Deux curés successifs, messires Petit [3] et David, ou ceux qui écrivirent en leurs noms, multiplièrent les informations sur les paroissiens, tant sur leur métiers, leur vie, leurs derniers instants que sur les raisons de leur mort. Il est probable que les situations qu’ils ont décrites étaient les mêmes dans la plupart des paroisses, mais ailleurs, le plus souvent, elles ont été tues.
- Saint Rambert Porte de la Franchise
Selon le procès-verbal de la visite pastorale faite par Camille de Neuville [4], archevêque de Lyon, en 1662, il y avait environ mille trois cents communiants à Saint-Rambert [5]. Par comparaison, une ville comme Roanne, ne comptait, à la même époque, pas plus de quatre mille habitants.
Si la période retenue pour cette étude, va de 1652 à 1688, c’est parce qu’avant 1652, nous ne possédons pas de registres des sépultures, mais uniquement des baptêmes ; et, qu’à partir de 1688, mis à part le récit de quelques accidents ayant certainement marqué la population, ou de quelques cas de mort soudaine, la lecture des registres est devenue beaucoup moins captivante, le curé David se conformant de plus en plus aux règles prescrites pour la rédaction des actes.
Après avoir répondu aux questions : "combien ? qui ? à quel âge ? où ? (s’agissant du lieu de sépulture) (1er épisode), nous examinerons le "pourquoi ? et le comment ?" des décès (2e épisode).
I – COMBIEN ? QUI ? A QUEL AGE ? OU ? (lieu de sépulture)
Nous nous intéresserons à l’état ou à la profession des mourants, puis à leur âge, puis à leur lieu de sépulture. Mais examinons, dans un premier temps, quelques données chiffrées.
Nombre de morts
Il convient de constater que, d’une année sur l’autre, le nombre de décès est très variable. L’année 1676, avec 94 décès d’adultes auxquels il convient d’ajouter 63 décès de petits enfants, fut particulièrement meurtrière. L’année suivante, ce sont les petits enfants qui moururent en nombre : 96.
Les variations d’une année sur l’autre s’expliquent certainement par la survenance de divers aléas climatiques et vraisemblablement, par des hivers rigoureux, (sans qu’ils atteignent pour autant la triste renommée des « grands hivers » des années 1686, 1693 et suivantes, et surtout 1709). Le temps agit aussi sur les récoltes, et la famine sévit parfois, atteignant les plus faibles et les plus pauvres. Il peut s’agir aussi, d’une possible épidémie capable, en quelques semaines, de faire disparaître un quart de la population [6].
Il arrive que, dans une même maison, comme à Saint-Rambert, on relève successivement l’enterrement du mari puis de la femme ou encore de la fille puis du père, touchés, sans doute, par le même mal. A Saint-Bonnet-le-Château, paroisse peu éloignée de Saint-Rambert, le curé aligne, ces années-là, les actes de sépulture mentionnant « fièvre maligne », comme cause de multiples trépas. La proximité des paroisses ferait donc pencher pour une épidémie sévissant dans le sud du Forez.
En revanche, que dire des années où l’on ne déplore que vingt décès ?
Parfois, pendant des mois, aucune sépulture n’est mentionnée. Ceci relève de l’improbable et laisse penser que de nombreux défunts ont été oubliés. Cela se produisit surtout à la fin de la vie de Gabriel Petit. C’est peut-être l’explication : il n’accordait peut-être plus la même attention à la tenue des registres.
Avec les réserves qui viennent d’être émises, et en prenant le nombre de décès d’adultes de 1652 à 1687, soit environ 1441, et en le divisant par 36 ans, on obtient une moyenne de 40 morts par an. Ce chiffre est certainement en dessous de la réalité.
Le nombre de décès d’enfants en bas-âge ou n’ayant pas encore fait leur première communion et de moins de dix ans, tel que calculé par le curé David lui-même, avec listes à l’appui, est plus fiable : 621 décès sur treize années, soit une moyenne annuelle de 48.
Même si les oublis de sépultures d’adultes sont plus nombreux que supposés, nous pouvons constater qu’à plusieurs reprises, le nombre des décès des jeunes enfants est supérieur à celui du reste de la population, et parfois dans de larges proportions (1677, 1684, par exemple).
- Tableau 1
Les états ou catégories professionnelles
Les curés de Saint-Rambert ne mentionnaient pas systématiquement l’état (sauf s’il s’agissait d’hommes d’Eglise et de personnages importants) ou la profession du trépassé.
Sur 213 mentions pour les trois années 1676, 1677 et 1678, années où nous enregistrons un pic de décès, nous ne relevons que 111 actes sur lesquels la profession du décédé est indiquée, ou, s’il s’agit d’une femme, celle de son mari ou de son père. Pour les domestiques, le nom du maître est habituellement cité.
Les professions agricoles sont, et de loin, les mieux représentées et notamment les métiers de la vigne avec 39 actes de décès de vignerons en trois ans ; viennent ensuite les laboureurs : 12 ; les grangers (métayers) sont 8. Il faut y ajouter un journalier, un jardinier et un meunier. Saint-Rambert, à la lecture de ces chiffres, est indiscutablement une ville vivant en majeure partie de l’agriculture.
En second, viennent les marchands, parfois qualifiés de « bourgeois » de la cité : 10. Dans cette même catégorie, on peut mettre quatre juristes dont deux notaires royaux, un pharmacien ainsi que trois « hostes » (aubergistes, propriétaires de logements loués) qui étaient souvent, dans les paroisses foréziennes, considérés comme des notables.
Tout de suite après, avec neuf représentants, arrivent les valets et les servantes. Sous cette appellation se cachent des situations très différentes, s’agissant du valet d’un homme déterminé, riche et influent, ou du valet d’une maison de ville, ou encore celui d’une pauvre famille de laboureurs. Il en est de même pour les servantes. Très souvent, chez les laboureurs foréziens, les valets ou les servantes étaient le neveu, la nièce ou des cousins du chef de famille, qui bénéficiaient du gîte et du couvert en contrepartie de leur travail.
Les métiers traditionnels de la région, les métiers du métal et du ruban, ne sont pas beaucoup représentés : on ne relève que deux actes relatifs à des rubaniers, et trois concernent respectivement un serrurier, un faiseur de clous et un maréchal-ferrant. Cela s’avère identique sur la totalité de la période.
Enfin, avec une ou deux mentions pour chaque métier, apparaissent les artisans ou boutiquiers : un menuisier, un perruquier, trois voituriers [7], un boucher, cinq tisserands dont un tixotier en soie (tisserand / à rapprocher des rubaniers), un tailleur d’habits, un combassier (qui serait un marchand ou tisserand de toiles de chanvre ?) et deux cordonniers.
On peut aussi noter la présence de métiers dont les dictionnaires, même de l’époque, ne donnent pas la signification : trois fleisniers ou fleyniers (marchands de foin ? ou déformation de « fleuviers » ? [8], métier d’hommes travaillant sur la Loire ?) et un bousetier (ramasseur et revendeur de bouse ?). L’ « esguilletier » est-il fabricant d’aiguilles ou bien d’aiguillettes, ces cordons ferrés dont on se servait notamment pour attacher son haut de chausses [9] ?
Certains trépassés sont désignés, non par une profession mais par un état : les prêtres, les chanoines de Saint-Rambert [10] Nous trouvons également de nombreuses « sœurs de la congrégation », certaines étant célibataires, d’autres veuves.
Parmi ceux qui s’occupent des plus pauvres et des malades, nous notons la présence d’un seul hospitalier, pendant cette période. Mais ils apparaissent régulièrement au travers des registres des quatre décennies.
Sont aussi enregistrés les décès des pauvres dont ils ont la charge à l’Hôtel-Dieu, ou ceux qui sont de passage à Saint-Rambert. En effet, de nombreuses personnes décèdent à l’hôpital, certaines clairement identifiées comme des pauvres, d’autres non.
Il faut savoir que les malades y étaient soignés mais que les mendiants pouvaient, parfois, y être enfermés de force. A Montbrison, par exemple, venait d’être crée, à cette époque, un hôpital des pauvres enfermés [11].
Les lettres patentes du roi sont claires : « Faisons deffenses à toutes personnes de quelles qualité & condition qu’elles soient, valides ou invalides, de mendier dans ladite Ville & Faux-bourgs, publiquement ou en secret, à peine de prison pour la première fois, & pour la seconde d’être razés & bannis ». D’autres passages de ces lettres, démontrent que séjourner à l’hôpital n’était pas un sort très enviable et que les indigents hébergés à l’hôpital, étaient quasiment assimilés à des prisonniers : « Donnons par ces présentes auxdits recteurs tout le pouvoir & authorité de direction et correction sur lesdits Pauvres enfermés, & pour cet effet leur permettons avoir en ladite Maison, Poteaux, carquans & prisons pour châtier les faustes nottables que les Pauvres y pourront comettre […] ».
Au cours des trente-six années étudiées, nous relevons d’autres métiers ou professions de défunts : plusieurs avocats au parlement, un conseiller et procureur du roi, un capitaine-châtelain qui maintenait l’ordre, deux lieutenants, un sergent, un soldat de passage, un commis aux Aides, le « fermier général » [12], des chirurgiens, une sage-femme, un maître « d’eschole », un graveur, des charpentiers, un maçon, un forgeron, un teinturier, un mercier, des tailleurs d’habits, un chaudronnier, un boulanger, des laquais de personnalités de la paroisse, un tireur de cordes [13].
Le 29 janvier 1670, Pierre Fournier est qualifié de « citoyen » de Saint-Rambert, le mot citoyen étant même, fait exceptionnel sur ces registres, souligné. Nous ne savons pas dire ce qui se cache derrière cette mention employée une seule fois.
A noter, également, une annotation faisant état de la « conversion de son hérésie » du sieur Mathieu Dubois, marchand de Saint-Rambert, quelques années avant son décès, survenu en juin 1659 [14].
- Saint Rambert Quartier médieval et porte de la Franchise
A quel âge ?
Certains curés faisaient l’effort d’aller rechercher dans les registres précédents, les années de naissance des personnes qu’ils enterraient ou notaient un âge approximatif, communiqué par les familles ou le mourant, lui-même.
Ce n’est pas le cas à Saint-Rambert où les deux curés successifs ne notaient l’âge que de temps en temps et, a priori, sans règle bien définie.
- S’il s’agissait d’un homme d’église ou proche de l’église et encore, pas systématiquement : Philibert Reverdin, prêtre, chanoine et sacristain de Saint-Rambert, mourut à 82 ans, en juin 1653. En revanche, on ignore l’âge de Jacques Hyvernoux, également prêtre en chanoine, qui mourut en juillet de la même année. Messire Guillaume Colombe, prêtre et chanoine, mourut en septembre 1654, à 80 ans. On ignore l’âge de Jean-Louis Guilhomel, décédé en août 1654. Anthoine Fromage, valet du chapitre et tireur de cordes, avait 65 ans et Jean [Berd ?], hospitalier, 55 ans.
- Les curés ne mentionnaient-ils l’âge du défunt que lorsque celui-ci était très avancé ? Rambert Chomarat était âgé de 80 ans. Robert Durand, Anthoine Rivel, maître François Gérantet, Sibile Roche avaient également 80 ans ou plus. Anthoine Canet avait environ 100 ans. Mais, a contrario, Messire Vital du Breuil, prêtre et chanoine, n’avait que 35 ans, dame Gasparde de la Roue, de Dunières, n’avait que 32 ans. Jeanne Vincent avait 40 ans et Nicolas Nissart, environ 50ans. Pas de règle, là encore.
Parfois, nous savons que le mort était âgé, sans que l’âge exact soit noté : « Marie Pérot, pauvre femme âgée […] ; ou encore « qui a longtemps tenu le lict à cause de sa vieillesse ».
- Lorsque le mort ne demeurait pas habituellement dans la paroisse, et lorsque les curés pouvaient en avoir connaissance, ils écrivaient son âge : Gasparde, de Dunières, vue au paragraphe précédent, qui, d’ailleurs, ne fut pas enterrée à Saint-Rambert, mais à Dunières, « près de son père » ; Jeane, dont le nom fut laissé en blanc, originaire de L’Etrat, paroisse de La-Tour-en-Jarez. Elle décéda, âgée de 20 ans environ. En septembre 1655, maître Thomas Gonin, docteur « es droictz », avocat au bailliage de Montbrison, était âgé de 66 ans et 5 jours (Quelle précision !). Messire Jacques de la Font, curé de Chambles, était âgé de 75 ans. Etiennette Tirelier, de La Fouillouse, avait 60 ans et dame Hélaine Gérentet, bourgeoise de Sury, 75 ans ou environ.
Pierre Bertholet, un pauvre garçon, de Chambles également, n’avait que quinze ans. Françoise Philipe, native de Saint-Jean-Soleymieux, servante, avait 15 ans. Catherine Brunel, fille d’un cordonnier de Montbrison, mourut chez son oncle, à Saint-Rambert, à 10 ans.
- Il est parfois indiqué, sur les registres, l’âge de jeunes adolescents de Saint-Rambert, bénéficiant d’un acte mortuaire comme les adultes, alors que, comme nous l’avons vu, ils étaient, soit non inscrits, soit comptabilisés à part : en 1669 et 1670, on enterra deux fillettes de 12 ans. De très nombreux exemples pourraient encore être cités.
Ces jeunes étaient comptabilisés comme des adultes parce qu’ils avaient fait leur première communion ? Certaines mentions concernant des nourrissons ou de très jeunes enfants contredisent cette hypothèse : Alix Berthon, âgée de 7 ans en 1676, Marie Daurelle, âgée de 10 ans en 1684, Marguerite Aubert, fille d’un pharmacien, âgée de 8 ans en 1684, Madelaine Reverdin, fille d’un marchand de Saint-Rambert qui a « receu, pendant sa maladie, le sacrement de pénitence et extrême-onction et non le viatique pour n’avoir esté sufisamment instruitte, n’estant aagée que de douze ans ». En septembre1687, nous trouvons deux actes concernant un petit Aubin Mollin, âgé de 2 ans, fils d’un avocat, et Jacques Philibert, un « pauvre mendiant » âgé de 7 ans. Pour un nouveau-né, l’acte de baptême se transforma en acte de décès : « J’ai baptisé Fleurie, fille à Jean Michalon, vigneron, et à Anne Berthet, mariez de cette ville, qui est morte devant que la cérémonie a esté achevée ».
Autres informations
Les informations sur le climat sont peu nombreuses, mais nous en relevons quelques unes, liées à une sépulture un peu précipitée :
- Dame Jeanne Dubois, morte à quatre heures du matin, le 15 juillet 1681, fut enterrée à neuf heures du soir « à cause des grandes chaleurs »,
- Antoine Piccon, mort à cinq heures du matin, en août 1681, fut enterré « dans la nuit à cause des grandes chaleurs ».
Le lieu de la sépulture est régulièrement mentionné. Pour l’immense majorité, il s’agit du cimetière, avec précision dans quelques cas, du « cimetière des pauvres ». Ce sont généralement les notables, ecclésiastiques ou laïcs, qui bénéficient du privilège d’être enterrés dans l’église ou son annexe, Saint-Jean [15]. Mais nous trouvons également des individus, ni prêtre, ni « sieur », ni « dame », qui évitent le cimetière. Parmi eux, Benoiste Jacoby, sœur de la congrégation : elle avait servi un sieur Faure pendant quarante ans. Par reconnaissance, sans doute, il demanda qu’elle soit enterrée dans le tombeau de sa propre famille.
Rambert Choret, simple vigneron de Saint-Rambert, fut aussi enterré dans l’église, en juin 1686.
- Saint Rambert Chapelle Saint-Jean
Toutes les personnes qui décèdent à Saint-Rambert ne sont pas enterrées à Saint-Rambert, ayant fait élection de sépulture dans d’autres localités :
- M. Jean-Baptiste Lauraire, avocat de Saint-Rambert où il est mort, « a esté conduit à Notre-Dame-des-Graces, où il a esté enterré, un office solennel ayant esté célébré auparavant en nostre esglise, le corps présent »,
- Madelaine Dambert « est décédée en cette ville et a esté enterrée à Bonson »,
- « La veuve de Rambert Girinot est morte dans cette ville et a esté enterrée à Saint-Just, ainsy qu’elle l’avoit désiré" (novembre 1674),
- « Nous avons faict l’office de l’enterrement d’Anthoine Barbat, ce quatorze juin 1683, lequel mourut et fut enterré à [Feurs ?], le 10 du présent.
Il est probable que ces quelques personnes avaient des parents ou des attaches dans les localités autres que Saint-Rambert. Certaines, comme Madelaine Dambert, n’y résidaient que depuis peu de temps.
Ce premier épisode nous a conduit dans la paroisse de Saint-Rambert, nous a fait connaître, au travers des registres de sépultures, ses habitants. Le second épisode nous fera entrer dans les maisons, dans les familles, au chevet des mourants. Pourquoi et comment mourait-on ?