Jean-François Lorentz Malzéville, qui m’écrit ces mots, m’a envoyé la transcription de l’une des lettres de son grand père, Lieutenant puis Capitaine au 294e Régiment d’Infanterie.
"21 Décembre 1914.
Ma chère mère [1],
Je suis très étonné que mes lettres ne te parviennent pas régulièrement, car en ce moment, je reçois les tiennes 4 ou 5 jours après leur envoi, ainsi, j’ai reçu avant hier celle écrite le 14 décembre.
De même je t’avais répondu que j’avais reçu une lettre de Marguerite [2] et qu’en même temps, j’avais reçu celle que tu m’envoyais après l’avoir reçue de Briey.
Dans ma dernière lettre, je te priais de répondre soit par les moyens dont tu me parles (Pontarlier-Bâle, ou par l’intermédiaire de Mr Chaire) car les ambassades d’Espagne ou des Etats Unis ne se chargent plus de transmettre les lettres dans les pays occupés.
En ce moment toujours la même vie ; quelque fois plus agitée ; ainsi hier, nous avons subi hier un assez dur bombardement au cours duquel j’ai pour la troisième fois échappé à la mort par miracle.
J’avais une quinzaine d’hommes formant petit poste dans le porche d’une église à moitié démolie. Les cloches étaient le point de mire des Boches.
Un obus fait un trou dans le haut du clocher, et par suite de l’ébranlement, des pierres et des plâtras tombent sur les hommes ; qui se réfugient dans une cave voisine. Je suis prévenu et vais pour me rendre compte du danger et changer mon poste de place.
J’entre sous le porche avec un sous lieutenant et un adjudant.
Je cherchais les fissures, lorsqu’un choc se produit et j’ai l’impression de recevoir les cloches sur le dos. Il n’en était rien. J’étais simplement couvert de plâtras et de poussière de brique de la tête aux pieds, teinte uniforme et méconnaissable.
Au bout de quinze secondes, je sors sans me rendre compte exactement de ce qui m’était arrivé. Mais une heure plus tard, j’avais l’explication : un obus de 150 était arrivé sur l’église, et après trois ricochets, sans éclater, il était passé à 15 centimètres de moi . Il aurait éclaté, le clocher sautait et nous étions déchiquetés.
Je pense avoir eu de la chance, mes hommes me considérant comme béni, et mon sergent major déclare que c’est parce que j’ai quatre petits anges gardiens qui joignaient leurs mains à ce moment là.
Je suis de cet avis. Et à défaut de Marguerite , tu pourras à ma place faire brûler un cierge à la Sainte Vierge.
- plan dans le courrier du Capitaine Lorentz
J’étais en H, un lieutenant en L, un adjudant en A, et un caporal en C. L’obus a suivi le tracé et a fait trois ricochets. Ses dimensions étaient celles du schéma en millimètres. Tu te rendras compte du poids de l’engin"
"Nouvelle adresse : H Lorentz capitaine 24 ° Cie, 294 °RI Secteur postal 133"
Pour avoir une idée de la taille de "l’engin" cette photo de septembre 1915 du Poilu Bonon posant avec un "obus boche de 155 non éclaté" Les mesures indiquées sont : pour la fusée (ou tête) de l’obus 190 mm, pour la douille 490 mm ; soit une longueur de 680 mm ; avec un calibre de 150 mm |
A Foncquevillers
Grâce au JMO du 294e RI, nous apprenons que la 24e Compagnie du 6e Bataillon est depuis le 1er novembre 1914 dans le village de Foncquevillers, dans le Pas de Calais, vers Hannescamps.
- JMO du 294e RI
Cette compagnie occupe le lieu dit "La Brasserie" où effectivement existe alors une fabrique de bière.
L’Artois, comme la Flandre, était une terre de houblon où l’on produisait la bière. Foncquevillers avait une brasserie, fondée en 1759. Complètement détruite pendant la guerre 1914-1918, cette brasserie appartenait alors à M. Eustache Chevy. Elle est reconstruite vers 1920 mais cesse son activité peu après. Extrait du site http://foncquevillers.free.fr/histoire.htm |
L’église du village fut effectivement bombardée à plusieurs reprises. Le clocher fut abattu par un bombardement le 1er février 1915.
On trouve facilement des cartes postales anciennes avec l’église en ruines.
Mais la carte-photo ci-dessous, confiée par Mme Martine Guerre mi-avril 2015, est beaucoup plus rare. Elle a été envoyée par un certain Petrus ; probablement quelques jours avant l’épisode dont parle Henri Lorentz dans son courrier.
- Quelques jours avant le miracle ?
- Le choeur de l’église ; même s’il semble à l’abandon ; est encore en bon état : les statues sont encore en place sur l’autel, la barrière et les stalles de bois sont encore debout.
- "La photo de Petrus a été prise dans l’église de Fonquevillers récemment bombardée par les Allemands"
Au dos de la carte photo, je suis arrivé à lire à peu près :
"Mon Cher Sébastien,
Excuses moi Madame Cusin ? avec qui je vais à Chambéry a été obligé de partir à Lambaest...? en Belgique samedi.
Nous venons samedi prochain prochain à Chambery vers 11 h, je repartirai lundi à 16 h.Espère te voir. Photographie agrandie de Petrus.Amitiés chez toi. Petrus"
- Le choeur de l’église bombardée
- Les dégâts sont importants : le sol est jonché de gravats, les restes de l’autel sont stockés en vrac, plus de table de communion ni de stalles...
Henri François Lorentz est né le 13 décembre 1880 à Void, dans la Meuse, de François Joseph Constant Lorentz et Amélie Augusta Briot. Après ses études secondaires au lycée de Bar le Duc, il fait des études de droit à Nancy, où il est président de l’association générale des étudiants. Venu s’installer à Briey (Meurthe et Moselle) en 1907, il se marie en 1909 avec Marie Marguerite Mangin, née en 1887 à Audun le Roman. Ses enfants André (1910-1957) juge cantonal à Audun le Tiche, Jean (1911-1919), Guy (1912-1980), Pierre (1914-2006), sont nés à Briey.
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