Comme les villages de Matour et de Tramayes, Saint Léger sous la Bussières en Mâconnais ; et son hameau de La Garde ; appartient avant la Révolution française aux Foudras puis, depuis 1765, aux Castellane.
Rappelons ce qu’explique Antoine Fargeton : "Esprit Henri François, Marquis de Castellane, Maréchal de camp des armées du Roy..." acheta le Comté, y compris La Bussière, au prix de 520000 livres..."
"On ne sait ce qui fit atterrir dans le Haut Mâconnais cet officier qui joignait à son titre marquisal celui de Baron de Sainte Honorine et de seigneur de Neuville sur Oise. De son mariage avec Charlotte de Ménard, il eut deux fils, dont l’un, marié avec Adélaïde de Rohan Chabot... hérita du Comté en janvier 1789, tandis que l’autre avait en partage Saint Point", "Château Thiers (et toutes ses dépendances) fut vendu par les Castellane en 1800 à une société de marchand de biens" [1].
Les De Castellane et la Révolution
Ainsi que l’attestent les tables des biens nationaux conservés pour l’ensemble du département de Saône et Loire, à Saint Léger et Matour ne sont mentionnés que des ventes de biens ecclésiastiques. Le propriétaire des seigneuries de Château Thiers et de La Bussière, Monsieur De Castellane, n’est pas inscrit dans la liste des émigrés. Ses biens n’ont donc pas été saisis ni vendus.
François Perraud, dans " Les environs de Mâcon en Saône et Loire - Anciennes seigneuries et anciens châteaux " (1912) écrit : " A la Révolution, Mr De Castellane fut d’abord, comme ex-noble, prévenu d’émigration ; mais ayant pu justifier de sa résidence sur le territoire de la République depuis le mois de janvier 1792 jusqu’au 17 février 1795 ; de la non émigration de son frère massacré sur la route de Versailles ; et aucune réclamation n’étant parvenue contre lui depuis l’affichage et distribution de la liste des prévenus d’émigration, il fut rayé de la Liste des Emigrés par un arrêté du Comité de législation du 11 août 1795 et le séquestre apposé sur ses biens meubles et immeubles fut levé ".
" En 1799, lors du partage des biens de la succession Castellane, Louis André Boniface, fils aîné, hérite de la seigneurie de Château Thiers (donc de la terre de Saint Léger) et Esprit Boniface Henri eut la terre de Saint Point... ".
" En 1800, il vendait Saint Point à quatre marchands des environs, puis à la demande d’un créancier, il y avait vente aux enchères et la terre était adjugée à Pierre De Lamartine, ancien capitaine de cavalerie au Régiment Dauphin... ".
Celui-ci, né à Mâcon en 1752, eut six enfants de son union avec Françoise Alix Des Roys, dont le poète et homme politique Alphonse de Lamartine.
Dans les registres de l’enregistrement, pour le bureau de Matour [2] on note ces ventes :
" DES CASTELANNE Henry, propriétaire Paris, vente à Jean Guillemain d’un territoire aux Villettes pour 250 Lt, le 6 janvier 1792. Bonnetain notaire ".
Louis André Castellane " seigneur de Paris " vend le 4 messidor An III (c’est-à-dire le 22 juin 1795) " à Pierre Marie DEVILLE, Pierre LACROIX, de Saint Vincent de Rhins et Antoine LACHARME, de Matour " la maison de Château Thiers pour 60.500 Lt. Les mêmes achètent des terres à Matour en juillet 1795.
Le 20 prairial An III (8 juin 1795) Louis André De Castellane vend également des terres à Laurent Lacondemine de Matour.
Visiblement, les Castellane ont décidé de sacrifier leurs propriétés foncières en Mâconnais.
La Révolution qui dure déjà depuis près de six ans, est elle pour quelque chose dans cette décision ? Là n’est pas notre propos.
Antoine Delacharme, notaire
Pierre Rohmer, dans son " Histoire de Tramayes " écrit d’après les notes d’Amaury de Chansiergues :
" Le château fut vendu le 23 novembre 1807 par le Marquis Antoine De Mailly de Châteaurenard, veuf d’Alexandrine de Damas d’Audour, à Antoine DELACHARME de Matour [3], Antoine DELACHARME revendit la propriété à Claude Bruys, notaire et maire de Tramayes, suivant acte Me Tarlet, notaire à St Pierre le Vieux, du 28 janvier 1808 ".
Antoine DELACHARME (on trouve aussi De La Charme) ne garde donc ce bien que trois mois à peine !
Notaire à Matour, Antoine DELACHARME achète énormément de terres dans toute la région entre 1791 et l’An VI. En avril 1808, il vend les terres de La Garde à nos ancêtres Claude et Jean Benoît VALENTIN.
Ne serait il pas devenu un simple " marchand de biens " ?
Né à Matour vers 1761 du notaire Jean DELACHARME (en exercice depuis 1740) et de Marie Anne VEDEAU, Antoine succède à son père au tout début de la Révolution. Il a alors une quarantaine d’années.
Pour DELACHARME, la place de notaire est un atout considérable pour connaître les futures " affaires " à cette époque du Directoire et du Consulat où la spéculation va bon train :
" La vente des biens nationaux était loin d’être achevée au moment du 9 thermidor (chute de Robespierre)...Il n’est plus question (alors) de faire des sacrifices pour aider les gens à accéder à la propriété. L’état doit tirer de l’argent frais de la vente des biens à des clients solvables ".
" Or il y en avait : la bourgeoisie ancienne et déjà possédante, les négociants et gens d’affaires de toute catégorie, et aussi des enrichis de fraîche date : par exemple les fournisseurs aux armées ".
" Plus généralement la dépréciation monétaire incessante incite tous ceux qui ont quelques réserves à acheter du foncier " Maurice [4].
Antoine DELACHARME ne néglige rien. Misant sur " la faim de terres " des paysans, il va dès 1791 acheter des biens fonciers autour de son village de résidence. Et quelle qu’en soit la provenance. Il doit disposer de gros moyens financiers au regard des sommes indiquées pour ces transactions. Mais à cause de la dévalorisation constante des assignats, cela revient souvent à " payer en monnaie de singe " [5].
Maurice Agulhon poursuit : " Il apparaît même une spéculation, favorisée par le climat assez trouble de l’époque, parfois la malhonnêteté complice de certains élus ou fonctionnaires : repérer puis accaparer les meilleurs domaines, c’est le but que se proposent des compagnies organisées, connues dès cette époque sous le nom péjoratif de " bandes noires ". En bref, ce qui reste du sol disponible - ou du moins une nouvelle et importante part- passe aux mains de la bourgeoisie (ancienne ou récente)... ".
" Les paysans ne sont pas entièrement absents cependant. Les lots de terre les plus petits intéressent moins les spéculateurs. Ceux-ci en outre divisaient parfois leurs achats en petits lots pour les revendre avec bénéfice à des acquéreurs de seconde main qui, eux, étaient forcément des cultivateurs ".
C’est parfaitement le cas " du Domaine de La Garde " à Saint Léger sous la Bussière, acheté aux De Castellane par Antoine DELACHARME et revendu en " huit portions " dont celle acquise par les VALENTIN en 1808.
La " bande noire " du notaire Delacharme
Gilbert Garrier, qui a beaucoup travaillé sur les archives de cette période, écrit dans " Paysans du Beaujolais et du Lyonnais " au sujet des " bandes noires " :
" La tête de cette ruée (vers l’achat de terres) est cependant souvent tenue par des marchands, et plus particulièrement par un petit groupe de marchands originaires de Thizy, Amplepuis, Cublize et Saint Jean la Bussière...non seulement ils accaparent tous les biens des cantons de Thizy et de Saint Nizier mais ils se portent souvent acquéreurs de domaines importants en Beaujolais...Ce sont des marchands de toiles, habitués aux transactions et connaissant à fond leur Beaujolais. ".
" Ils passent leur vie dans les foires et dans les auberges, en parcourant derrière leurs mulets les mauvais chemins de Thizy vers Charlieu, Beaujeu et Belleville, Villefranche ou Lyon. Ils connaissent le prix des biens et la faim de terres des paysans... "
Antoine DELACHARME illustre tout à fait cet exemple :
Il achète et vend seul, en son nom propre, durant les premières années de la Révolution. Dès 1795, on voit apparaître dans le répertoire des vents " LACHARME, DEVILLE, LACROIX " puis " LACHARME et Compagnie " à partir d’août septembre 1799.
Il s’agit de trois " associés " : Pierre Marie DEVILLE et Pierre LACROIX de Saint Vincent de Rheins (non loin de Cours en Haut Beaujolais) et Antoine LACHARME (ou encore DE LACHARME) à Matour.
Ils négocient régulièrement ensemble, surtout entre 1798 et 1809... Plus de dix ans d’achats et de reventes. " DELACHARME et Compagnie " vend, par exemple, le 16 août 1809 le domaine de Vicelaire, non loin de Montmelard, sous seing privé (c’est-à-dire sans le concours de notaire !) pour 214000 Francs à " Boneau, Sautereau et Montcharmont " Il s’agit certainement d’une autre " bande noire " ...Transaction colossale réalisée en pleine crise économique !
DEVILLE, LACROIX et DELACHARME font des " échanges " et " contre échanges " de biens avec d’autres " marchands de biens " notamment François Marie DESBROSSE.
Pour DELACHARME et ses " associés " les années du Consulat et le début de l’Empire sont une période faste pour leurs transactions.
En comparant avec attention les tables des acquéreurs et les tables des vendeurs du bureau d’enregistrement de Matour [6], on relève les mêmes biens achetés puis revendus, en entier ou en plusieurs lots, quelques mois ou années plus tard. Les associés ne gardent jamais bien longtemps les domaines et les terres achetées. Mais l’opération est toujours faite avec plus value pour eux !
Comment opèrent ils pour repérer les biens à vendre ? Incitent ils même les propriétaires à vendre ? Comment font ils connaître aux acheteurs potentiels les terres en vente, les prix et surfaces ?
Ils doivent bien avoir un réseau de " rabatteurs " dans les campagnes, des commis pour les tâches administratives (courriers, démarches légales), des affiches annonçant les ventes...
Ces questions mériteraient une étude fouillée.
Antoine DELACHARME continue d’exercer à l’étude notariale de Matour jusqu’en 1835 ; il décède dans son village natal le 15 juin 1837, âgé de soixante seize ans. C’est son petit fils Antoine OCHIER " propriétaire " de Massy qui vient déclarer son décès en mairie.