de nous attend ici une telle possibilité, mais chacun de nous veut l’éviter. La seule ressource pour cela : c’est de s’unifier et catégoriquement refuser d’aller sur le front français. Et nous, nous sommes décidés à cela. Aucune assurance des chefs, des nôtres et ceux des français, nous forceront de renoncer à cette décision. Pendant plus de 2 mois on nous répète que la situation des blessés s’est améliorée, et, pourtant, on ne voit pas de résultat. Au contraire, dans les dizaines de lettres que nous recevons chaque jour des hôpitaux on n’entend qu’une lamentation continue de la situation sans issue. Des blessés qui rentrent approuvent unanimement cela. La notre situation avant le coup d’État était pénible, c’est qu’après lui elle s’est encore empirée. Le laborieux peuple Russe témoigne une grande pression au profit de la paix. Mais cela n’est pas du goût de la France bourgeoise ; sachez que pour elle, la guerre est avantageuse, elle lui apporte des intérêts. Voilà pourquoi, la majorité des français se trouvant sous l’influence de sa bourgeoisie, se montre pour nous au plus haut degré méfiante nous insulte et nous humilie.
Enfin irrésistiblement nous sommes attirés vers la Russie ; l’amour du pays natal, vers les parents et vers ceux qui nous sont chers. Que nous puissions encore une fois embrasser notre femme, caresser nos enfants, voir les chers visages de nos parents avant la mort. Voilà de quoi sont altérés nos cœurs.
Le dur militarisme n’a pas étouffé ces sentiments. Non ces sentiments s’enflamment de plus en plus et rien qui ne nous donne satisfaction alors nous ferons voir notre force pour poursuivre le combat.
Donc encore une fois, nous prions, nous exigeons et nous insistons qu’on nous renvoie en Russie. Envoyez nous là, d’où nous avons été chassés par la volonté de Nicolas le sanglant. La bas en Russie, nous saurons être et nous serons du côté de la liberté, du côté du peuple laborieux et orphelin.
Là, c’est avec la plus grande des joies que nous livrerons notre vie pour le grand et libre peuple Russe.
Sauf tout ce que nous avons dit, nous avons résolu de ne pas aller à l’exercice ici en France. Qu’on appelle ce pas illégal, criminel, nous n’avons pas d’autres moyens de nous faire entendre. Nous connaissons le prix de toutes ces promesses ; nous savons que sans pression elles resteront mortes et non raisonnantes."
Camarades !
Refusez catégoriquement tout travail particulier et également d’aller au front. On nous trompe en nous disant qu’il n’y a pas de vaisseaux. Ce sont des mensonges ! Ils ne veulent pas nous renvoyer en Russie au secours de nos pères et de nos frères !
Le commandement s’efforce de nous employer de diverses manières et même de nous envoyer au front pour défendre la Bourgeoisie française.
Camarades ! sachez que l’heure est proche de notre retour tant attendu en Russie.
Tous en Russie ! Hurrah ! A bas les tyrans !
Sources : Archives départementales de la Creuse.