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Lettres d’un Poilu à sa fille (1916) : « Ma chère petite Ginette »

Le jeudi 4 avril 2019, par André Poirier, Michel Guironnet

André Poirier m’écrit en novembre dernier : "En ce centième anniversaire de la fin de la Grande Guerre, je souhaiterais faire parvenir deux cartes courriers militaires émouvantes d’un papa soldat au 4e régiment d’infanterie d’Auxerre adressées à sa fille, Ginette Oudry, demeurant à Auneuil (Oise) pour son treizième anniversaire.
Impossible de retrouver la destinatrice ; plus exactement ses descendants. Les cartes sont datées de 1916. Cette personne ne fait pas partie de ma famille : ces cartes ont été trouvées par mon frère en faisant des travaux dans une cave, sur Paris. Depuis, celui-ci est décédé. Merci de votre aide."

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Carte du 25 février 1916

« 9 heures Vendredi 25 février 1916
Ma chère petite Ginette.
Hier jeudi, je n’ai reçu de ta maman aucune lettre ni le matin ni le soir. Il est vrai que la veille j’en avais reçu deux. C’est donc à toi qu’aujourd’hui je viens donner de mes nouvelles. Ce matin en me levant j’ai constaté une couche de neige de 15 centimètres. Et elle tombe encore à gros flocons. C’est un vrai temps de saison du reste. Je suis sûr qu’à Auneuil vous devez avoir le même temps. Hier soir, il faisait beau. A ma sortie de la caserne, je suis allé me promener jusqu’à Saint Georges [1]. Je ne pourrai pas faire autant ce soir. Je le regrette.
Ton bobo au doigt doit être maintenant tout à fait guéri, Jean le souhaite ardemment d’abord pour toi & ensuite pour que tu écrives tes lettres un peu mieux. Il a trouvé ta dernière fort mal écrite. Ce doit être Ami & Dick qui l’ont écrite m’a-t-il dit ! Je n’ai rien répondu, car il m’avait vexé. Embrasse bien pour moi ta petite maman & ta mémée & reçois toi-même les meilleurs baisers de ton papa qui t’aime bien. »

« Ami & Dick » sont-ils les deux petits chats des Oudry à Auneuil…Ne dit-on pas « écrire en pattes de chat » ? Ou bien des personnages de roman pour enfants, héros du monde imaginaire de la petite Ginette ? En tous cas, elle doit les connaitre pour comprendre la carte de son Papa ! Mais qui est ce Jean dont l’appréciation l’a vexé ? Ginette doit bien savoir de qui il s’agit !

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4e Régiment d’Infanterie

Au verso, une banale carte pour la « correspondance des Armées de la République », « carte en franchise » adressée à « Mademoiselle Ginette Oudry (à) Auneuil (Oise) » A remarquer le tampon ovale du 4e Régiment d’Infanterie alors caserné à Auxerre dans l’Yonne.

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Carte du 9 avril 1916

« Auxerre le 9 avril 1916
Ma chère petite Ginette,
Demain 10 avril tu auras tes treize ans ; ce sera ton deuxième anniversaire qu’aura vu la terrible guerre actuelle. Je veux croire que tes quatorze ans seront célébrés en pleine paix, paix victorieuse j’entends, & que tous réunis je n’aurai pas besoin de prendre la plume pour te formuler mes vœux. Dans l’ordre de mes préférences voici ce que je te souhaite pour tes treize ans : santé, travail »

Cette carte est envoyée à « Mademoiselle Ginette Oudry (à) Auneuil (Oise) ».

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Au verso, une image en tissu de Joffre.

Donatien

Dans le recensement d’Auneuil en 1911, la famille Oudry habite « Grande Rue ». Donatien est notaire, né en 1881 à Billy sur Oisy. Il est marié avec Charlotte Logé, née en 1884 à Paris. Ils ont une petite fille, Geneviève, née en 1903 à Paris. Avec eux vivent deux domestiques : Firmin Couzi, « valet de chambre », et Louise Dovés, « cuisinière ».
Dans l’état-civil de Billy sur Oisy [2], à la date du 12 février 1881, est transcrit l’acte de naissance de Donatien : « Donatien Théodore Alexandre » est le fils de Jacques Théodore Oudry, 51 ans, « propriétaire », et de Marie Alexandrine Dapoigny, son épouse de 25 ans.

En mentions marginales, il est indiqué son mariage : « Le 17 mai 1902 à la mairie de Paris 11e arrondissement, Oudry Donatien Théodore Alexandre a contracté mariage avec Logé Charlotte Marie. » et son décès : « Décédé à Yerres (Seine et Oise) le 24 août 1956 ».

Les registres « en ligne » de l’état-civil de Paris nous livrent l’acte de mariage [3] : Donatien est « clerc de notaire, domicilié rue Emile Lepeu, N°24 » Le père de Donatien, Jacques Théodore Oudry, est décédé et « Marie Alexandrine Dapoigny, sa veuve, (est) rentière demeurant à Billy sur Oisy »
Charlotte Marie Logé est née à Paris 11e le 21 janvier 1884, « sans profession, domiciliée avec sa mère, même rue N°34, fille mineure de Pierre Hippolyte Logé, décédé, et de Marie Thérèse Leclercq, sa veuve fabricante d’encadrement ». Les deux mères sont présentes au mariage.

La petite Ginette ayant eu 13 ans en 1916 doit logiquement naitre le 10 avril 1903 à Paris 11e.
Effectivement, le 13 avril est transcrit son acte de naissance [4] : le 13 avril « Geneviève Marie Thérèse Léonie » Oudry, est « née le dix-avril courant, à cinq heures et demie du soir, au domicile de ses père et mère, rue Emile Lepeu N°34 » ; ses deux parents sont « sans profession ». Charles Logé, 50 ans, « représentant de commerce, rue Emile Lepeu N°32, grand-oncle » de l’enfant est présent en mairie avec Donatien Oudry.
Les accompagne également Victor Nigay, 31 ans, « docteur en médecine, Boulevard Voltaire N°162 » A-t-il accouché Charlotte ? En marge de cet acte de naissance, la mention du mariage de Geneviève à Beauvais (Oise), le 22 octobre 1924, avec André Jules Charles Valentin.

Tout correspond avec les cartes envoyées d’Auxerre à la petite Ginette ! Ce diminutif de Régine est à coup sûr son « prénom d’usage », souvent sans lien évident avec le prénom officiel. Lorsque son Papa lui écrit, c’est son cœur qui parle !

Les Oudry habitent Paris et partent ensuite à Auneuil : Donatien, clerc de notaire en 1902, reprend l’office notarial d’Auneuil [5].

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Automobile contre voiture
« Journal de Seine et Marne » du 22 juillet 1914

Soldat

Voyons maintenant la fiche matricule de Donatien Oudry. Né en 1881 dans la Nièvre, il est recensé avec la classe 1901 sous le numéro 611.
Donatien réside déjà « à Paris, rue Emile Lepeu, 34 » exerçant la profession de « clerc de notaire ». Il passe son conseil de révision sur place, à Paris. Déclaré « Bon » pour le service, il est « dispensé » d’effectuer son service au titre de l’article 21 comme « fils aîné de veuve »
Son père, « Oudry Jacques Théodore, rentier…époux en secondes noces de Marie Alexandrine Dapoigny » est décédé à 54 ans, le 25 novembre 1884 « à trois heures du matin, en son domicile » à Billy sur Oisy. Donatien n’a alors qu’un peu plus de trois ans.

« Appelé à l’activité le 14 novembre 1902 pour le 104e régiment d’infanterie, arrivé au Corps le dit jour, immatriculé sous le N° 4271, soldat de 2e classe le 14 novembre 1902 » Rappelons qu’il s’est marié six mois plus tôt, le 17 mai 1902. A l’époque le service « dans l’armée d’active » dure trois ans…et son épouse est enceinte de trois mois ! Le 104e RI est caserné à Argentan, à quelques kilomètres de la capitale.

« Réformé temporairement par la Commission spéciale de Paris le 28 mars 1903 pour bonnet droit suspect d’induration » Dans le domaine médical, l’induration est le terme employé pour qualifier le durcissement ou l’épaississement d’un tissu organique. Dans le cas de Donatien, il s’agit du poumon.

« Rappelé à l’activité sur sa demande le 18 juin 1903. Décision de la Commission spéciale de Paris en date du 13 juin 1903. Dirigé sur le 31e régiment d’infanterie . Arrivé au Corps et soldat de 2e classe le 18 juin 1903, immatriculé sous le N° 4972. Envoyé dans la disponibilité le 19 septembre 1903 » Geneviève, alias Ginette, a cinq mois !

« Passé par changement de domicile dans la subdivision de Beauvais le 28 janvier 1913…Rappelé à l’activité par suite de mobilisation générale. Décret du 1er août 1914. Arrivé au Corps le 4-8-1914 (Dépôt). Réformé N°2 le 17 août 1914 par la Commission de réforme de Beauvais pour « tuberculose »

« Classé service armé le 1er mai 1915, par la Commission spéciale de Beauvais (arrêté ministériel du 9 avril 1915) Engagé volontaire le 8 juin 1915 pour la durée de la guerre au titre du 4e Régiment d’Infanterie à la mairie d’Auxerre. Arrivé le 9 juin 1915. Dépôt »
« Classé service auxiliaire par décision du Général Commandant les 5e et 6e subdivisions pour « gastro entérite chronique avec insuffisance hépatique » Commission spéciale d’Auxerre du 23 août 1915. »

« Entré pour maladie à l’hôpital mixte d’Auxerre (congestion pulmonaire) du 12-9-1915 au 11-10-1915. Rentré au dépôt le dit jour. »
« Rentré pour maladie « bronchite » à l’hôpital mixte d’Auxerre du 17 mars au 10-4-1917. Permission de 7 jours. Rejoint son corps au dépôt le 18-4-1917 » « Caporal fourrier le 19-9-1917. »

« Mis en congé illimité de démobilisation le 25 février 1919 ; 3e échelon N°378 Dépôt démobilisateur : 4e Régiment d’Infanterie R : Auxerre » « Affecté dans la Réserve au 13e Régiment d’Infanterie »

Donatien Oudry retrouve sa petite famille et son étude de notaire à Auneuil.

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« Le Figaro » du 5 juin 1919

Vestige

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Réfugiées à Paris ?

Une enveloppe vide, ornée d’une vignette patriotique, porte le cachet de la poste d’Auxerre du 25-7-18. L’adresse d’Auneuil est rayée, remplacée par « Paris Azur-Hôtel 5, rue de Lion. »
Cet hôtel est toujours en activité à la même adresse dans le 12e arrondissement de Paris, non loin de la gare de Lyon. Ginette et sa maman y ont-elles trouvé refuge pendant la Grande Guerre ?


[1« Saint Georges » est le village de Saint Georges sur Baulche, à 4 kilomètres à l’ouest d’Auxerre.

[22 Mi EC 48 Etat-civil en ligne des archives de la Nièvre

[3Etat-civil « en ligne » aux archives de Paris, 11e arrondissement : mariages de 1902 V4E 9322

[4Etat-civil « en ligne » aux archives de Paris, 11e arrondissement : naissances de 1903 11N 306

[5Voir dans « L’Echo de Paris » du 11 décembre 1910 la liste des nominations d’officiers publics et ministériels.

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9 Messages

  • Bonjour.
    Ma mère décédée en 10/2019 est la petite fille de Donatien Théodore Alexandre Oudry.
    Aussi je vous remercie de bien vouloir me contacter sur le sujet.
    Bien à vous,
    Alexandre Boulanger

    Répondre à ce message

  • Bonsoir,
    je viens d’acheter un petit fonds d’une cinquantaine de photos et de quelques documents semblant provenir de Donatien OUDRY et sa femme : photos des époux, des parents de l’épouse et d’autres personnes non identifiées, faire-parts de naissance de Charles Logé (mort agé d’une vingtaine de jours) et de sa soeur Charlotte, diplôme de bachelier de Donatien (imprimé sur parchemin), documents imprimés relatifs à sa prise d’office de notaire, faire-part de mariage de Donatien et de sa femme, etc.
    Si cela vous intéresse n’hésitez pas à me le faire savoir, je peux les scanner et vous les faire parvenir par mail.

    Bonne fin de journée,

    Cordialement,

    Laurent

    Répondre à ce message

  • Concernant les prénoms, dans ma famille nous étions 3 cousines germaines, la 1re : Geneviève, la 2e : Ginette et moi la 3e : Régine, aucun diminutif en cela. J’avais un jour fait remarquer a la famille qu’avec mon frère : Roger et mon cousin : Serge, nous avions tous les cinq un " G " dans le prénom, çà n’avait pourtant pas été fait exprès par les parents. et vous m’apprenez bien des choses sur certains prénoms grâce a votre recherche.

    Répondre à ce message

  • Le prénom de Ginette , qui est le mien , est le diminutif de Geneviève et non de Régine .
    Diminutif qui avait été donné par les Parisiens à Saint Geneviève patronne de Paris célébrée le 3 janvier . Une châsse de cette sainte est vénérée en l’église Saint Etienne du Mont , près du Panthéon qui était à l’origine destiné à honorer la saint patronne de Paris .
    Ceci pour expliquer le diminutif Ginette du prénom Genevève
    Bonne journée

    Répondre à ce message

  • Bonjour André et Michel,

    « Jean » mentionné dans la lettre de Donatien pourrait être son « seul » beau-frère.
    En effet, ses parents se sont mariés le 08/05/1880 à Billy s/ Oisy (58). Donatien est né le 12/02/1881 et sa sœur Madeleine Victoire Lucie le 01/02/1883 à Billy. Leur père Jacques Théodore décède le 25/11/1884 à Billy.
    Madeleine a épousé le 14/02/1905, à Billy, Joseph Jean Ovide BORDENAVE. Voici sa fiche matricule
    On y voit qu’il était médecin à Auxerre en 1914…

    La « mémée » de Ginette est sa grand-mère maternelle : Marie Thérèse LECLERCQ (née à Bruxelles le 19/10/1855) Elle avait épousé Pierre Hippolyte LOGé (née le 29/06/1850 à Billy-58) à Bruxelles le 09/02/1878. L’acte de mariage a été retranscrit dans les registres de Paris 4e le 16/11/1880.
    Dans le recensement de Auneuil(60) de 1921 page 12/27 (en haut à droite), on voit que Geneviève a une sœur Denise née en 1918 à Auxerre.

    Concernant la descendance de Ginette, vous devriez contacter Daniel LASGOUTTES qui, dans son arbre sur Généanet, mentionne Geneviève. Elle aurait eu une fille Nicole VALENTIN. A son tour, Nicole aurait épousé un Jacques THIELENS et ils auraient eu 5 enfants. Il y a donc des descendants directs.
    Pour info, Ginette serait décédée avant 1932 car André Jules Charles VALENTIN s’est remarié à Sceaux, le 07/05/1932 avec Suzanne Marie Madeleine GUTTON.

    …Il y a aussi Véronique TABARY (arbre dans Geneanet) qui mentionne, avec plus de détails que l’arbre précédent, les descendants du couple Nicole Donatienne Jeanne VALENTIN et Jacques Jean Ghislain THIELENS.

    J’espère que vous parviendrez à rentrer en contact avec l’un des descendants.
    Bonne continuation dans votre enquête !

    Corinne

    Répondre à ce message

    • Un grand merci à Corinne pour ces précieux renseignements. Grâce à elle, les descendants de la petite Ginette vont être retrouvés.

      En plus,le beau-frère de Donatien, médecin à Auxerre en 1914 et 1915, exerce à l’hôpital complémentaire N°34...et c’est dans cet hôpital, installé dans l’Ecole normale d’Instituteurs, que meurt l’un de mes Poilus de Saint-Clair : « Le cinq octobre mil neuf cent quinze, neuf heures du matin, est décédé à l’hôpital temporaire numéro trente quatre, avenue Pasteur, Louis Michel Valin, né à St Clair-du-Rhône (Isère) le dix mai mil huit cent quatre vingt un, fils de Antoine Valin et de Marie Valin son épouse, soldat de deuxième classe au quatre vingt dix neuvième régiment d’infanterie, deuxième bataillon, sixième compagnie, matricule six cent trente un, époux de Marie Genillon, domicilié à St Clair-du-Rhône (Isère)

      Comme le monde est petit !
      Très cordialement.
      Michel Guironnet

      Répondre à ce message

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