C’est ce que nous écrivait, en novembre 2008, Gérard Baudère en nous confiant le texte de ce précieux courrier adressé à la veuve de son grand-père maternel Raoul Villain. Et il ajoutait : "Si vous jugez utile d’utiliser mon petit témoignage ci-dessous, je n’y mets aucune opposition". Depuis, malgré plusieurs tentatives, nous restons sans nouvelles de lui. Néanmoins, nous avons pris le parti de publier cette "lettre anonyme" de 1915, avec quelques compléments. Elle nous dévoile une pratique peu connue - et risquée- de "nos Poilus" |
Raoul Villain naît à Jutigny (Seine et Marne) le 30 avril 1884 ; ses parents sont Eugène Villain et Clémence Désirée Messageot. De la classe 1904 (N° 22 du registre matricule), il fait son "temps à l’armée". Le 23 avril 1908, à Jutigny, il épouse Andrée Louise Lemaire.
A 30 ans passés, Raoul Ferdinand doit répondre à l’appel de mobilisation générale du 1er août 1914.
Il part se battre contre l’ennemi qui vient d’envahir la France. Le 27 septembre, il rentre chez lui, à Jutigny, soigner une blessure par éclat d’obus à la cuisse gauche... "à ses frais" comme le déclare son livret militaire ; puis il repart "au casse-pipe".
Un soldat anonyme, blessé à Vauquois, écrit à la veuve de Raoul
Six mois plus tard, la grand-mère maternelle de Gérard Baudère reçoit une longue lettre. Pour en garder intacte l’authenticité, l’orthographe et la syntaxe ont été intégralement respectés.
« (Hôpital), jeudi le 25 mars 1915.
Madame,
permettez-moi de prendre la liberté quoiqu’étant blessé assez gravement de vous écrirent.
Je suis un soldat du 46e de ligne de la 9e compagnie secteur 10. J’étais avec votre mari Raoul Ferdinand Villain un de ces camarades qui ressemblent à deux frère, nous avons fait connaissance à St André en Argonne ainsi que quelques autres copains et depuis nous ne nous étions pas quitté de Seine et Marne tous les deux.
J’ai écrit à son frère Prosper au 352 d’inf, j’étais encore en bonne santé ce jour là, le 16 mars car j’ai été blessé que le soir il avait du vous le dire que votre mari avait été blessé gravement à mes côtés, et qu’il avait été transporté à l’infirmerie.
J’aurais bien écrit à la même adresse, mais au régiment on ne sais jamais si l’on reçois bien les nouvelles. Car depuis que nous étions dans ce cimetière de Vauquois il n’y avait que la mort à espéré c’est le tombeau de beaucoup de régiments.
Ah Madame il nous faut du courage, se faire une idée forte pour pouvoir passé en de pareil circonstance. Malgré mes blessures qui me font souffrir et que mon cœur se serre, Madame je vous demandent du courage et soyez forte.
Je vous dirai la plus grande vérité qui peux exister au malheur qui viens vous frapper en ce jour de mars. Raoul Ferdinand Villain pompier à Provins a été tué le 15 mars 1915 vers 3h de l’après-midi par un éclat d’obus. Je vous direz qu’il n’a eu aucune souffrance surtout que ça l’avait frappé à la tempe droite.
J’ai ses papiers en ma possession ainsi que sa montre et un mandat carte de 5 francs qu’un de ses oncle lui avait envoyé, je vous le retournerai quand je pourrai marcher chose qui peut demander un certain temps.
Je termine ma lettre Madame en partageant la douleur et le malheur au plus belle âge de la vie surtout qu’il vous laissent avec deux enfants.
Maintenant Madame je ne signerai pas mon nom car la loi me l’interdit et pourrait m’occasionner des poursuites judiciaires car au régiment l’on ne doit pas prévenir la famille entre camarades, il faut attendre les soins de la mairie. A une de ces semaines je vous retournerez ce qu’il vous appartient ».
Le Journal officiel du 12 mai 1922 attribuera la Médaille militaire et la Croix de Guerre avec étoile de bronze à mon grand-père maternel, « brave soldat tombé au champ d’honneur le 15 mars 1915 à Vauquois en faisant son devoir ». [1]
Raoul Villain est inhumé au cimetière militaire de Vauquois, sa tombe porte le n° 893.
Retrouver l’auteur de la « lettre anonyme » de mars 1915
Trois indices à notre disposition ! :
« Je suis un soldat du 46e de ligne de la 9e compagnie secteur 10. J’étais avec votre mari Raoul Ferdinand Villain un de ces camarades qui ressemblent à deux frère, nous avons fait connaissance à St André en Argonne ainsi que quelques autres copains et depuis nous ne nous étions pas quitté, de Seine et Marne tous les deux ».
- Premier indice : les circonstances de la rencontre entre Raoul et son ami anonyme. Dans le JMO du 46e RI, en janvier 1915, nous pouvons lire ceci :
- Le 17 janvier : « A 8 heures, le régiment quitte ses cantonnements (de Jubécourt) et vient stationner à St André où il arrive vers midi ».
- 20 janvier : « arrivée d’un renfort de 500 hommes venant du dépôt… ».
- 26 janvier : « arrivée d’un renfort de 478 hommes venant du dépôt… ».
Trois possibilités :
- Raoul est déjà au régiment et “l’ami anonyme”, faisant partie du renfort, fait sa connaissance le 20 ou le 26 janvier à Saint André en Argonne.
- Hypothèse inverse : c’est Raoul qui arrive avec le renfort.
- Les deux sont déjà au régiment et se rencontrent à l’occasion de la réorganisation des compagnies du régiment.
Comment savoir ? Grâce à la fiche matricule de Raoul, nous pourrions savoir sa date d’arrivée au 46e RI. Raoul Villain est de la classe 1904 : ce qui incite à dire qu’il est mobilisé dès août 1914 (les classes de 1893 à 1910 sont alors mobilisées).
- Deuxième indice : Raoul et son ami sont “de Seine et Marne”. Rien d’étonnant, les régiments ont un recrutement régional... Ce fait nous permet “d’éliminer” les soldats qui ne seraient pas originaires de ce département. Les amis sont des classes mobilisables entre 1914 et mars 1915. Ils ont entre 24 et 41 ans ! Nous pouvons supposer qu’ils ont à peu près le même âge...
- Troisième indice : l’ami est de la 9e Compagnie “secteur 10”. Il fait donc partie du 3e Bataillon du 46e régiment d’infanterie. Raoul est-il de la même compagnie ?
Le jour de son décès au front, son ami a vu la scène : le 15 mars 1915, vers trois heures de l’après-midi, où sont les hommes de la 9e Compagnie ? Où est ce “secteur 10” ? Des pistes peuvent être trouvées dans les JMO des 46e et 89e régiments, voire du 76e, de la 19e Brigade et de la 10e Division.
Dans la suite de sa lettre, “l’ami anonyme” explique :
« J’ai écrit à son frère Prosper au 352 d’inf, j’étais encore en bonne santé ce jour là, le 16 mars car j’ai été blessé que le soir ».
Il a donc écrit au frère de Raoul, Prosper, au 352e RI. Ce frère aîné, né à Jutigny le 27 juin 1879, est revenu de la Grande Guerre. Il décède à Jutigny le 6 juillet 1948. Marié le 10 décembre 1904, à Sainte Colombe, avec Marie Loiseau ; cette lettre du 16 mars a-t-elle été conservée par sa famille ?
Peut-on retrouver, dans les papiers des ambulances ou des postes de secours, la trace de ce Poilu blessé dans le cimetière de Vauquois au soir du 16 mars 1915 ?
« Il avait du vous le dire que votre mari avait été blessé gravement à mes côtés, et qu’il avait été transporté à l’infirmerie ». Raoul n’est pas mort sur le coup : il a été évacué vers « l’infirmerie ». Même recherche à entreprendre sur cette évacuation.
« Maintenant Madame je ne signerai pas mon nom car la loi me l’interdit et pourrait m’occasionner des poursuites judiciaires car au régiment l’on ne doit pas prévenir la famille entre camarades, il faut attendre les soins de la mairie. A une de ces semaines je vous retournerez ce qu’il vous appartient ».
Qui pourra m’aider à identifier ce soldat blessé, auteur de la lettre anonyme ?
Merci à tous pour votre aide dans la résolution de cette énigme.