Les Montaurais sentaient l’approche des Alliés. Ils l’entendaient . L’allemand commençait à s’inquiéter. Malgré la modestie de la commune, ils étaient informés. L’été de la liberté se précisait. L’espoir se levait dans les cœurs. Les gens du village semblèrent vouloir stopper toute activité. Les moissons mûres attendaient dans les plaines à la fréquentation incertaine, risquée. Les avions sillonnaient le ciel à la recherche de leurs proies. Le courrier quotidien arrivait sans planification. La distribution était souvent supprimée. Manger devenait un casse-tête ...
La BBC, par ses communiqués, maintenait le moral. Monsieur et Madame Palisse, gardes-barrière du passage à niveau vers La Vallée, avaient eu la bonne idée de conserver leur poste de TSF comme beaucoup d’autres habitants. Le journal de Rouen du 9 août écrivit : « L’ennemi est repoussé dans la plupart des secteurs du front de Normandie".
Le 13 août, un dimanche, vers 11 H, le ciel était parfaitement dégagé. Les avions alliés vrombirent dans le lointain. Un groupe d’une cinquantaine de « Forteresses Volantes » précédées de chasseurs et de bombardiers légers, sema des spirales argentées. L’atmosphère scintilla en féerie en troublant les radars au sol. Une technique d’aveuglement des pointeurs de DCA se déployait sous nos yeux. Les axes routiers reçurent des bombes dans tous les azimuts. Surtout au niveau des carrefours. Les « quatre-routes » de Tostes furent sérieusement touchées... La réaction allemande fut rapide et brutale. La troupe présente réquisitionna les hommes valides. Ils rebouchèrent les trous pour rendre les chemins praticables. Robert Fouquet jouait aux cartes chez Bernadette, au café de Tostes. Ses amis et lui n’eurent pas le temps de terminer leur partie de manille coinchée. Les Allemands les en empêchèrent en braillant pour leur remettre pelles et pioches indispensables...
Le 18 août, le flux des fuyards vers la Seine s’amplifia.
Une centaine de parachutistes britanniques et belges tombèrent pendant trois nuits consécutives, en six groupes selon une opération dite « en pagaille ». Un groupe se posa en lisière de la forêt de Louviers...
Florent GOUPIL, époux de Léopoldine, mon grand-père était résistant et adhérent du Front National de lutte pour la libération et l’indépendance de la France à cette époque [1].
Il va cacher un parachutiste anglais dans les greniers de sa ferme. Alors que tout le hameau des Fosses s’était réfugié dans la cave d’une maison abandonnée (situés impasse de la Ravine à peu près en place de la maison actuelle de son fils Bernard GOUPIL, mon père), son père Eugène voulu rester seul dans la ferme. Mais il eut la visite de soldats allemands cherchant le pilote anglais tombé dans la forêt. Ces derniers furent étonnés de le voir fumer une cigarette anglaise. Eugène leur répondit : « ce sont des cigarettes que des anglais m’ont données au début de la guerre et que j’avais rangées dans un coin ». Les soldats allemands, pas très futés, ne posèrent pas d’autres questions et repartirent. Le « béret rouge » anglais va être recueilli pendant 3 jours avant de retrouver ses camarades parachutistes.
Le regroupement des parachutistes eut lieu dans un bois situé à deux ou trois kilomètres de Louviers. La mission consistait à placer des embuscades sur la D.133 entre Louviers et Le Neubourg. Des « crèves pneus » furent semés, des camions détruits, un dépôt de munitions anéanti en forêt...Le groupe s’installa ensuite au hameau des Fosses de Montaure le 23 août.
Le 24 août, le château de la Haye-le-Comte fut bombardé. Les messages radios avaient leur but. Le 25 août, les américains ou les Canadiens dépassaient le commando en poursuivant leur progression.
A Montaure [2], les habitants assistent à la retraite des allemands. Des convois entiers, harcelés par l’aviation et les canons, fuyaient vers la Seine. Des images tristes d’armées en déroute, des sauve-qui-peut lamentables, des blessés humains ou animaux. La fierté des occupants d’hier avait disparu. Les Montaurais restaient calmes dans l’ensemble. Le ciel couvert avait freiné l’intensité des carnages...
Le mardi 22 août, la 2e division blindée du général Brooks, forte de 186 Sherman, se trouvait à Dreux. Les Sherman étaient des automitrailleuses sur pneus. La pression libératrice atteignit aussitôt Breteuil, Conches.
Le 23 août à 7H30, la colonne s’ébranlait en direction d’Elbeuf. Le 24 août pourrait être qualifié de « jour vécu entre inconscience et réalisme ». Depuis plus de 16 H, les blindés du général Brooks étaient passés sans y séjournés. La libération était provisoire. Montaure se trouvait toujours au milieu des combattants.
Montaure libre ! Le vendredi 25 août, après une nuit calme, le village vit passer enfin des colonnes sans fin des Canadiens.
Extrait de La sanglante bataille de la Seine - Témoignage de Jean Leloup, Ed Humusaire.
Ajout de témoignages de la Famille Goupil.