Marie Célestine QUINARD 1881- 1964
Mémère Lestine
Marie Célestine est née à Demigny le 2 avril 1881, troisième enfant vivante de Claude Joseph Quinard, descendant d’une longue lignée de vignerons bourguignons, marié à Jeanne Dorey également vigneronne ; elle a deux sœurs, d’assez loin ses aînées : Pierrette Marie (1871) et Marie Céline(1873). Après sa naissance ses parents lui donneront deux frères : Simon Joseph et Claude Louis.
On sait peu de chose de son enfance à part le fait qu’elle était de grande taille et d’un esprit très ouvert : Ayant bénéficié des premières lois Ferry sur l’école publique, nous savons qu’elle avait obtenu son certificat d’études en 1892 avec la place de Première du canton. Elle raconta souvent à ses petits enfants qu’elle n’allait à l’école que l’hiver, et que les mois d’été de juin à septembre elle allait "en champs les vaches" [1] avec ses livres…
Adolescente ce devait être ce qu’il est convenu d’appeler "une belle plante", d’une taille avoisinant le mètre quatre vingt, au beau visage régulier, front haut et yeux profonds…
C’est probablement au cours d’une fête de village ou lors de la joyeuse "paulée" qui clos généralement les vendanges vers 1899 qu’elle rencontre Claude Louis GENELOT de sept ans son aîné, lui aussi vigneron, journalier, originaire de Verjux. [2] C’est un beau garçon, blond, de taille moyenne (1m67) mais qui a peu fréquenté l’école... [3]_ Après avoir satisfait à ses obligations militaires il a hâte de fonder une famille... Leur mariage est célébré le 10 janvier 1900…
- Relevé de signatures sur ADM
- L’élégante signature de Célestine et le paraphe hésitant de Claude (à droite)
Ce que l’on a appelé "la belle époque" ne l’est pas pour les vignerons et paysans bourguignons, journaliers dès le plus jeune âge, dans les grandes propriétés viticoles, avec un salaire de misère, plus ou moins justifié par la grande crise du phylloxéra qui a nécessité l’arrachage et la replantation totale du vignoble…
Cette grande crise se termine à la fin du dix-neuvième siècle et les premières années de leur mariage verra la naissance de trois filles : Germaine (1902), Marie Louise (1905) et Raymonde (1907). Ils habitent à Demigny dans un logement rudimentaire d’une dépendance du Château, réservé aux ouvriers agricoles.
Pendant ces dures mais heureuses années, Célestine s’acharne à apprendre à lire et écrire à son courageux mais illettré mari. Ce qui lui permettra après un court déménagement à Aloxe-Corton de postuler un poste de cantonnier à Beaune, où la famille s’installe rue de Savigny vers les années 1912 .
Ce pourrait être le début d’une existence heureuse mais hélas la tragédie se profile à l’horizon… Claude et Célestine ont tout juste le temps et le plaisir de célébrer la communion solennelle de leur aînée Germaine, en mai 1914, que la guerre éclate. Bien que versé dans la réserve, ( il a alors 40 ans) [4], il est mobilisé le 2 août 1914 et rejoint immédiatement le 57éme régiment d’infanterie territoriale…
- Marie Célestine 1920
Il est bien peu de nos contemporains qui n’imaginent ou ne connaissent l’angoisse et la détresse de ces jeunes mères qui virent partir leur époux et seul soutien de famille lors de toutes les guerres qui ensanglantèrent ce vingtième siècle maudit ; et ce n’est pas sans une émotion profonde que j’évoque le désespoir de Célestine quand le soir du 1er avril 1915, l’officier d’état-civil Bouzereau se présente au domicile pour lui annoncer, avec les dérisoires formules d’usage, que Claude est "Mort pour la France" à Eglingen le 7 janvier 1915. Je ne sais s’il lui décrit les conditions atroces de ce décès, qui figurent sur l’acte : "…carbonisé dans une cave détruite par un obus …" , mais ce que nous savons tous, c’est qu’elle ne s’en remettra jamais, et restera toute sa vie cette grande dame en noir, au sourire triste et aux yeux lointains que nous retrouvons sur cette photo des années vingt… Sa fille aînée Germaine, aujourd’hui disparue, nous racontait souvent la crise de sanglots inextinguibles qui l’avait saisie lors de l’annonce de la victoire en 1918…
Pour l’heure, la voilà donc seule, sans ressources, avec trois petites filles à faire grandir et éduquer… et comme toutes mères le souhaitent, si possible "bien marier… !"
Comme beaucoup de femmes dont le mari est mobilisé, elle doit chercher du travail. Celui-ci ne manque pas dans les grandes maisons de vins dont les jeunes cavistes et autres "manouvriers" sont au front. Malgré son excellent niveau d’instruction, elle devient alors "embouteilleuse", modeste qualification qu’elle assumera jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, malgré l’octroi de la pension de "veuve de guerre", intervenu en 1918. [5]
C’est alors une solide femme dans la force de l’âge, mais elle n’échappe pas aux maux de notre temps, et doit subir en 1922 l’ablation du sein gauche pour cause de tumeur naissante. Comme elle est par ailleurs relativement handicapée par une déficience congénitale de l’œil gauche, ces accidents et sa grande taille, contribueront à déformer inexorablement la silhouette de celle qui deviendra pour ses petits enfants : Mémère Lestine…
- Mémère Lestine 1947
Quand je fis sa connaissance en 1945, jeune soldat de l’Armée d’Afrique, amoureux de sa petite-fille, c’est une vieille femme usée par le travail qui m’accueillit avec tendresse dans son petit appartement sans confort du Faubourg Saint Nicolas . Peut être revoyait elle en moi celui dont elle a porté le deuil toute sa vie. La naissance après guerre d’une quinzaine d’arrière-petits-enfants qui l’adoraient contribua sans doute à adoucir la fin de son existence…
Sa seconde fille Marie Louise étant revenue vivre auprès d’elle avec son mari, elle continua à faire ce qu’elle avait toujours fait : s’occuper du ménage et de subsistance…sans négliger toutefois l’analyse personnelle des nouvelles qu’elle n’avait jamais manquée, l’oreille rivée au poste de radio…
Sa grande taille repliée : j’ai grands maux aux reins , mes enfants... disait-elle, l’obligeait à se mettre à genoux devant un baquet pour laver le sol de la petite cuisine…
Toujours levée tôt, c’est dans cette position étrange qu’un matin de septembre 1964, ses enfants la trouvèrent sans vie…
Mémère Lestine s’en est allée sans bruit…