Le dernier tailleur d’habits, Paul Dupé, a rangé définitivement ses ciseaux en 1944 pour exploiter la grosse ferme de ses beaux-parents à Sainte-Marie-de-Gosse (Landes). Mon père me racontait qu’avant la dernière guerre mondiale, lorsqu’il avait besoin d’un costume, il lui suffisait d’acheter le tissu, chez un cousin Dupé à Bayonne, et son oncle Paul assurait la confection gratuitement.
Mon grand-père, frère de Paul, avait abandonné le métier plus tôt, après la Première Guerre mondiale. C’était le début de la fin d’une profession.
Alors, comment ne pas m’intéresser à ce que fut le gagne-pain de mes aïeuls ?
Quelle est l’histoire de ce métier ?
M. de Garsault publia en 1769 : Art du Tailleur contenant le tailleur d’habits d’hommes ; les culottes de Peau ; le Tailleur de corps de Femme & Enfants : La couturière ; & la Marchande de Modes [1] (de l’Académie Royale Des Sciences). Il nous apprend que « les Ouvriers qui faisoient l’habillement se nommoient Tailleurs de Robes ». C’est Philippe IV, dit le Bel, qui leur accorda des statuts en 1293 sous cette appellation. Cependant comme la mode évolua avec le pourpoint (sorte de veste), les statuts changèrent en 1323 pour prendre la désignation de Maître Tailleurs Pourpointiers. Ils ne s’occuperont que de vêtir le corps du cou à la ceinture. Pour ce qui est de la ceinture en bas, c’est en 1346, sous Philippe VI, dit de Valois, que les ouvriers auront statuts de Maître Chaussetiers.
Ce n’est qu’en 1588, sous le règne d’Henri III, qu’apparaît la « dénomination Maître Tailleurs d’Habits, avec pouvoir de faire tous les vêtements d’homme & de femme sans aucune exception ».
En 1675, Louis XIV « dit le Grand », jugeant que les femmes avaient aussi le droit d’habiller leurs semblables, constitua un corps de maitrise sous le nom de Maîtresse Couturières.
Pour porter le titre de Maître il fallait d’abord être confirmé compagnon au bout de trois ans d’apprentissage, puis présenter un chef d’œuvre trois ans plus tard.
Ce livre remarquable est une exégèse de l’art du tailleur et du vêtement « françois » depuis Clovis jusqu’au-delà de la moitié du XVIIIe siècle.
Mais qu’en était-il dans les Landes ?
Si l’on se fit à l’excellent ouvrage de Paul Laporte (juge de paix) publié en 1905, Usages locaux du canton de Saint-Martin-de-Seignanx [2], il décrit les us et coutumes, entre autres, du métier de tailleur d’habits :
« Il y a trois sortes d’abonnements :
1) Si le tailleur coud chez lui, il prend une mesure et demie de maïs par homme et par an, pour la façon de tous les costumes, sauf celui de marié ; il prend, en outre, 5 francs pour tout costume d’habiller en drap ;
2) Si le tailleur coud chez le client, où il est nourri, il prend une mesure de maïs par homme et par an ;
3) Si le tailleur, cousant chez lui, fait tous les costumes, à l’exception de celui de marié, il prend un demi-hectolitre de maïs.
Les abonnements partent du 11 novembre ; on doit se prévenir mutuellement, de la cessation, le jour de la Toussaint. »
Comment vivaient donc mes ancêtres et quel était leur modèle économique ?
Tous mes ancêtres Dupé sont natifs des Barthes (terres basses inondables) du Bas-Adour, au sud-ouest des Landes. Au fil des générations, on trouve des Dupé tailleurs d’habits, dans un périmètre allant de Saint-Martin-de-Seignanx, Saint-André-de-Seignanx, à Sainte-Marie-de-Gosse et du Bec-du-Gaves à la lisière Est de Bayonne couvrant ainsi toute la rive nord de l’Adour. Ce qui représente à peine 150 km2.
À l’exception de Robert Dupé – peut-être grâce à son mariage avec Hélène Hargous ? – qui était tailleur d’habits et propriétaire, ils n’étaient pas bien riches. Tous étaient locataires de leur habitation, qu’ils se transmettaient sur plusieurs générations. Ils cultivaient leur potager, possédaient une ou deux vaches au mieux pour la traite, traditionnellement un cochon (tout est bon dans le cochon), et parfois un cheval pour leurs nombreux déplacements. En général, les épouses étaient aussi couturières, c’est-à-dire qu’elles fabriquaient des vêtements féminins.
À la révolution, on ne compte guère moins de 7000 habitants dans les Barthes et à part quelques grands propriétaires, la population était surtout composée de « laboureurs » et autres journaliers (état de labeur). Entre 1789 et 1800, une vingtaine de tailleurs d’habits (dont trois Dupé : 2 frères et 1 cousin) se partage « le marché », ce qui représente grosso modo une moyenne de 350 clients potentiels par façonnier. Mais tous n’avaient pas les moyens de changer d’habits tous les ans, et la plupart du temps il s’agissait de réparation. Leur sort devait être identique à celui des métayers.
Et puis, il suffisait qu’ils s’en remettent à leur saint patron, Saint Blaise, pour que les choses aillent mieux !
Bibliographie :
Bibliothèque numérique Gallica :
Un des nombreux sites comme l’ATILF (Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française) de The University of Chicago propose une planche sur
le tailleur d’habits et tailleur de corps