La rencontre de Louise avec Henri dans une guinguette des bords de Marne avait bien débuté dans les années 1912. La période était encore calme et propice aux amours de jeunesse.
Henri né le 12 décembre 1888 à Neuilly-Plaisance, fils d’Armand Bordier et d’Eugénie Turgard. Tôlier de profession dans la ville de sa naissance. Demeurant 26 rue de la Tuilerie, Neuilly Plaisance.
Louise, fille d’Architecte parisien était née le 1er septembre 1893 à Paris 4e. Elle avait suivi ses parents qui venaient de quitter Paris suite d’un revers de fortune. Ils s’étaient tous installés à Neuilly-Plaisance 25 avenue de la Station dans un petit logement depuis peu de temps et, le dimanche la sortie très en vogue, c’était les guinguettes des bords de Marne.
Les amours de Louise et Henri commençaient tout juste sous les meilleurs auspices, au bout de quelques mois de fiançailles, le mariage sera décidé entre les deux familles.
Il sera célébré le 25 mai 1912 à Neuilly-Plaisance. Grande cérémonie et repas aux bords de marne chez un restaurateur réputé de l’époque la Maison Serre « Restaurant de la Cloche » à Nogent-sur-Marne.
La vie de ce jeune couple se déroule tranquillement, Henri se rend à son travail. Elle, très minutieuse tient son foyer et fait un peu de couture comme elle a appris dans les ouvroirs de la capitale avant de se marier.
Après quelque temps de vie commune, Louise a la joie d’annoncer à Henri qu’un heureux événement arrivera au printemps 1913 ce qui met les deux jeunes mariés et leurs familles en grande effervescence.
Et c’est le 22 mars 1913 qu’arrive une très jolie blondinette nommée Denise.
Tout est pour le mieux, Louise, Henri et Denise profitent des belles journées de printemps et se rendent souvent aux bords de Marne. Denise grandit et fait la joie de ses parents.
Nous sommes en été 1914. Il fait chaud et de très inquiétants bruits de conflit avec l’Allemagne se font entendre. Malheureusement, les bruits se concrétisent, le 2 août 1914 la France déclare la mobilisation générale. Le 3 août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la France. Tous les jeunes hommes en âge de partir à la guerre, attendent l’ordre de mobilisation. Henri très inquiet attend son ordre de départ. L’angoisse règne dans la famille qui va se trouver séparée.
Henri reçoit l’ordre de rejoindre son régiment : le 51e régiment d’Infanterie qui est basé à Beauvais dans l’Oise.
La séparation est très dure, mais Louise est courageuse et espère comme beaucoup le clament à cor et à cri que la guerre ne va pas durer ! Louise prend les choses en mains et devient comme beaucoup d’autres femmes, chef de famille.
Henri soldat de 2e classe rejoint sa compagnie. Après quelques jours à Beauvais, cette dernière se déplace dans de nombreux endroits où des combats très durs ont lieu.
Le 51e régiment se dirige maintenant dans un lieu de combat : Verdun. Après de nombreux mois dans les tranchées construites par leurs soins, les soldats s’organisent pour survivre à la cruauté de la guerre. Chacun s’occupe comme il peut.
Pendant les courtes accalmies, certains soldats écrivent des lettres enflammées à leur petite amie ou épouse, d’autres bricolent avec des récupérations de munition (obus). Quelques-uns très doués sculptent de très beaux sujets comme des vases, des médailles ou des objets de culte. Enfin des souvenirs disent-ils de leur galère !!!
Le 51e régiment d’Infanterie arrive à Verdun plus précisément à Sommedieue, puis se dirige vers Rupt-en-Woëvre et ensuite dans la Clairière de Mouilly. Le 25 avril 1915 à 16 heures une bataille très violente a lieu, le régiment sous les ordres du Commandant Gratiolet contre-attaque avec succès, les Allemands y perdent quelques tranchées.
Au lieu-dit de « La tranchée de Calonne » des combats se déroulent dans les bois, une série d’opérations très dures ou le 51e régiment se dépense sans compter. Les combats font rage, les obus tombent comme des grêlons, mais hélas, Henri qui était dans sa tranchée, prenant un moment de repos, pour fumer une cigarette préalablement roulée dans une feuille de papier à cigarette JOB ou ZIG-ZAG, afin de se donner du courage ne se trouvait pas en bonne place.
Il était assis près de son Caporal. Le Caporal soudain s’aperçoit qu’Henri devient blanc, il s’exclame « Alors Bordier ça ne va pas ? » mais la tête d’Henri tombe sur les genoux de son caporal ! (citation de son camarade de tranchée).
Le caporal ne comprend pas, avec un autre soldat ils se précipitent, le déshabillent pour voir ce qu’il avait, ils ne trouvaient rien, mais dans le dos, il découvre une blessure grosse comme un gros crayon : c’était un éclat d’obus qui était passé et qui avait atteint le cœur. Il n’y avait plus rien à faire. Henri était mort !
Profitant d’une accalmie à la tombée de la nuit, ils décident d’enterrer Henri et lui font une sépulture près de la route de Senoux, ils mettent une croix avec son nom, et lui laissent sa plaque d’identité militaire à son poignet pour qu’il soit toujours identifié…
Henri n’est pas le seul à être tombé ce 25 avril 1915 son Commandant Gratiolet également et 99 soldats ainsi que 46 disparus dans les tranchées et les trous béants des obus.
- Situation de la tombe provisoire d’Henri Bordier à Mouilly-sur-Meuse.
Louise apprend le décès de son époux avec dignité comme toujours, mais réalise qu’il va falloir assurer l’avenir de sa petite fille Denise.
Après de longs mois voire des années le frère d’Henri réussi à faire revenir le corps du poilu et lui donner une sépulture digne de son nom à Neuilly-Plaisance dans la tombe familiale des Bordier. Les honneurs lui seront rendus et son nom est gravé sur le monument aux morts de la ville de Neuilly–Plaisance.
Louise trouve un emploi à la Maltournée à Neuilly-sur-Marne dans l’usine électrique . Cette usine embauchait de nombreuses femmes dont les maris étaient au front ou comme elle, veuve de guerre. Louise étant très minutieuse il lui sera confié la charge de placer les filaments dans les ampoules électriques.
Les femmes pendant cette dure période trouvaient souvent des emplois d’hommes, beaucoup dans les champs, et également dans les usines de fabrication de munitions. Mais certaines avec quelques notions de soins se mettent à la disposition de la Croix Rouge ou dans les Hôpitaux pour soigner les blessés. Elles étaient également ambulancières. Dans l’armée elles sont aux commandes des téléphones et service de transmissions.
Le 7 août 1914 le Président Viviani appelle les Françaises :
« Debout les femmes françaises
Remplacez sur le champ de travail ceux qui sont sur le champ de bataille
Préparez-vous à leur montrer, demain, la terre cultivée, les récoltes rentrées, les champs ensemencés !
Il n’y a pas d’heures graves, de labeur infime
L’Hôpital de fortune
Tout est grand qui sert le pays
Debout ! A l’action ! A l’œuvre !
Il y aura demain de la gloire pour tout le monde
Les ouvrières sont appelées également fin 1915. Elles seront 400 000 fin 1917 début 1918 ».
Mais bien avant cet appel, des femmes avaient pris le travail des hommes.
Dans les usines d’armement la vie est très dure pour ces femmes. Certaines ne sont pas habituées au langage d’ouvrières, à la tenue à la garçonne. Elles viennent de différents horizons, de statuts sociaux variés. Des très jeunes et des femmes déjà âgées. Mais le courage l’emporte et elles s’adapteront et seront toutes très courageuses dans ces moments très difficiles.
Même la mode s’adapte aux nouvelles occupations de ces dames, « la mode Garçonne » abandon du corset, de la robe longue, cheveux courts, bras nus, ceinture basse et silhouette d’adolescente.
Dans les usines d’armement, le travail était pénible les femmes restaient debout et soulevaient les obus qui pesaient très lourds. Elles font des horaires allant jusqu’à 11 heures par jour et soupèsent en un jour environ 35 000 Kg. Elles étaient appelées « les munitionnettes. » étaient habillées comme des hommes.
Voilà ce que faisaient les femmes de soldats qui étaient eux, partis pour défendre la France.
Louise et Denise s’en sont bien sortis et ont eu une vie après ce triste passage beaucoup plus calme et agréable. Louise s’est remariée avec Lucien qu’elle a rencontré dans cette usine électrique de la Maltournée qui est devenue ensuite Ducretet Thomson et tous les trois ont été heureux à Gagny après avoir acheté un terrain tout près du Château de Maison Blanche, construits une maisonnette en 1923, cette maison existe toujours et abrite une descendante de Louise.
Sources : documents personnels du frère d’Henri.