Il ne subsiste pour ainsi dire aucune zone d’ombre sur sa vie, de nombreux détails ayant été rendus publics, même de son vivant.
Son père était donc musicien, mais aussi maître de danse. Dans les Mémoires de mademoiselle Mars [1], on apprend qu’il échappa de justesse à l’incendie qui détruisit l’opéra en 1781 :
royale de Musique...
(...)
Donc, un soir que madame Mars allait se coucher, c’était en 1781, un vendredi, le 8 juin, vers les neuf heures un quart, le portier monta jusqu’à elle d’un air effrayé, en s’écriant :
– Sauvez-vous !
– Que voulez-vous dire ? demanda madame Mars.
Le portier pousse la fenêtre et montre à madame Mars la réverbération du feu sur les cheminées de la maison voisine. Le feu venait de prendre à l’Opéra, alors situé à l’extrémité du Palais-Royal, sur l’emplacement du Lycée et de la rue de ce nom. Les progrès de l’incendie étaient effrayants, l’effroi était au comble, toutes les communications interceptées. Des toiles, des décors enflammés tourbillonnant au milieu d’une fumée épaisse, des cris de détresse et de désespoir, des rassemblements sans cesse renaissants sur tous les points du désastre,
tel était le spectacle que présentaient les rues adjacentes ; le peuple courait de tous côtés entre le feu et la pluie qui commençait à tomber. On couvrait les toits de draps mouillés, grâce à cette circonstance heureuse de l’orage ; mais le vent variait souvent de direction et portait les flammes aux côtés les plus opposés. Impossible d’imaginer une horreur plus magnifique ; l’instant où le plafond de l’édifice s’abîma avec un bruit sourd faisait songer à ces masses de roches que remuaient seuls les vieux Titans.
À tout moment, ceux qui échappaient de cette fournaise aux flammes de toutes couleurs (il y avait en effet une foule de machines à artifice) racontaient sur l’incendie les détails les plus déplorables. On disait que le feu, qui n’avait pris heureusement qu’après le spectacle, et lorsque la salle avait été presque entièrement évacuée, avait éclaté pendant la représentation et que tout le monde avait péri. Chacun tremblait pour les siens, la chaîne sa formait partout, on se passait les seaux de main en main. Il ne s’était pas trouvé une seule goutte d’eau dans les réservoirs de l’Opéra, quand l’incendie commença ; la pluie forma bientôt un vrai torrent sur la place du Palais-Royal, où chaque Parisien était trempé jusqu’aux os.
Madame Mars tremblait pour Nivelon, et en effet le brave homme ne tarda pas à arriver jusque chez lui dans un accoutrement difficile à peindre. Il essayait un costume dans sa loge, quand l’incendie avait éclaté ; à peine habillé il avait pu se frayer un passage à travers le feu,
d’abord, puis à travers l’eau, car il avait dû passer par ces deux éléments si opposés. Sa veste de berger n’avait plus de forme et de couleur : sa perruque roussie d’un côté, ruisselante de l’autre, était de plus couverte de boue ; il changea de tout en arrivant, et madame Mars
exigea qu’il se mît au lit.
À part cette anecdote, nous ne connaissons aucun autre élément sur la vie du père de Louis Marie Nivelon, sinon qu’il est né à Sceaux en 1731 où son père était valet de pied du duc du Maine et peut être un arrière-petit-fils de Zabulon Nivelon (1640-1694) [2], maître jardinier du roi au château de Fontainebleau. Mais laissons Louis Émile Campardon nous retracer la carrière artistique du fils danseur [3], sans toutefois nous attarder sur sa vie mondaine tumultueuse, dont les gazettes de l’époque semblent avoir été friandes.
Il reçut les leçons de Gardel aîné, et débuta à l’Académie royale de musique avec le plus grand succès, le dimanche 14 décembre 1777, dans Hylas et Zilis, opéra de Bury.
L’année suivante, il dansa dans Le Devin du village, intermède de Jean-Jacques Rousseau, où, secondé par sa camarade Mlle Cécile Dumégnil, il fit preuve d’un véritable talent. La jeunesse des deux artistes, les agréments de leur extérieur, la légèreté de leurs pas produisirent sur le public une grande impression. Doué comme il l’était d’avantages physiques, Nivelon, dans le milieu où il vivait, ne pouvait manquer de devenir un homme à bonne fortune. Mlle Cécile, qui en était devenue éprise en jouant avec lui le Devin du village, le voyant préférer une autre danseuse, Mlle Michelot, se porta un jour aux dernières violences contre cette dernière...
Deux ans plus tard, Nivelon osa entrer en rivalité avec un personnage important, M. de Clugny, maître des requêtes, qui, indigné de voir le danseur lui enlever une femme qu’il aimait, s’oublia jusqu’à le frapper de sa canne. Immédiatement Nivelon se transporta chez un commissaire au Châtelet et y porta plainte contre son adversaire, ce qui valut à M. de Clugny d’être exilé de Paris pendant plusieurs mois.
En 1782, Nivelon, qui avait contrevenu plusieurs fois, en s’absentant sans congé, aux règlements de l’Opéra et qui en avait été quitte pour des réprimandes, encouragé par l’impunité, s’avisa un jour de refuser son service en prétextant qu’il était libre de danser ou de ne pas danser. Par ordre supérieur, il fut immédiatement arrêté et emprisonné à la Force, où on le laissa plusieurs jours. Cette détention arbitraire calma pour un moment son indiscipline, mais bientôt le naturel reprenant le dessus, il causa mille ennuis aux administrateurs de l’Académie royale de musique. Une note datée de 1784 et qui émane de M. de La Ferté, intendant des Menus-Plaisirs et chargé de la haute surveillance du théâtre, s’exprime en ces termes sur le compte de Nivelon.
D’une autre source [4], on apprend qu’en octobre 1781, il avait décidé de fuir à l’étranger.
Aussi chez tous et toutes, danseurs et danseuses, chanteurs et chanteuses, qui ont reçu l’ordre de ne pas s’éloigner de Paris, une émulation à demander des congés, des retraites : tous et toutes, l’esprit tourné vers les rivages de la Grande-Bretagne et les guinées de Drury-Lane.
Alors, sur les ordres du ministre qui a le département de l’Opéra, c’est, jour et nuit, une surveillance de la police, qui a l’œil sur Vestris, sur Rousseau, sur Ghéron, sur Lays, dont elle
saisit la malle au bureau de la diligence de Valenciennes au moment où le propriétaire de la malle allait passer en Belgique.
(...)
Nivelon, qui avait vainement demandé sa retraite, était plus habile, lui, et trouva le moyen en octobre de passer la frontière, comme déjà l’avait passée, Rousseau, et c’est vraiment un peu comique, la campagne menée par le ministre des affaires étrangères et les agents diplomatiques de la France, pour obtenir l’extradition du joli danseur.
D’abord lettre d’Amelot au comte de Vergennes, l’informant que le sieur Nivelon, l’un des premiers danseurs de l’Opéra, s’est évadé pour aller en Angleterre, et le priant d’envoyer une lettre qui autorise le ministre de France à Bruxelles, à demander son arrestation et sa translation en France.
Seconde lettre d’Amelot au lieutenant de police, lui annonçant que Nivelon est actuellement à Ostende, et lui transmettant un passeport pour l’officier de police, chargé de l’exécution des ordres du Roi, et deux missives de M. de Vergennes, l’une adressée à M. de la Greze chargé des affaires du Roi à Bruxelles, à la fin qu’il requière le concours du gouvernement des Pays-Bas autrichiens, pour l’exécution de la commission de l’officier de police, une autre adressée à M. Garnier, consul à Ostende, pour aider cet officier, de ses conseils. Enfin nouvelle lettre du lieutenant de police à Amelot, lui annonçant qu’il vient de remettre à l’instant les ordres au sieur Quidor, et qu’il est parti à cinq heures et demie pour Ostende. Quidor est l’agent de police, chargé des expéditions dans le monde galant du haut trottoir.
(...)
Tout de suite, il partait pour Ostende, (...) où Nivelon pouvait s’embarquer, le jour même, sur des paquebots flamands et anglais, partant à toute heure, suivant le vent. Son intention n’était pas de solliciter près du bailli l’emprisonnement de Nivelon, mais seulement, en attendant la décision du conseil, l’opposition à son embarquement, avec la demande qu’il fût gardé à vue, à ses frais. Ici laissons Quidor parler : « J’aurais eu gain de cause, parce que resté seul dans une ville, où il n’y a pas quatre Français, où tout se vend au poids de l’or, et abandonné de ses camarades, je lui aurais fait envisager d’un côté, l’affront de se voir arrêter ; après la réponse de Bruxelles, que je lui aurais annoncée comme certaine par l’influence de la France, puis conduit à Paris, pour être détenu six mois en prison, au secret, et traîné sur le théâtre, chaque jour de représentation. De l’autre côté, je lui aurais assuré par écrit son pardon, avec l’espérance d’une amélioration de sort, s’il consentait à revenir volontairement en France, avec moi. J’ai lieu de présumer que ces deux tableaux, présentés à propos, lui auraient fait prendre ce second parti, malheureusement il était déjà en Angleterre, depuis huit jours.
Le récit ne dit rien de la fin de l’escapade, mais on sait que tout rentra dans l’ordre, car en 1790, non seulement, Louis Marie Nivelon était encore attaché à l’Opéra, mais depuis 1787, il jouissait, en qualité de danseur des ballets de la Cour, d’une pension du roi de 500 livres, « accordée sur le trésor royal, en considération de ses services » [5].
Il a épousé une actrice du théâtre de la Comédie Italienne, Marie-Gabrielle Malacrida, dite Carline, que Chateaubriand évoque dans les Mémoires d’outre-tombe [6].
Carline est née à Paris, en 1763. Elle et son mari se sont retirés à Saint-Martin d’Étrépagny (arrondissement des Andélys, dans l’Eure), où elle est décédée le 19 octobre 1818.
En 1808, Babault l’avait nommée dans son Dictionnaire général des théâtres [8], sous cette rubrique :
CARLINE-NIVELON (Mlle.), actrice de la Comédie Italienne : retirée. Elle obtint de grands succès à ce théâtre, par une figure piquante, un jeu spirituel, et une gaieté vive. Personne encore ne l’a remplacée, surtout dans les rôles à travestissemens.
Dans la chronique théâtrale du Monde dramatique du 5 août 1837, on lit que « le danseur Nivelon, mari de l’actrice Carline, vient de mourir à Étrépagny ».
- Signature de Louis Marie Nivelon en 1807, dans un registre d’état civil de Saint-Martin-au-Bosc, dont il a été adjoint au maire, puis maire de 1807 à 1809, date à laquelle elle a été rattachée à Etrépagny.
Qui pourrait m’aider à préciser l’ascendance de Louis Marie Nivelon ?
Merci à tous pour votre aide...