BREVE HISTOIRE D’UNE RÉNOVATION
& D’UN CHANGEMENT DE NOM
Louis Buguet vivait là, dans des conditions apparemment assez précaires, si l’on en juge par l’absence de confort intérieur, et, ce qui peut paraître anormal pour l’époque, de commodités dont jouissaient déjà bien des habitants de ce vieux quartier : pas d’adduction d’eau, pas de toilettes, hormis un petit cabinet noir sans évacuation, et non plus de tout à l’égout.
Les murs intérieurs, enduits au mortier de chaux ou au plâtre, sans autre revêtement. Un éclairage à la bougie, malgré la présence d’une modeste installation électrique pour un point lumineux...
Cependant le corps du bâtiment lui-même avait des apparences assez cossues, pour l’époque estimée de sa construction :
- La présence intérieure de trois cheminées, l’une au rez-de-chaussée, jumelée avec une autre au premier étage, la troisième également au mur nord du premier étage, toutes trois munies d’âtres à jambages et linteaux taillés...
- Celle de plusieurs « serves » [1] en pierre sculptée, d’un seul tenant, et de niches armoires en pierre, et même dans la maçonnerie du mur latéral sud, les traces d’un probable four à pain situé à l’étage, (inondations ?..)
- Description
- Trois belles poutres en chêne (32 cm) soutenant les planchers à solives carrées de chaque étage, qui avaient résisté aux flammes de l’incendie.
- Mais surtout, la présence d’une très belle façade, dans laquelle on pouvait, parmi les différents outrages apportés par le temps, retrouver les signes d’une recherche et d’un souci d’équilibre propres aux bâtisseurs de la pré-Renaissance :
- une grande ouverture centrale à croisillon, jambages et linteau chanfreinés,
- une ouverture d’entrée à jambages chanfreinés de même, mais avec un linteau dissymétrique reposant sur un redan d’une curieuse pierre en tau, laquelle, coiffant le pilier central, était elle-même l’appui des vousseaux d’une belle pseudo arcade en trois pièces, dont on pouvait deviner la présence antérieure dans la façade originale.
- Et, au niveau du deuxième étage, deux petites ouvertures, carrées, qu’encadraient les deux potences en pierre trouées, si particulières à Tournus, et dont l’usage suscite encore tant de controverses. [2]
- La maison Buguet 1984
Relevé et plans de l’auteur - Tous droits réservés.
Telle que, cette maison est citée par Charles Dard [3], parmi la demi-douzaine d’immeubles « à caractères gothiques » des rue de la Pêcherie et rue des Saules, pour l’heure rues étroites et à circulation en sens unique, mais qui aux XVe et XVIC siècles, devaient probablement constituer le « front de Saône », si l’on se réfère aux déductions qu’il est possible de tirer de l’examen de gravures anciennes, [4] mais aussi de résultats de sondage lors de travaux dans des immeubles de l’actuel quai Nord.. [5]
Ici, je prie le lecteur de bien vouloir excuser l’emploi de la première personne, inévitable pour la suite du récit.
C’est dans un état de délabrement total, et même inquiétant pour le voisinage, que je découvris ce bâtiment, pour la première fois en juillet 1980, cherchant des sujets à peindre, lors de la première journée « Peintres dans la ville », organisée par la S.A.A.S.T avec le jeune sculpteur D. Lafouge.
Le sang du projeteur en bâtiment que j’avais été aux premiers temps de ma carrière, et celui de l’amateur d’art que j’étais devenu, n’avaient fait qu’un tour en découvrant tout le parti qu’il était possible de tirer d’un aussi bel espace, une fois débarrassés le fatras et les ruines du temps...
Sans m’étendre sur différentes péripéties, ce n’est qu’en 1984 que je pus me porter acquéreur de la « maison Buguet ».
Située dans le périmètre d’un site classé, et elle-même classée dans la catégorie des « immeubles remarquables, à conserver et mettre en valeur », il me fallait demander l’abandon du droit de préemption de la Ville, au Conseil Municipal présidé par M. R. Gautheron, maire, lequel fit droit à ma requête, sur ma promesse « de belle et bonne restauration... accessible à mes moyens, au demeurant fort modestes...
Passons sur les travaux indispensables de renforcement de la façade, et mise aux normes d’habitabilité de l’intérieur, pour en venir aux deux points qui justifient ce récit :
RESTITUTION DE L’ARCADE VOUSSEE D’ORIGINE
- Projet de restitution de l’échoppe
La disposition, parmi d’autres, de trois pierres manifestement d’origine, (1-2-3 sur l’élévation de la page 60), permettait par une mesure très précise, et par extrapolation, d’obtenir le dessin d’une voûte qui devait supporter, lors de la construction, les forces engendrées, par le poids d’au moins le tiers de toute la façade.
Le dessin obtenu ainsi, fait preuve d’une grande hardiesse, (en effet, la voûte n’ayant que 2 centimètres de flèche, pour une corde de 2,70 mètres, les poussées latérales rejetées sur les appuis-culées sont très importantes), mais aussi, (peut-être par conséquent ?...) d’une belle élégance.
Par ailleurs les angles formés par les surfaces d’appui, constatés sur les pierres d’origine, témoignent d’un parfait calcul de la direction des forces résultantes [6]
Enfin, l’ensemble sol, jambages et voûtains s’inscrivent exactement sur un rectangle "racine de 2" comme on le sait, particulièrement harmonieux : (2,70/1,90 m).
Je ne pouvais faire autre chose que de restituer à la façade, cette belle ordonnance d’antan, et, sur ce dessin précis, c’est le jeune sculpteur Bernard Husson, alors en début de carrière de sculpture, qui se chargea de la taille délicate de la clé de voûte et du voûtain d’appui latéral droit, manquant. Et pendant qu’il y était, restitua à la grande baie du premier étage le grand meneau chanfreiné, (que la loi calculant l’impôt sur le nombre d’ouvertures avait fait disparaître... ?).
Quant à la remise en place, elle aussi très délicate, elle fut réalisée, avec le succés qu’on peut constater, par l’entrepreneur Michel Colin et son personnel, qu’il me faut bien remercier d’avoir supporté si patiemment, un maître d’œuvre et d’ouvrage, aussi présent et tatillon.
- Voussure et poème reconstitués
Mais le jeu n’en valait-il pas la chandelle ?
(UNE DÉCOUVERTE POÉTIQUE)
Pendant la pose du renfort intérieur de la façade, mon regard avait été attiré par ce que je pris tout d’abord pour un graffiti, sous une couche de plâtre écaillée et rendue friable par l’âge et l’humidité.
Ayant précautionneusement gratté ou plutôt balayé cette première couche de plâtre, je me trouvais en présence d’une autre couche, rendue gris sale, vraisemblablement par le temps, dans laquelle était gravée assez profondément, avec un stylet, un touchant poème d’amour, écrit en un français lointain, à l’orthographe et aux tournures curieuses, mêlées d’expressions inconnues.
Quels que fussent l’auteur et l’origine de ce poème, la découverte, dans ce qui allait être ma maison, était assez émouvante pour que j’éprouvasse le désir de conserver par n’importe quel moyen ce témoignage du passé, maladroite-ment gravé dans une couche de plâtre sous-jacente et manifestement très ancienne, par ailleurs assez peu liée à la pierre de Tournus sur laquelle elle était appliquée.
J’avoue ne pas avoir eu la présence d’esprit de photographier en premier lieu la gravure en place, et mon idée première fut d’en effectuer un moulage au moyen de résine polymère dont j’avais assez bien la pratique.
Hélas à mon premier essai de décollement, la totalité du panneau s’effondra en petits morceaux, allant rejoindre au rez-de-chaussée la tonne de gravats, de poutres et de planches que la construction laissait traîner sur le sol.
La maladresse m’apparut un moment irréparable ; cependant, avec mon épouse, nous nous mîmes à rechercher et réunir dans un carton tous les morceaux grands ou petits qu’il nous fut possible de retrouver. Avec peu d’espoir cependant
Six mois plus tard, ayant pris possession des lieux, nous entreprîmes, avec curiosité mêlée d’émotion, la reconstitution de notre puzzle. Mais, malgré patience et recherche, il ne nous fut pas possible de reconstituer la totalité du panneau supportant le poème, trop de morceaux ayant été détruits totalement dans la chute.
Avec d’infinies précautions, j’arrivai cependant à effectuer un moulage de ce qui avait pu être sauvé, mais l’épreuve avait été trop dure pour cet original, qui s’effondra en poussière, anéanti à jamais, lorsque j’entrepris, soigneusement pourtant, le démoulage de l’empreinte. Heureusement celle-ci était d’assez bonne qualité pour que je puisse tirer immédiatement une bonne réplique de notre puzzle.
C’est l’image que j’en livre ci-dessous, cette réplique étant désormais visible en bonne place sur la façade de la maison, justifiant l’appellation que d’un commun accord, nous avons adoptée, transformant « la Maison Buguet » en “Logis du Poète”, mots qui furent ensuite sculptés en caractères romans sur la pierre d’appui en tau de la façade.
On peut lire, avec difficulté, mais sans erreur possible, et toutes particularités respectées :
(B)el objet de (mon amour)
mon cœur (se languit)
(rien) n‘adoucit m(a peine)
se ne me plais
vous voir ;
as quand puis je
(pr)étendre d’estre à vec
vous un jour,
sens crindre les yeux
de contraindre monne
amour
a t(ou)jours se contrain/dre
que de faux
n espérer rien, & tout
(j)ours estouffère
(ses) désirs
Verrons nous poin
(est)re à l’bris des yeux
et gouler à prétant
(ce) qu ‘amour (a) plus doux
Les mots ou groupes de lettres entre parenthèses, sont ceux qui, disparus, me semblent être restés en mémoire.
Au centre du poème sont gravés deux mots, qui pourraient être une signature, presque illisible :
?)ans Tr(??)ques ou tr ?? quoi ???
Qu’on me pardonne si je laisse aux linguistes et autres spécialistes le soin de déterminer l’authenticité et l’originalité de ce poème, et peut-être même son intérêt... Cela n’est de ma compétence.
Tout au plus puis-je remarquer que le graphisme de certaines lettres (V,D,F...), l’emploi de & pour et ,“usité” couramment dans le texte au XVIe. siècle, semblent témoigner de son ancienneté.
Quant à l’expression « gouler a prétant » qui ne prête pas à confusion quant à sa lecture, [7] elle m’est totalement inconnue, mais chante tellement à l’oreille...
...que je préfère quant à moi, conserver intacte la simple émotion de cette découverte, et par l’imagination revoir, appuyé dans l’embrasure de ma fenêtre, un jeune et bel amoureux transi, gravant ces mots touchants pour une belle, probablement proche mais inaccessible, que j’aime à imaginer, longeant les bords de Saône, cotillons au vent...
Vous redirai-je, après d’autres, que les vieilles maisons ont une âme...?
Jacques Auguste Colin -
réécrit le 20/02/2006 pour HISTOIRE-GENEALOGIE.com