Madame l’Amirale Bruat
En 1898, dans « Le Matin » du 15 mars, cette information : « Nécrologie. On annonce la mort :…/…au château de Saint Prim, dans l’Isère, de Madame l’amirale Bruat, décédée à soixante dix sept ans ».
Quelques jours plus tard, dans « Le Gaulois » du 27 mars, dans sa rubrique « Mondanités », Raoul Cheron écrit : « Nécrologie : les obsèques du marquis de Mun [1] ont eu lieu, hier matin (samedi 26 mars 1898), à dix heures, à l’église Saint Pierre de Chaillot (à Paris). L’église avait reçu une décoration funèbre, que rehaussait l’écusson aux armes des De Mun » Suit le compte rendu de la cérémonie religieuse ; avec la liste des personnalités présentes.
A la suite de cet article, il écrit :
Son acte de décès est rédigé le 14 mars 1898, « à quatre heures du soir », par Pierre Gayvallet, maire de Saint Prim. Jean Morel, 37 ans, jardinier et Pierre Dutrievoz, 29 ans, cultivateur ; « tous deux domiciliés à Saint Prim, voisins de la décédée » déclarent que « Caroline-Félicie Peytavin, âgée de soixante dix sept ans, rentière, demeurant à Saint Prim, née à Aix (Bouches du Rhône), (les témoins n’ayant pu fournir les noms des père et mère de la défunte), veuve de Armand-Joseph Bruat, en son vivant Amiral de France, est décédée aujourd’hui , à huit heures et demie du matin, au château de Saint Prim ».
Caroline Félicie Peytavin était née le 12 mars 1821, à Aix en Provence, fille de Jean Baptiste Peytavin et Marie Thérèse Antoinette Espariat. Elle avait épousé Armand Joseph Bruat le 2 décembre 1841. Il était né à Colmar le 26 mai 1796. Promu Amiral le 15 septembre 1855, il meurt du choléra en rade de Messine à bord du Montebello le 19 novembre 1855. Le couple repose au Père Lachaise.
De leur union naissent trois filles [2] : Marie Thérèse, Marguerite et Berthe. Marie-Thérèse se marie à Paris 1er le 18 février 1867 avec André Guillaume Isaïe De Boissieux, propriétaire du château de Saint-Prim [3] |
- Collection personnelle de l’auteur
Le « Journal de Vienne » du 16 mars 1898 annonce le décès de l’Amirale Bruat et précise que « ses obsèques auront lieu demain, jeudi 17 mars, à 10 heures du matin, en l’église de St Prim ».
L’article apporte des compléments sur sa vie : « La défunte était la veuve de l’amiral Bruat qui commandait les forces navales françaises pendant l’expédition de Crimée. L’amirale Bruat, qui s’était retirée au château de St Prim, avait été dame d’honneur de l’Impératrice (Eugénie, l’épouse de Napoléon III) et gouvernante du Prince Impérial enfant ».
Dans « Le Constitutionnel » du 3 mars 1856, on peut lire cet entrefilet : « On assure que Madame l’amirale Bruat est désignée pour la haute position de gouvernante des enfants de France ; Mme de Brancion, veuve d’un colonel mort devant Sébastopol, serait sous-gouvernante ». En effet, l’Impératrice est enceinte et la date de l’accouchement approche ! « Enfants de France : on nomme ainsi en France les enfants et petits-enfants du souverain, ainsi que ses frères et sœurs ; les neveux et autres parents ne prennent que le titre de princes du sang. Ainsi aujourd’hui, le prince impérial est un enfant de France et les autres parents de l’empereur sont princes du sang » « Encyclopédie populaire » (1856) |
François, fils de journalier
En 1856, alors qu’aux Tuileries se prépare activement la naissance impériale [4], à trois kilomètres à peine de Saint Prim, une naissance est également attendue.
Le 16 mars « à cinq heures du soir », en mairie des Roches de Condrieu, en Isère, est « comparu Charles Revon, journalier, âgé de trente ans, demeurant aux Roches, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né aujourd’hui à trois heures du matin, dans son domicile au dit lieu, de lui déclarant et de Marie Emélie Conty son épouse âgée de vingt sept ans, demeurant aux Roches, et auquel enfant il a déclaré vouloir donner le prénom de François ».
Ses parents se sont mariés le 7 janvier 1852 dans le village voisin de Saint Clair du Rhône : « Charles Revon, cultivateur, fils majeur et légitime d’Antoine Revon et de Louise Blache aussi cultivateurs demeurant ensemble à St Clair, d’une part ; et Marie Conty, couturière, fille majeure et légitime de François Conty et de Marie Dutal, tailleurs d’habits demeurant ensemble au dit St Clair d’autre part »
Charles Revon est né à St Clair le 4 mars 1826. Marie Conty est née aux Roches le 12 mai 1829.
« Ont signé avec nous les deux époux, les père et mère de l’épouse, et Valin (instituteur communal, l’un des témoins) ; non les père et mère de l’époux, et les sieurs François et Fleury Champin et Charles Méza pour ne savoir ainsi qu’ils l’ont déclaré » Ces témoins sont « tous les trois cultivateurs et domiciliés à St Clair ».
Quel peut bien être le lien entre Madame l’amirale Bruat et François Revon ? La réponse nous est fournie par cette page du « Journal de Vienne » du 9 novembre 1856 ; page à l’origine de cet article :
Le petit François Revon ne profite pas longtemps de son statut de "filleul impérial" :
« L’an mil huit cent cinquante six, et le sept septembre, à dix heures du matin, par devant nous Jean Gigarel, officier de l’état-civil de la commune des Roches, canton de Vienne, département de l’Isère, sont comparus Pierre Morel, marinier, âgé de soixante dix ans, et Jacques Godard, maçon, âgé de cinquante ans, tous deux domiciliés en cette commune ; lesquels nous ont déclaré que François Revon, âgé de six mois, fils de Charles, cultivateur, et de Marie Conty, né aux Roches, est décédé audit lieu hier à huit heures du soir dans le domicile de son père.
Après nous être personnellement assuré dudit décès, nous avons dressé le présent acte que nous avons signé, non lesdits témoins, pour ne savoir, de ce enquis lecture faite. Gigarel, aîné »
Pourtant, sa famille sera l’objet de sollicitude et de bienveillance de l’Empereur au fil des années :
- « Moniteur Viennois » du 11 mars 1864
- « Journal de Vienne » du 8 mars 1868
Filleuls de l’Empereur et de l’Impératrice
- Décret du 16 mars 1856
- "Bulletin annoté des lois et décrets’ (1856)
« L’Empereur et l’impératrice décidèrent qu’ils seraient parrain et marraine des enfants légitimes nés le même jour que leur fils : le nombre de ces enfants s’éleva à près de quatre mille pour toute la France. Les familles intéressées reçurent un brevet constatant le parrainage impérial et une somme d’argent fut attribuée à l’enfant, qui pourrait en disposer à sa majorité.../... Pour l’ensemble du département de l’Isère, on constata que 59 enfants étaient venus au monde le 16 mars. 35 demandes de parrainage seulement furent adressées à l’Empereur, par l’entremise de la Préfecture [5] ». |
S. M. l’Impératrice Eugénie n’a fait connaître à personne ses dispositions testamentaires. On ignore donc quelles sont ses intentions à l’égard de ses filleuls, bien qu’elle n’ait jamais cessé de leur porter un réel intérêt.
Leurs noms sont soigneusement classés par lettres alphabétiques à Farnboroug dans 6 boîtes qui contiennent chacune 659 fiches. Ce chiffre porte à 3834 le nombre des enfants nés en France le même jour que le Prince impérial et dont l’Empereur et l’Impératrice ont voulu être les parrains.
On pensera peut-être que le chiffre de 3834 enfants nés le même jour est exagéré. Le nombre des naissances en France est en effet loin d’être aussi considérable. Mais, au moment de l’annonce du parrainage impérial, l’Empereur et l’Impératrice se sont prêtés de la meilleure grâce à une petite supercherie qui consistait à déclarer comme étant nés le 16 mars les enfants nés le 15 et le 16 mars 1856.
Presque tous les filleuls de l’Impératrice appartiennent à des familles nécessiteuses. Ils ne manifestent guère leur existence que par des demandes de secours. L’Impératrice en reçoit depuis l’exil, et surtout depuis la mort de son fils, un nombre considérable. Les autres, à l’exception bien entendu des anciens camarades ou amis du Prince impérial, n’écrivent pas.
Sa Majesté ignore donc, actuellement, quels sont les vivants et les morts. Un seul parmi ceux qui n’ont rien demandé et dont on connaît l’existence s’est fait un nom. C’est le compositeur Gangloff, l’auteur de la plupart des chansons de Paulus.
C’est Napoléon III qui a pris l’initiative de cette institution. Il voulait pour ainsi dire associer personnellement par un lien aimable, quoique fictif, un grand nombre de Français au sort de son fils. Son projet était de les suivre dans leurs carrières, de les aider au besoin dans les circonstances critiques de la vie. L’Impératrice s’était de suite ralliée avec empressement à cette idée patriotique et démocratique.Tous ces projets se sont naturellement évanouis avec la révolution du quatre septembre.
Voici le fac-similé du parchemin délivré à chacun des filleuls de l’Empereur et de l’Impératrice. C’est une pièce qui aura un jour un intérêt historique. [6]
- De par l’Empereur
Un pari fou ?
La liste pour l’arrondissement de Vienne comporte vingt noms. Ce doit être (assez) facile d’identifier les quinze autres enfants nés le 16 mars 1856 dans les deux autres arrondissements de l’Isère... Voire même de retrouver les près de 4000 "enfants de France" filleuls de l’Empereur Napoléon III et de l’Impératrice Eugénie !
Où chercher, outre bien sûr dans nos généalogies et dans la presse ancienne locale ? Un exemple de références aux archives de l’Isère, de la Loire et d’Indre et Loire :
- 52 M 52 : parrainages de Leurs Majestés Impériales des enfants légitimes nés le 16 mars 1856, jour de la naissance du Prince Impérial : correspondance, propositions, secours accordés (1856-1870)
- 1 M 761 : parrainages impérial et présidentiel. Parrainage impérial des enfants nés le 16 mars 1856 : instructions, correspondance, attributions de secours (1856-1870) ; parrainage présidentiel : correspondance, rapports (1932-1937)
- 1 M 712 : parrainage impérial des enfants nés le 16 mars 1856, attribution de secours : procès-verbaux de gendarmerie, extraits de naissance, correspondance. 1856-1857.