C’est au lendemain de la "Polymultipliée" (course de vélo), ayant lieu chaque année dans les Monts-d’Or, que Grand-père, parti chercher son journal, revint avec un magnifique chien blanc, qui l’avait suivi tout le long de la route.
Il était un peu sale, mais on voyait nettement que c’était une bête soignée et non abandonnée. Il devait s’être perdu depuis peu.
Pépé n’avait pas eu le courage de le mettre dehors et après lui avoir donné un bon bol de lait chaud en réconfort, nous décidâmes, d’un commun accord, de le garder avec nous, tant que personne ne le réclamerait.
Ce grand beau chien à la houppelande blanche était un Samoyède, issu d’une race de chien de traîneaux. Doux avec les enfants, plein de vivacité et d’intelligence dans le regard, il avait tout pour se faire adopter.
Il avait ni nom ni collier. Pendant quelques semaines, Grand-père regarda dans le journal si le propriétaire ne réclamait pas son chien. Mais personne ne se manifesta, à notre grand soulagement.
Pépé en conclut qu’il avait dû se perdre pendant la course ou qu’il avait dû sauter de la voiture de ses maîtres, de passage dans la région.
Ce chien perdu sans collier devint donc, très vite, notre compagnon adoré et il fut prénommé Wisky.
- Wisky et Cl. Ferraud - 1950
Ce fut aussi l’année de notre départ pour Clermont-Ferrand. Mon père, récemment nommé directeur des usines "Conchon-Quinet", il fallut déménager.
Si je ferme les yeux, je revoie, notre départ de Curis, à la pointe du jour.
Je sens encore, les embrassades attendries de Pépé, et le gros camion qui s’ébranle avec meubles et valises.
Un monsieur de l’usine est au volant. Papa, Maman tenant mon petit frère dans les bras et moi, serrant mon chien dans les miens, sommes entassés côte à côte.
L’air est très frais. Nous sommes au mois de septembre, et je pars vers une nouvelle ville, une nouvelle école, en bref... vers une véritable aventure, pour la petite fille de 7 ans que je suis.
Après un voyage qui me sembla bien assez long, si j’en crois les éternels soulèvements de cœur qui me tenaillent dès que je monte en voiture, nous sommes enfin arrivés dans cette petite ville de province.
Papa m’avait montré à travers la vitre du camion, la flèche noire de la cathédrale, tout en pierre volcanique, piquée dans le ciel et le Puy-de-Dôme bien arrondi.
Il m’avait également expliqué que l’Auvergne, en des temps reculés, avait été un monde de cratères et de feu. Ces monts aux dos désormais tranquilles, qui ressemblaient à de gros minets endormis, avaient été des montagnes plus hautes encore, que nos Alpes d’aujourd’hui.
J’ouvrais de grands yeux tout ronds et mon imagination chatouillée, recomposait pour moi les entrailles de l’Enfer, formant d’énormes crevasses d’où sortaient quelques improbables monstres préhistoriques, crachant eux-mêmes un feu de tous les diables.
J’étais d’autant plus fascinée, que Papa, entretenant le suspense me disait, qu’un jour, peut-être, tout cela pourrait très bien se réveiller, bien que l’on croie ces volcans définitivement éteints. J’étais parcourue de bas en haut par un frisson d’excitation et de peur.
L’appartement de fonction dans lequel nous fûmes enfin installés, était au 5 de la rue Jean Rochon.
Nous étions en plein centre de cette petite capitale auvergnate, à deux pas du marché Saint-Pierre, et à trois de la place de Jaude.
J’ai toujours préféré, à l’atmosphère anonyme des grandes cités, celle plus familiale des petites villes où chacun connaît son voisin, où tout est à proximité, construit en rond au pied de la cathédrale. Il semble ainsi, qu’il soit impossible de se perdre, ce qui est plutôt rassurant pour un enfant.
J’ai d’ailleurs toujours gardé cet esprit de clocher.
Nous habitions, un joli appartement au 1er étage.
Mon petit frère et moi partagions la même chambre et j’aimais notre cuisine claire, dont la porte-fenêtre donnait sur un petit balcon, d’où Maman me guettait lorsque je rentrais de l’école de Saint-Halire.
Mon chien, Wisky, venant souvent m’attendre pour que nous rentrions ensemble. Et avant le retour de Papa, qui signifiait l’heure des devoirs, je l’attachais à une patinette rouge et nous partions pour des courses folles autour de la statue de Vercingétorix.
Il était doux comme un agneau et adorait tirer, ce qui faisait bien mon affaire.
Je me souviens du jour où il gémissait doucement dans notre chambre.
Papa, peu patient lui avait crié :
Wisky ça suffit. Arrête !
Mais le chien gémissait de plus belle.
Papa s’était alors levé et avait découvert avec effroi, mon petit frère assis sur son dos, une paire de ciseaux dans la main, découpant avec beaucoup d’application l’oreille de Wisky, qui ne se rebiffait pas, malgré la douleur.
Que d’amour ce chien nous prodiguait ! Il n’aurait pas fallu que quelqu’un nous touche.
Un jour Papa me gronda pour quelques bêtises et je me mis à pleurer très fort.
Le chien, jusqu’alors couché sous la table, se leva et se mit entre mon père et moi l’échine hérissée, l’œil mauvais, les oreilles couchées et les babines retroussées, crocs en avant, prêt à bondir.
Papa, stupéfait devant l’aspect menaçant du chien qui, de toute évidence, était à deux doigts de le mordre, renonça à toute nouvelle tentative de représailles.
Wisky n’avait peur de rien... sauf de l’orage.
Or, ce brave chien faisait des escapades, quand son humeur vagabonde lui commandait de conter fleurette à quelques lady du voisinage.
Notre chien ne rentrait donc qu’au bout de 2 ou 3 jours de fugue, honteux, confus et sale, et mon père le tapait alors sauvagement. Maman et moi en étions malades.
Un jour que notre vagabond rentrait d’une sauvette nocturne, par un orage dément, Papa attacha mon chien au milieu du jardin, une grande partie de la nuit.
Prisonnier, sous la pluie et les éclairs, mon chien hurlait à la mort et moi je pleurais dans mon lit, impuissante.
Prenant mon courage à deux mains, je sortis de mon lit et commençais à descendre l’escalier, quand Papa d’un ton cinglant m’ordonna de remonter me coucher.
J’ai eu beau pleurer supplier, rien n’y fit. Mon Wisky resta donc sous l’eau glacée et je crois bien que cette nuit là, Maman prit la résolution de le donner.