Au hasard des pages tournées des anciens registres de catholicité des 17e et 18e siècles, on trouve de temps en temps, trace d’un enfant abandonné au pied d’une croix, sous le porche d’une église ou devant l’entrée d’une maison bourgeoise.
La première urgence pour le curé était de baptiser l’enfant en lui trouvant un parrain et une marraine qui donnaient leur prénom à l’enfant trouvé. C’est ce qui devait lui servir toute sa vie, d’état-civil. Plus tard et dans les grandes villes, pour éviter les abandons d’ enfants au coin des rues, on créa dans les hospices, des « tours d’abandon » qui permettaient au personnel hospitalier (souvent des religieuses) de recueillir les enfants déposés là, en catimini, à la nuit tombée par une mère honteuse ou, désespérée.
Avant de les confier à un orphelinat, une nourrice et plus tard à des familles d’accueil, il fallait très souvent leur donner un nom, à moins que l’on ait inscrit celui-ci sur un bout de papier épinglé à un vêtement de l’enfant.
Les Archives Départementales de la Loire ont mis sur leur site des registres du 19e siècle [1], regroupant les noms des enfants trouvés, souvent les familles d’accueil et parfois d’autres informations plus rares mais précieuses pour qui fait des recherches généalogiques.
Par curiosité, nous avons feuilleté virtuellement le premier de ces gros registres concernant la circonscription de Saint-Etienne, contenant plusieurs milliers de noms d’enfants trouvés entre 1838 et 1869 [2] ...
Comment le scribe chargé de trouver un nom s’y prenait-il ?
Nous n’avons pas découvert de noms péjoratifs ou grotesques comme ce fut le cas à des époques antérieures, tels que Lagueule, Misère ou Lacloche.
Il prenait des thèmes successifs : les villes par exemple !
Alors défilaient des séries de « Lizieux, Marly, Turin, Gap, Lepuy, Saumur, Grasse, Sedan, Vouziers, Nogent, Montluçon,Nice ... »
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Prenait-il un atlas et piquait-il au hasard sur une carte de France ou d’Europe ? Un fait divers avait-t-il attiré son attention ?
Lassé des noms de villes, il passait ensuite aux prénoms dont le calendrier est une source inépuisable : Bienvenu, Angel, Laurent, Bernard, Tristan ...
C’étaient ensuite les animaux de la basse-cour ou de la campagne tels Lièvre, Faisan, Brebis puis les noms de métiers comme Valet ou Cuisinier ...
Un certain jour, il se mit à bêtifier, perdant la tête. On découvre, stupéfait, plusieurs pages de Lelet, Lelut, Belet, Belut, Melet, Melot, Pelet, Pelot, Selat, Bedit, Bédat, Bedot. [3]
Fallait-il vraiment qu’il soit à court d’inspiration ! ...
Pensait-il qu’un jour un monsieur Capot épouserait une demoiselle Rale ?
Il décida de faire de l’esprit, et il joua avec les mots et les noms des enfants et en toute impunité :
Quand il avait à baptiser deux enfants, ils les appelait, le premier, Tambour et le second Major, ou bien encore, il prenait une expression ou un mot composé de plusieurs syllabes qu’il découpait en deux ou trois tronçons : Insy, Soit, Thil faisait pour trois. Capi Taine ou plus simplement Capot Rale , pour deux seulement.
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Un dernier, pour mieux vous éclairer :
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On entend d’ici s’esclaffer ce rond-de-cuir rondouillard « à la Courteline » faisant partager sa « kolossale » finesse avec ses collègues de bureau.
Cherchait-il une promotion auprès de son chef de service ?
Grâce à son esprit, le gratte-papier monta en grade et devint chef de bureau. Il se surpassa pour atteindre le sublime !
Ce n’était plus un mot qu’il coupait en deux ou trois mais une phrase tirée de la Bible, d’un roman ou de sa tête enfiévrée, qu’il découpait en dizaines de morceaux pendant ses insomnies nocturnes. Il s’agissait de véritables jeux de mots qu’il proposait à ses collègues, le lendemain.
Ce qui suit est la pure vérité :
SYLLA Jules, ROUTE Augustin, ETAY Angélique, MEY Louise, LIT Jean-Pierre, EURE François, NOUE Félicité, LESO Eugénie, RIONG Marie, ZAPER Adolphe, SUD Emile, DEPUIS Gabriel, LONG Marie-Jeanne, TEMPS Marie.
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Pour gagner la considération du chef, vous auriez du trouver, en lisant simplement les noms :
« Si la route était meilleure, nous les aurions aperçus depuis longtemps. »
De la même veine, on trouve : NECROIS, TUPAS, QUEJE, SUIS, TONDY, VIN, MAITRE , ou encore MESSY, NETRA, DELAVY, ERGE, MARY .
On reste pantois devant autant d’ esprit qui méritait bien cette promotion.
Vers un peu plus de rigueur et de sérieux...
Ces plaisanteries allaient se tarir vers 1862 ou alors, le chef de bureau prit-il une retraite bien méritée ?
On décida alors de changer de lettre chaque année. Ainsi, en 1862, à Saint-Etienne, tous les enfants trouvés eurent un nom commençant par A, par B en 1863. Quand on arriva à la lettre H, les responsables durent donner aux enfants des noms à consonances anglaises (Harold) ou germaniques (Hermann) voire latines (Hamodius) ... De quoi perturber des généalogistes en herbe !
Mais on avait cessé de jouer avec le nom d’enfants qui partaient dans la vie déjà avec un certain handicap.
Reste à résoudre une dernière énigme, une question lancinante à laquelle je n’ai trouvé aucune réponse satisfaisante et que j’adresse volontiers aux lecteurs de la Gazette : ces pseudonymes, si généreusement distribués aux pupilles de l’Etat étaient-ils donnés définitivement ou n’étaient-ce, en réalité, que des noms provisoires attribués aux enfants encore jeunes pour préserver le secret familial, un nom de théâtre en quelque sorte.
Peut-être qu’à l’âge adulte, on leur rendait leur vrai nom d’origine quand on le connaissait comme c’est le cas pour Etienne TAMPA qui redeviendra Etienne MEUNIER
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Avez-vous déjà rencontré ce genre de cas ?
et ... QUIPOU, RAHA, MENET, DELO, AMON, MOULIN ?
Merci de me répondre.