Voici le récit de Jean Surian, mon ancêtre...
Jean Surian est plus exactement mon arrière, arrière, arrière, arrière, arrière grand-père.
Il est né le 20 février 1768 à Saint-Chamas, petit village situé sur les rives Nord de l’Etang de Berre, dans les Bouches-du-Rhône. A cette époque, Louis XV règne sur le royaume de France.
Son père, Charles Surian est qualifié de " travailleur " par les actes paroissiaux. Il vit donc de petits travaux journaliers : récolte d’olives, travail au moulin, pêche et travaux des champs.
Charles est âgé de 32 ans quand naît Jean Surian (le héros de mon récit)... Le parrain de Jean Surian est Jean Estournel et la marraine Marguerite Roustand et le prêtre est nommé Balthazar.
Charles est marié à Suzanne Hugues. Elle n’est sans doute pas de la région car je n’ai pas trouvé leur acte de mariage (sans doute vers 1760). On trouve d’ailleurs à cette époque un guillaume Hugues à Saint-Chamas, originaire de Saint-Laurent des Arbres, diocèse d’Avignon. Peut-être y a-t-il un lien à faire entre ces deux personnes ?
A cette époque, les actes paroissiaux ne mentionnent pas le lieu précis d’habitation des personnes et on ne peut donc pas savoir où vit la famille de Charles Surian à Saint-Chamas, le Pertuis ou le Delà... ?
Quelques mois après la naissance de Jean, c’est son frère Jean Charles qui décède, âgé d’à peine 2 ans. Premier deuil pour la famille.
Viendra ensuite la naissance d’une petite sœur qui ne vivra que 12 jours, Magdeleine Henriette. A cette époque la mortalité infantile est très élevée... Puis un frère, Joseph Charles naît en 1772.
La naissance d’un fils pour les familles est toujours de bonne augure, c’est un signe de fertilité et de force... mais c’est aussi une bouche de plus à nourrir... et les temps sont durs pour ces familles si modestes.
Le 16 octobre 1775 c’est le frère aîné, Girard Surian, qui décède à 14 ans (A cette époque le prénom Girard n’est pas rare dans la région).
Une grande perte pour la famille que de voir disparaître ainsi le fils aîné.
Le 22 mars 1777, c’est la naissance de Marie Magdeleine.
La dernière née de la petite famille Surian car 3 ans plus tard, le 9 janvier 1780, c’est le décès de Charles Surian alors âgé de 44 ans.
44 ans à l’époque c’est déjà vieux, on est déjà usé par la vie, le dur labeur, le malheur... C’est donc une famille déjà pauvre et affaiblie qui doit faire face à cette nouvelle tragédie. Charles laisse derrière lui une femme qui n’a sans doute plus l’âge et la volonté de se remarier, ainsi que 3 enfants, dont la plus jeune a seulement 3 ans.
Ce sont donc Jean 12 ans et Joseph 8 ans qui feront face à cette nouvelle réalité encore plus dure et difficile qu’avant.
Le 4 février 1782, Jean Surian, naviguant fils d’André Surian capitaine de barque et Marguerite Chapus, (de lointains cousins à Jean Surian) se marient.
Ce mariage semble des plus prospères, puisque de nombreux artisans participent à la cérémonie et que la famille Sauguin semble être de petits commerçants bourgeois.
Mais ces gens ne s’occupent sans doute pas de notre petit Jean qui lutte pour survivre avec les siens.
En 1784, nouvelles vagues de froid, avec de nombreuses chutes de neiges qui plongent le petit peuple de Saint-Chamas dans la misère.
Une nouvelle révolte éclate, elle est qualifiée de " tumultueuse " : des pères et des mères de familles de paysans et d’ouvriers protestent contre la mobilisation de leurs enfants pour la marine. On compte 218 mobilisés à Saint-Chamas...
Louis XVI autorise l’intervention de la France dans la guerre d’indépendance américaine de 1778 à 1783.
Ces marins seront enrôlés dans la marine royale pour aider les insurgés américains.
Voici quelques exemples de jeunes Saint-Chamassiens, partis à l’autre bout du monde pour une guerre dont ils ne comprenaient pas les intérêts.
JUGE Henry, matelot de St-Chamas, combat du 6/7/1779, brûlure à la main.
MICHEL Jean Baptiste, matelot de St-Chamas.
SILVESTRE Jacques, matelot de St-Chamas.
SILVESTRE Joseph, matelot de St-Chamas.
AUBERGE Jean, matelot de St-Chamas.
DEVAUX Joseph, officier marinier de St-Chamas.
DEVEAU Jean Joseph, matelot de St-Chamas.
LARDEYROL Joseph, aide-pilote de St-Chamas, mort le 1/2/1781.
CHAPUS Amant, matelot de St-Chamas.
LEYDET Joseph, matelot de St-Chamas.
SIMON Jean, matelot de St-Chamas.
ARDISSON Honoré, matelot de St-Chamas, mort au combat le 17/4/1780.
DARBEC Antoine, matelot de St-Chamas.
FABRE Henry, matelot de St-Chamas.
FABRE Joseph, matelot de St-Chamas.
GUILLAUME Jean, matelot de St-Chamas.
Des matelots que connaissaient sans doute Jean et Joseph. Des matelots aussi qui ne sont probablement jamais revenus de leur aventure du bout du monde...
1789 : La révolution française éclate.
Jean, alors âgé de 21 ans, décide de se marier.
On peut sans doute se demander si l’amour tient une place dans ce mariage de la fin du XVIII siècle. On dit qu’il naît plus tard, au fil de la vie quotidienne... De même la beauté n’est pas prise en compte dans la décision de se marier, au contraire on privilégiera la loyauté, le courage, l’honnêteté et la sagesse. Dans tous les cas c’est à l’homme de faire le premier pas. Entre temps, dès l’âge de 13 ou 14 ans, les jeunes filles préparent leur trousseau pendant des années. On se mariait souvent tard, car les jeunes gens devaient avoir de quoi s’établir et devaient bien souvent attendre le décès de leurs parents.
C’est le cas ici, car jean a perdu son père mais il lui reste sa mère.
Et pour la jeune mariée, Jeanne Bourguignon, c’est tout autre : elle est orpheline ; elle a perdu son père vers 1787 alors qu’elle était âgée 17 ans ; sa mère elle aussi semble décédée. Mais Jeanne Bourguignon a de nombreux frères et sœurs pour l’élever et subvenir à ses besoins. Elle n’est donc pas seule.
Jeanne semble être née en 1770 à Saint-Chamas. Son père est Pierre Bourguignon et sa mère Magdeleine Chabert. Ils semblent avoir eu plus d’une dizaine d’enfants.
Pierre a sans doute gravi peu à peu les échelons puisqu’il passe de simple bastier (c’est un sellier, fabricant des selles grossières pour les bêtes de sommes ; il vend aussi des accessoires comme des brides, sonnettes, grelots...), à maître bastier puis à maître bourrelier (ou appelé aussi le marquis de la croupière).
Quand on survole les actes, on y dénombre un Claude Bourguignon Bastier, peut être le grand-père de Jeanne Bourguignon.
A sa mort, Pierre a sans doute lui aussi laissé une famille dans la précarité puisque ses fils à leurs mariages sont qualifiés de travailleurs et non de petits artisans.
Avant Jeanne Bourguignon, ce seront ses frères et ses sœurs qui se marieront.
Léger Bourguignon en 1776, Marthe en 1782 avec Louis Sauvaire cultivateur (de Miramas) et Pierre en 1784.
Et le 23 novembre 1789, c’est au tour de Jeanne 19 ans et de Jean 21 ans.
Ils se marient après les 3 publications de bancs obligatoires. Un certain Joseph, curateur de l’épouse, est mentionné... Sans doute parce que la mariée est orpheline et mineure (la majorité à cette époque est fixée à 25 ans). On constate qu’il y a comme témoin au mariage le parrain de Jean Surian, Jean Estournel, Jean Flamen menuisier et juge tailleur.
1789, c’est aussi une terrible année puisque 30 000 oliviers sont coupés à la racine... et l’olivier est la première richesse de Saint-Chamas.
L’huile d’olive sert de monnaie d’échange et les olives à la picholine sont un objet de commerce important.
Six mois après le mariage, c’est-à-dire le 26 mai 1790, c’est la première naissance pour le couple, Jean Pierre Surian. Cette naissance prouve que l’acte amoureux s’est produit bien avant le mariage... Se sont-ils mariés parce qu’elle était enceinte ? Jean est-il vraiment le père de Jean-Pierre ? Est-ce là un véritable indice de leur " vrai " amour ? On ne saura jamais répondre à ces questions, malheureusement...
Que nous apprend cette première naissance ?
On apprend que le couple vie au Pertuis, appelé aussi section de l’égalité durant la révolution (contrairement au Delà appelé la liberté).
La section de l’égalité a peu changé depuis sa création au début du XVII siècle. L’étang arrive à la rue Marcel Bœuf et le quartier s’arrête au champ de Mars. La plupart des maisons qui n’ont pas souffert des éboulements du Baou sont bâties contre la colline, les rues du Pertuis ont peu changé. Seules les maisons n’ont pas leurs dispositions actuelles.
En général elles ont un cœur et leur rez-de-chaussée est une étable dans laquelle vivent cheval, mulet, âne, poules, canards et chèvres...
Le tas de fumier est contre la maison. On n’a pas de problème de tinette car tout sert à faire de la fumure, même la rue dont les trous sont remplis de paille. Dans ces conditions on n’est pas étonné du nombre de maladies endémiques qui ravagent la section de l’égalité durant cette période.
En 1790, on apprend donc que Jean Surian est qualifié de travailleur et que le parrain de Jean Pierre Surian est Pierre Blanc.
Le 17 décembre 1792, c’est la naissance d’une petite fille, Marie Elisabeth. Jean est alors qualifié de poudrier par les actes paroissiaux. La poudrerie royale est à ce moment-là dirigée par Bottée Toulmont. Elle est une source de danger et d’ennui et son importance croit lorsque la patrie est déclarée en danger.
Mais la petite fille décède âgée de 8 mois, le 10 août 1793.
Sur l’acte de décès, le témoin est joseph Bourguignon, sans doute le frère de Jeanne Bourguignon.
On compte, d’après le recensement de Port Chamas (nom révolutionnaire de Saint-Chamas) en 1793, environ 2 700 habitants.
En 1793, c’est le régime de la terreur en France... Et Saint-Chamas n’échappe pas à cette règle, une année de procès, assassinats... et trois guillotinés : Chapus Agnès, veuve Henriot, Clerc François (propriétaire agriculteur) et Maurain Guillaume (médecin et officier municipal), tous les trois condamnés le 18 germinal an II.
Le 15 juin 1793, une enquête est ouverte pour dénoncer les fauteurs de troubles : Marguerite Sauguin, épouse du capitaine naviguant Jean Surian (un lointain cousin), 36 ans, est emmenée en prison et traitée de " putain d’aristocrate " car elle avait propagé le propos sanguinaire.
A cette époque, la population est sous alimentée et donc encore plus misérable que pendant les années prérévolutionnaires (Saint-Chamas compte alors un tiers de travailleurs).
Le 16 avril 1794, Marie Magdeleine est née... Encore une fille pour le couple. Mais 9 mois après, en janvier 1795, la petite décède... Le froid, la disette, les maladies infantiles... on ne peut connaître les causes de ces nombreux décès infantiles.
" Le 24 thermidor de l’an III, une insurrection générale a eu lieu à la poudrerie. La direction de l’usine souhaite que JB Silvestre soit arrêté... et puni de 3 jours de prison et qu’il soit renvoyé à la marine pour y faire le service auquel il est attaché ". L’usine à poudre est dangereuse pour deux raisons : l’intensité des fabrications de poudres noires et le manque d’expérience des requis qui préfèrent déserter plutôt que d’affronter un tel danger.
On peut donc se demander si Jean Surian travaille à la poudrerie volontairement ou s’il y est forcé par la commune révolutionnaire.
En 1795, une autre naissance de fille, Marie Surian... mais l’enfant décède le 28 mars 1797, âgé de 2 ans.
Jean n’est plus à cette époque poudrier... il est qualifié de cultivateur.
Le 30 mars 1797, soit 2 jours après le décès de la petite Marie, c’est mon ancêtre Jean Surian, âgé de 31 ans, qui meurt de maladie ordinaire dans sa maison d’habitation. Il laisse derrière lui une famille dans le deuil et la souffrance... Une veuve enceinte de 7 mois, et un petit garçon âgé de 7 ans...
Le 8 mai 1797, en l’absence de ses parents tous décédés, le frère de Jean, Joseph Charles Surian, un travailleur alors âgé de 25 ans, épouse Marie Thérèse Boret à Saint-Chamas. Elle aussi est issue de la classe des travailleurs et elle est âgée de 24 ans. Joseph Charles Surian sera ensuite poudrier.
Deux mois après le décès de Jean Surian, le 15 prairial de l’an V de la république (le 3 juin 1797), Jeanne Bourguignon accouche à 2 heures du matin, aidée par Elisabeth Canelle, sage femme âgée de 43 ans et domiciliée section de la liberté, de deux petites jumelles : Suzerie Jeanne et Claire Virginie. Mais un mois après, Claire Virginie décède. Ensuite c’est Suzerie qui décédera le 14 novembre 1797, âgée de 5 mois.
L’année de 1797, restera longtemps gravée dans la mémoire de Jeanne, car elle aura perdu cette année-là, son mari, ainsi que ces trois filles.