Après toutes ces années passées le nez dans les archives départementales en ligne du Bas-Rhin à la recherche de mes racines et après avoir tant et tant de fois feuilleté chacune des pages des registres de Friesenheim, j’avais la sereine certitude d’en avoir extrait toute la substantifique moelle et d’avoir essoré jusqu’à la dernière goutte les données utiles à l’élaboration de mon « arbre des descendants de Jean Baumgarth » (vers 1700 à ? - 6/12/1764 à Friesenheim, le plus ancien porteur connu de mon patronyme).
Mais pourtant j’avais tort : « ils ont des yeux et ils ne voient pas » a écrit Jean (non, pas mon aïeul Jean, mais Jean l’Évangéliste !), il y avait encore à glaner et du solide, du consistant, du costaud !
J’effectuai les ultimes vérifications avant de saisir sur Hérédis la onzième et ultime branche issue de son fils Jean, le seul de ses 6 enfants qui a vécu suffisamment longtemps pour lui donner des descendants, quand mon regard se figea, au bas de l’acte sur la signature de Jean Baumgarth N°2, le fils aîné du patriarche : Il y avait là un détail invraisemblable, tout à fait incongru, inconcevable et pour tout dire quasiment contre nature : là, juché au-dessus du U de mon patronyme, il y avait un accent ! Un véritable et authentique accent, un accent qui n’était pas le tréma germanique dénommé Umlaut, la seule et unique accentuation allemande à ma connaissance.
- Mariage du 7 novembre1790 page 133.
Je restai longtemps sonné, abasourdi, médusé et incrédule : étais-je victime d’un mirage lié à un surdosage d’écran ? Étais-je en pleine crise de généalogite aiguë ? Mais non, je dus me rendre à l’évidence : j’avais beau me frotter les yeux, l’accent était là, il restait là et bien là ; ce n’était pas une illusion d’optique, pas un artefact du papier ou une tâche intempestive laissée par un rédacteur souillon ; quant à évoquer une erreur de mon aïeul, l’élégance de sa belle signature tracée d’une main ferme exclut qu’il eût été un témoin laborieux et quasi analphabète…
A peine sorti de ma torpeur et désormais persuadé que cet accent était bien réel, je m’empressai de vérifier qu’il ne s’agissait pas là d’un fait isolé, incompréhensible certes, mais unique : je me lançai donc à la recherche d’un autre exemplaire du parafe de mon ancêtre. Je ne fus pas long à le dénicher car Jean fut particulièrement prolixe en étant 25 fois parrain, en déclarant la naissance de ses 11 enfants, en en mariant 7 et enterrant 3, en mariant et enterrant amis et voisins. Sur celui-là aussi l’accent était bien présent, comme je le retrouvai ensuite sans exception sur les 88 autres spécimens que j’avais colligés.
Mais cette quête des griffes apposées par celui-ci fut beaucoup plus bénéfique que prévu car dans les toutes premières pages du registre des mariages, je glanai aussi 4 exemplaires de celles de son père, le fondateur de notre dynastie. Pour mon plus grand bonheur, le U y était aussi couronné du précieux appendice.
- 20 Novembre 1752 page 7 gauche en haut.
Fébrilement je passai à la troisième génération : Jean 2 a été père de 11 enfants : Marie-Anne 1, Françoise 1 et François-Antoine sont morts en bas âge, donc pas de signature ; idem pour Françoise 2 décédée à l’âge de 79 ans, mais sans s’être jamais mariée d’après son acte de décès et apparemment sans avoir été ni marraine ni témoin de mariage ou de sépulture. Il restait donc 7 enfants signataires potentiels. Les résultats me comblèrent :
Le cas du dernier fils, François-Xavier-Ignace, était plus problématique car les archives de Friesenheim ne mentionnaient que sa seule naissance et il a longtemps échappé à mes recherches. Avec l’aide précieuse et efficace de ma lointaine cousine et complice Marie-Claire Ancel (comme moi digne descendante de Jean 1 Baumgarth) nous avons fini par le retrouver par une voie quelque peu contournée : il était contrôleur des contributions directes dans le Finistère !
Sur Geneanet.org, une énigmatique petite tribu de Baumgarth avait attisé notre curiosité [1] : le père était professeur de navigation et d’hydrologie à l’école de la Marine de Saint-Valéry sur Somme et signait Baumgarth-Delisle en l’honneur de sa mère, ses fils étaient marins, l’une des filles et les petites filles épouses de marins ; nos efforts pour relier cette lignée aquatique à nos paysans alsaciens furent laborieux, mais nous finîmes par découvrir que le grand-père, habitait Moëlan dans le Finistère. L’étude des tables décennales de cette ville nous conduisit à son acte de décès et donc à ses date et lieu de naissance : c’était bien notre François-Xavier-Ignace qui avait quitté Friesenheim dans sa jeunesse pour faire carrière dans l’artillerie où il finit capitaine, puis il se reconvertit dans la collecte des impôts.
Nous avons trouvé son mariage (X 7 vendémiaire an 6 - Nantes avec Victoire Henriette Delisle) ; à ma grande déception, la signature fougueuse et tourmentée du bouillant sous-officier, alors âgé de 27 ans, est non-accentuée. Mais l’a-t-elle toujours été ? Il me reste le fragile espoir que la reconstitution de la carrière militaire de François Xavier Ignace l’infirmera…
A la quatrième génération, j’ai retrouvé le U accentué sur les 2/3 des signatures des Baumgarth apposées sur leur acte de mariage ; à la cinquième j’ai encore trouvé 4 des enfants de François de Sale Baumgarth pour continuer la tradition :
Au delà, la vérification devient difficile car la guerre de 1870 a changé la donne : les actes de naissance et de décès ne sont plus signés par les parents et témoins. Toutefois il existe des preuves indirectes que le U accentué a perduré : avec 4 nouveau-nés Baumgarth à Friesenheim dans l’année, 1877 fut une excellente cuvée ; dans le répertoire du registre les 4 noms sont mentionnés avec l’accent et le rédacteur a fait de même dans les marges et dans le texte des actes.
La plus ancienne signature date du 2 mai 1752 (les actes antérieurs ont été détruits), la mention dans le texte le plus récent est du 9 juin 1880 (naissance de Louise Baumgarth) :
- Friesenheim Naissances 1880 page 13.
Des puristes grincheux pourraient m’objecter que la signature n’est pas le patronyme, mais seulement une représentation du dit patronyme… Mais mon long travail d’analyse des documents des archives ne s’est pas limité à la seule morphologie des griffes apposées : l‘étude des inscriptions en marge et celle du contenu rédactionnel des textes eux-mêmes furent aussi l’objet de mon attention soutenue.
Dans beaucoup de marges des baptêmes, mariages et décès impliquant un Baumgarth le rédacteur a écrit ce nom avec son accent !
Dans quelques-uns de ces actes le nom Baumgarth figurant dans le texte est lui aussi porteur de son U accentué ; c’est en particulier le cas dans la marge et dans le texte sur l’acte de décès de Jean 2.
- décès Friesenheim 15 février 1811 page 3.
Dans ces deux occurrences, il ne s’agit pas d’une signature avec ses éventuelles fioritures personnalisant son auteur, mais de l’écriture conventionnelle d’un nom, même s’il est probable que celle-ci n’a pas été spontanée de la part de la main (- étrangère au patronyme -) qui transcrit l’acte, mais que, plus certainement, elle fut imposée au rédacteur par le chef de famille vigilant à faire respecter son patrimoine onomastique.
Puisque j’étais devenu un observateur passionné et quasi obsessionnel des signatures, je décidai d’élargir mon champ d’action et de scruter aussi celles des témoins des actes que je consultai ; j’arrivai rapidement à la conclusion que le U accentué n’était pas une lubie de la famille BAÚMGARTH puisqu’il était aussi présent dans de nombreux patronymes de Friesenheim : les BAÚM et les BAÚMER(T) dont les noms sont la même étymologie que le mien, mais aussi les BÚRCKARD, les BÚRGEN, LES HÚTT, les HÚFT, les KÚNTZ, les KÚNTZMANN, les KÚNER, les KÚTT, les HÚMBRECHT, les SCHAÚNER, les STÚPFLER, les WÚNDER… La palme revient à la famille GÚTENGÚNST qui s’offre 2 U accentués.
- Sépultures Friesenheim 28 juin 1790 page 105.
Mais, le plus magnifique accent surplombe le parafe d’Antoine TAŬR :
- Sépultures Friesenheim 4 février 1774 p. 11.
L’existence de ce U accentué [2] m’interpelle : quelle en est l’origine ?
S’agit-il d’un particularisme propre à Friesenheim ou bien existe-t-il ailleurs en Alsace ?
Pendant 70 ans j’ai vécu Baumgarth ; la révélation de ma véritable identité Baúmgarth ne changera qu’une seule chose à ma vie : j’apposerai désormais fièrement mon accent sur mes prochaines signatures ; il me reste à faire le choix parmi les différents modèles utilisés par les membres de ma famille ; j’hésite entre la sobriété de celui du patriarche Jean 1 et l’esthétique de l’accent en croissant lunaire de Jean 3…
Mais il me reste encore deux questions sans réponse :
Tout d’abord se pose le problème de la prononciation de mon nouveau patronyme. Baumgarth, j’y étais habitué, même si ma vie a été un long cortège de balbutiements, d’hésitations et de libellés des plus fantaisistes de la part de mes interlocuteurs tentant de prononcer mon nom (bonnegarde, beauregard, baugmart…), ce qui n’est pas étonnant puisque - hélas ! - je n’ai jamais vécu en terre alsacienne. Alors Baúmgarth, ça se prononce comment ?
En second lieu, un problème technique : l‘accent de notre U familial n’a été exprimé que dans des signatures ou des écrits manuels et son expression est même protéiforme : pas du tout notre accent grave, mais pas vraiment notre accent aigu, parfois accent en croissant de lune horizontal… Dans le paragraphe qui précède j’ai utilisé, faute de mieux, le Ú des caractères spéciaux de mon Mac.
L’authentique U accentué de Friesenheim existe-t-il quelque part en caractère d’imprimerie ? Si oui, comment me le procurer pour que mon arbre puisse s’intituler « les descendants de Jean BAÚMGARTH » ?