Raphaël naît en 1888 à La Pointe, au Tampon de Joseph FONTAINE et de Roséline LEPINAY, dans une famille de cultivateurs. Il ne connaît pas beaucoup l’école. Très vite il se retrouve aux champs avec bœufs et charrette.
En 1910, il a 22 ans et épouse Idalie LORION, 21 ans. Leurs parents respectifs sont alors vivants : pour l’un Joseph FONTAINE et Roseline LEPINAY, pour l’autre Pierre LORION et Joséphine SMITH.
Le jeune couple habite au 11e Km dans une petite case en bois couverte de bardeaux, une petite carapace contre « vents et marasmes ». Cette case je l’ai vue quand j’étais petit car ma marraine « Lisette » (en fait Anne Elisette), née en Juin 1915, y a habité avec sa sœur « Ariane » (en fait Marianne : 1924-1985) jusqu’à ce qu’elle soit vendue vers 1960.
Ce logis avait quatre pièces en tout, deux dont le parquet était fait de planches que l’on frottait avec des feuilles de bringellier avant de le brosser avec une « brosse-coco » et deux pièces en terre battue. Le soir on fermait ses portes à bascules. On dormait sur des matelas « maison » faits de pailles de maïs et autres. Le jour, on y entrait en surfant sur des patins glissants. La cuisine était à l’extérieur, à l’arrière.
La maison donnait sur une petite allée bordée de touffes de vétiver ou de muguet. Deux enfants, Saméry et Emery y naîtront avant que la guerre n’éclate en août 1914. Le premier en 1911 et le second en 1913. (La photo d’Idalie la montre tenant soit Lisette soit Ariane : ce qui lui donne soit 27 ans soit 36 ans).
La Réunion, colonie française est pauvre mais le cœur de ses habitants est français et patriote. Nombre de jeunes écrivent au gouverneur une lettre d’engagement pour aller défendre la patrie contre les Prussiens, ces gallophobes qui nous ont pris l’Alsace et la Lorraine. Raphaël, patriote français, brûle-t-il de prendre le bateau, d’aller se battre à 12 000 Km de son île et bouter l’ennemi hors de France ?
Comme Roland GARROS, né aussi en 1888, il est de la classe 1908, mais il n’a pas fait son service militaire car celui-ci avait été supprimé en 1907 pour ne reprendre qu’en 1913. Le gouvernement français ne voulait pas entretenir de caserne dans l’île car cela coûtait trop cher au budget de l’Etat. En plus la colonisation de Madagascar prenait de plus en plus d’importance à cause de sa superficie et de ses richesses potentielles (forêt, sous-sol, pierres semi-précieuses…) au grand dam de la Réunion qui se sentait abandonnée et dont la production sucrière s’effondrait.
Le contexte politique n’est pas différent de celui d’aujourd’hui : On veut montrer à la France que les Réunionnais sont français depuis toujours et si nécessaire en versant « l’impôt du sang ».
Mais Raphaël ne sera appelé sous les drapeaux qu’en 1915. En effet, ce bel homme plutôt grand, en bonne santé, à la poitrine large se distingue de la majorité de ses compatriotes, mal nourris, cachectiques, ravagés par l’alcoolisme et les diverses maladies, en bref sa société est en voie de paupérisation.
Raphaël est incorporé le 3 juillet 1915 dans les troupes coloniales [2] nous révèle son livret militaire. Il embarque à la Pointe des Galets le 5 à destination de la France. Il fait partie du 2e groupe d’artillerie de campagne d’Afrique à compter du 9 et il remplit la fonction de second canonnier.
Raphaël part-il sur un bateau réquisitionné, (est-ce « le Melbourne ? ») du port de la Pointe des Galets ? Discours et fanfares ont célébré les premiers départs de 1914. En est-il encore de même en 1915 ? On peut en douter. Sur le bateau, a-t-il droit à une couchette dans une cabine ? Non, les hommes de troupe couchent sur le pont (d’ailleurs il doit y faire meilleur) à même les nattes de vacoa en guise de matelas.
Pense-t-il alors à sa femme qui se retrouve seule avec trois enfants de 4 ans, 3 ans et 1 mois à nourrir [3] ?Il sait qu’ils peuvent compter sur l’aide de ses beaux-parents et de ses parents toujours vivants et sur la petite allocation journalière de 0 fr.75 majorée de 0 fr.25 par enfant après avoir rempli une demande à la mairie.
En verra-t-il du pays, lui qui n’a pas ouvert de livres de géographie ou d’histoire ? Diégo Suarez, première halte peut-être de quelques jours pour le réapprovisionnement. On embarque à nouveau pour l’Europe : On découvre Zanzibar et les épaves de bateaux. Cela prouve que les corsaires allemands sont à l’affût : vigilance donc. Le canal de Suez, que l’on parcourt de nuit pour éviter les torpilleurs allemands, et enfin Marseille. Tout cela a duré un mois ou deux.
Août 1915 : Débarquement à Marseille. Logement dans des casernes. Préparation militaire : exercices de tir et longues marches. Vaccinations obligatoires : anticholériques les 14, 20 et 28 août ; et antityphoidiques en novembre et décembre 1915.
Découverte de cette France qu’il ne connaît pas, que le premier FONTAINE avait quitté voilà deux siècles et demie. Rêve-t-il encore d’être plus vite au front et de se débarrasser des Teutons ? « On va rentrer dans un mois ou deux ! » pensait-on quelques mois auparavant, mais depuis on déchante. Baragouine-t-il ses premiers mots de français pour se faire comprendre ? On peut le supposer car la langue de Molière, il ne l’a pas entendue dans son île de paillotes, de cyclones et d’illettrisme sur laquelle règnent quelques privilégiés et dans le Sud les K/Véguen. Trouve-t-il un ami qui lui apprend à écrire pour qu’il puisse envoyer quelques nouvelles à sa famille ou écrit-on pour lui ? En tout cas le document ci-joint est signé Raphaël :
- Gardez cette prière en souvenir de cette horrible guerre - Raphaël
Dès 1915, les Allemands utilisent les gaz. 1916 : Verdun. Comme les effectifs fondent à Verdun, les Réunionnais connaîtront la dure réalité des combats à partir d’Avril 1916 Comment fait-il pour tenir ?
Pour mieux comprendre ce qui s’y passe, écoutons Charles FOUCQUE, un autre Poilu : « Pendant 5 jours, on roule à travers la France… A la tombée de la nuit, on repart et cette fois directement sur Verdun… A 5 km de la citadelle, on met pied à terre et à la file indienne c’est l’avance dans les boyaux… marchant comme par cœur dans une obscurité complète… Cachées dans les carrières, des batteries aveuglent de leurs fulgurations inattendues. Un grondement de tonnerre roule éperdument… La citadelle elle-même est criblée de trous d’obus, des casernes avoisinantes, il ne reste que quelques murs pantelants… Le boche attaque. Les ordres fusent. Les réponses sont souvent dramatiques : « Impossible, répond un officier d’artillerie, nos hommes sont gazés. On a été repérés ». L’officier qui parle a déjà une voix d’outre-tombe. Il meurt asphyxié deux heures plus tard…Novembre, décembre 1916. »
Grand-père en réchappe, mais à quel prix ! Enfin une bonne nouvelle, le ministre de la Guerre décide d’accorder une petite permission de 25 jours aux originaires des Colonies qui sont en Europe depuis 18 mois pour revenir voir leurs familles, sans compter le voyage.
Cela fait belle lurette que Raphaël n’a pas vu sa femme, ses deux fils et sa fille. Il est heureux de reprendre le bateau, même si le voyage a lieu dans la hantise des torpillages, car l’Allemand n’a pas dit encore son dernier mot.
Joie des retrouvailles inattendues mais les « vacances » de Mars 1917 terminées, a-t-il vraiment envie de repartir ? Il a vu tant de camarades tomber. Sa famille le ramène au Port car de deux choses l’une, soit il meurt au combat, soit il revient la tête haute. Il reprend donc le bateau non sans laisser Idalie dans « une situation très intéressante ». Géry naît en 1918 et meurt dans la même année.
11 novembre 1918, l’Allemagne capitule.
Grand-père est rapatrié début 19. Il est dirigé sur le dépôt des Isolés Coloniaux de Marseille le 26-2-19, en exécution de la Décision ministérielle n°1987 4/8 du 24 février 1919. Il doit arriver dans l’île fin avril 19. A-t-il touché la somme de 250 F représentative de l’indemnité fixe de démobilisation ? Probablement. Cette somme correspond à des dépenses de nourriture pour trois enfants, à cette époque.
Si Michel GEFFROY écrit dans son mémoire sur « Les Poilus de Bourbon » que « la même foule qu’en août 14 se presse sur les quais du Port. Ceux qui débarquent du navire ont bien changé, l’aspect général est différent, le regard surtout n’est plus le même. Une gravité et une certaine retenue dans les propos caractérisent ceux que l’expérience du front et des tranchées ont marqué à jamais » [4], on peut se demander s’il tient compte de la frousse qu’a provoqué l’épidémie de grippe espagnole de mars, avril, mai 1919 qui emporta près de 10 000 âmes dans l’île [5]. Mais Raphaël gagne les Hauts de l’île et c’est ce qui le sauvera sans doute.
Quelques années après est né mon père Hilaire FONTAINE qui grandit. L’enfant voit encore son père toussant souvent dans les années trente et quarante. Séquelles de l’inhalation des gaz au front. « Le voilà sous le pied de jacque un samedi avec un ami à lui raconter comment on montait à l’assaut de l’ennemi après avoir ingurgité un bon coup de gnôle, baïonnette au canon et les hommes transpercés que l’on repousse à coups de pieds et « le courant de l’eau » qui dégringole le long de votre colonne vertébrale. Atroces expériences.
Idalie meurt en Avril 1926 à 36 ans après avoir mis au monde 8 enfants [6], Elisette (1915-1980), Géry (1918-1918), Aldéry (1920-1961), Hilaire, Marianne (1924-1986) et Gilette (1926-1951).]] On comprend alors pourquoi Raphaël se remarie deux mois après avec Jeanne JANSON qui devra faire grandir les sept du 1er lit et s’occuper aussi des sept autres qu’elle aura entre 1927 et 1941 [7]. La vie de Raphaël est dure. Il n’est qu’ouvrier agricole. Le travail de la terre le courbe sur sa pioche et lorsque le travail est terminé, il lui faut la longueur du champ pour se redresser.
Il touchera une petite pension de 7,50 F que mon père se souvient être allé chercher de temps en temps à la Mairie du Tampon, comme l’atteste la carte de combattant N° 590 valable de 1936 à 1941. La photo de 1936 nous révèle un homme à l’air grave, mais aussi usé par le travail. . En 1937 « M. FONTAINE Joseph Raphaël de la classe de recrutement de 1908, n° matricule 703 est libéré définitivement de ses obligations militaires… »
Et la guerre revient… et sa fin aussi qui coïncide avec celle de Raphaël. Le vieux Poilu dit au revoir à cette chienne de vie.
- Jeanne Janson
La photo d’identité ci-dessus est celle de Jeanne JANSON, âgée ; née en 1896, elle meurt en 1982. Elle est adhérente de l’Association Générale des Anciens Combattants qui offre à ses membres des possibilités de rencontre, excursions et aides diverses. Voir document ci-dessous.
Le titulaire de la présente carte est autorisé, conformément aux dispositions du décret du 24 août 1930 (art. 3), à porter les insignes de la Croix du Combattant.
- Raphaël Fontaine dans les années 40.
Le livret militaire a été gardé par le dernier de ses fils : Gaston FONTAINE et c’est grâce à lui que j’ai pu documenter cet article. Merci à Gaston car les souvenirs ont besoin d’être confortés par des archives authentiques.