« Pleure pas petite mère, je vais pas en Afrique… »
Le 5 juillet 1914, il lui écrivait cette lettre de SATHONAY !
« ………… Je m’arrête d’écrire en Anglais afin de mieux t’expliquer. J’ai demandé ma permission pour mercredi 10 et j’espère qu’elle me sera accordée pour ce jour là. Je ne puis vous l’affirmer aujourd’hui car les officiers sont absents. En tout cas, j’aurais sûrement samedi et dimanche. Si j’ai demandé à partir vendredi, c’est que je dois quitter Grenoble assez de bonne heure pour arriver à temps dimanche. Demain je serais fixé sûrement et vous écrirais aussitôt, ma lettre arrivera avant jeudi, jour de votre départ. Et puis je vous télégraphierais chez le cousin pour vous dire l’heure exacte où je pourrais arriver.
Oh ! Quel bonheur, dans peu de jours, je pourrais vous embrasser tous les trois. N’oubliez pas de m’apporter ce que je vous ai demandé. Tu ne m’as pas dit si tu apporterais mon sac de voyage ……… »
Cette permission tant attendue ne fut jamais accordée…
Appelé pour son service armé en janvier 1914, à l’âge de 21 ans, Edmond – fils et petit fils de militaires [1] – préparait ce 2 août 1914 son départ pour la grande guerre…
Aussitôt constitués, le 1er bataillon de l’Active et le 11e bataillon formé, par des éléments de réserve partaient d’Oran avec le Drapeau, sous la direction du colonel GODCHOT, faisaient halte au dépôt de Sathonay pour y compléter leurs préparatifs, se groupaient avec le 5e bataillon qui tenait garnison en FRANCE en temps de paix et formaient le « 2e régiment de Marche de Zouaves ».
Le 18 août, Edmond écrivait cette dernière carte à sa grand’ mère…
« …… En bonne santé, toujours courageux Mam chérie. J’ai pensé longtemps à ta fête le 15, et si je ne te l’ai pas souhaité, c’est que ce n’est ni l’heure ni le lieu. Je vous aime et vous embrasse…Et j’ai toujours confiance en Dieux …… »
La grande bataille de Charleroi…
Et le 22 août 1914, il tombait au champ d’honneur…
« Les meilleures troupes Allemandes venaient de franchir la frontière de
Belgique, et malgré la résistance héroïque de Liège avançaient rapidement par la Meuse et la Sambre sur la route directe de Paris.
La 37e division, à laquelle le 2e Zouaves fut rattaché organiquement pendant toute la campagne fut affecté à l’armée du Général Lanrezac, transportée en chemin de fer jusqu’à Rocroi et rassemblée le 21 août 1914, prête au combat, aux abords du village de Fosse.
La grande bataille de Charleroi, où l’ennemi espérait emporter du premier coup le succès décisif, venait de s’engager. Le 2e Zouaves, qui venait de recevoir un nouveau chef, le Lieutenant-colonel Trousselle, fut mis à disposition du Général commandant la 19e division et reçut, le 22 août au matin, l’ordre d’enlever le village d’Auvelais.
La tâche était rude et digne des Zouaves. Le village, solidement organisé, armé de nombreuses mitrailleuses et protégé par une puissante artillerie, était tenu par l’élite de l’armée Allemande : la Garde Impériale. Le terrain, plat et nu, descendait en pente douce vers la Sambre. Impossible d’échapper sur ce glacis aux vues de l’ennemi et au tir inexorable des mitrailleuses. Le 5e bataillon, colonel en tête, n’en partit pas moins à l’assaut, tête haute. Les balles et les obus creusaient dans les rangs des trouées sanglantes. Le Colonel Trousselle tombait mortellement frappé, mais, pleins d’entrains, les Zouaves progressaient quand même. A 9 h 30, le 5e bataillon atteignait un tas de scories à 150 mètres seulement du village et s’enfonçait comme un coin entre les premières maisons d’Auvelais et le hameau de Alleux, protégé, par une tranchée. Le 1er et le 11e Bataillon ne tardait pas à prolonger le 5e, face au village.
Mais les mitrailleuses faisaient rage [2] . L’Allemand, caché dans les maisons, souffrait peu.
L’artillerie Française, prise violemment à partie par des canons de gros calibre, restait muette. Le régiment s’épuisait et les munitions devenaient rares. Le Commandant Decherf comprit qu’en continuant, la lutte à mort de ses hommes resterait inutile et, vers 12 h 30, par petites fractions, des Zouaves regagnaient les positions de départ. La Garde, épuisée par de lourdes pertes, ne songea même pas à poursuivre ces héros qui, malgré l’infériorité du nombre, les périls du terrain et le manque de moyens matériels, avaient tenu en échec et arrêté la progression des meilleurs troupes Allemande.
Certes le 2e Zouaves n’a pu, le 22 août, enlever Auvelais, mais son rôle n’en a pas été moins glorieux. Les chiffres ont, hélas ! Leur triste éloquence : les 20 officiers et les 1006 hommes qui restaient couchés sur le champ de bataille prouvaient avec éclat que le 2e Zouaves de Charleroi étaient bien les dignes héritiers des Zouaves de Magenta et de Woerth, qu’ils pouvaient lever fièrement, la tête et qu’ils sauraient bientôt venger leurs morts » [3].
En mars 1916, la Croix Rouge Allemande de Freiburg (Fribourg) informait la Croix Rouge Française que Edmond GAILLARD
« …Il a été enseveli à Auvelais… Monsieur Gaillard n’est pas décédé dans un hôpital mais, selon toute apparence pendant la bataille de Auvelais… ».
- Le 11 janvier 1917, le ministère de la guerre annonçait que Edmond GAILLARD était mort au champ d’honneur.
- Cimetière d’Auvelais
Et pendant cette sale Guerre, la sœur et la grand’ mère d’Edmond s’étaient engagées dans la Croix Rouge Française …
Assise à gauche : Mam la grand mère d’Edmond et Paulette,
Debout à droite : Paulette (Petite mère) la sœur d’Edmond.
(Edmond Gaillard n’avait que 6 ans au décès de sa maman Emilie le 26/10/1898 à l’âge de 31 ans).
Épilogue
Les Zouaves n’ont jamais failli au devoir et à l’honneur et ils ont mérité qu’on dise d’eux :
« Ce sont les premiers Soldats du monde ! »
Entre la mobilisation du 2 août 1914 et son départ pour la Belgique vers le 15 août, le grand oncle de mon épouse, le Zouave Edmond GAILLARD, écrivait :
« .... Nous ne devions pas rester inactifs. Bientôt la cavalerie ennemie est signalée et nous subissons plusieurs charges de Dragons. Ils sont accueillis par un feu nourri et leur charge n’ébranle pas les zouaves. Cependant à la fin toute la cavalerie se jette sur nous et nous sommes en mauvaise posture mais l’artillerie a tôt fait de les arrêter. Alors se produit le spectacle le plus beau que j’ai jamais vu. L’artillerie est réduite au silence, la cavalerie a balayé le champ de bataille imaginaire, c’est un instant de répit avant l’apothéose finale. Dans les deux partis les troupes se préparent à l’assaut à la baïonnette. Un grand silence, puis tout d’un coup dans l’air la charge monte par la voix des clairons et tambours de tous les régiments. Lentement d’abord sur une longueur de plus de 3 kilomètres les partis s’avancent l’un contre l’autre, tous les uniformes se mêlent et le soleil s’est enfin montré pour faire briller les milliers de baïonnettes, les drapeaux sont là eux aussi avec leur garde d’honneur, ils avancent eux aussi au son de la Marseillaise que jouent les musiques des 99e et 22e d’infanterie et l’hymne matinal augmente encore l’ardeur des notes de la charge.
Et puis, tout d’un coup, lorsque les troupes sont à 50 mètre l’une de l’autre, une formidable clameur retentit étouffant le bruit des clairons. "En avant, en avant" tel est le cri poussé par les huit mille hommes tous fières qui s’arrêtent à quelques mètre les uns des autres. C’est fini, les clairons sonnent, la critique et les troupes se dispersent. Nous allons rejoindre la route à 4 km de la Valbonne pour faire la grande halte. On fait la soupe, le café, on mange la viande de conserve. Il est 10h1/2 à la fin de la manœuvre à 11h on mangeait. À 11h1/2 nous reprenions la route de Sathonay où nous arrivions à 5h1/2 ayant dans les jambes près de 60 km. Nous avons défilé devant notre Colonel tout pleins d’entrain et sans fatigue apparente. Pas un homme n’avait calé durant ce long exercice, aussi le Colonel a donné quartier libre hier et levé les punitions.
Voilà tout sur cette belle journée. » [4]