Contexte familial
Je m’intéresse depuis un moment aux origines et à l’histoire de la famille de mon père, les Quilan, venus des abords de la Picardie, avant la révolution,f aire souche, en Normandie, dans la région de Dieppe, d’abord dans le petit village du Thil puis dans le bourg d’Offranville où ils exercent le plus souvent le métier de boulanger. C’est ainsi que je fais connaissance de la famille Dancel. Mon arrière-grand-pére Romain Quilan, charcutier, âgé de 24 ans épouse, en effet, à Offranville, le 24 Avril 1877, Marie Dancel, couturière âgée de 22 ans. Le même jour, dans la même mairie, le frère de Romain, Alphonse, boulanger, âgé de 22 ans épouse la jeune sœur de Marie, Adeline, 20 ans, également couturière. Les deux jeunes femmes sont les filles de Vincent Dancel, maître maçon et d’Antoinette Alexandrine Batel. Heureux parents qui doivent être soulagés car ils ont une ribambelle de filles à marier et à doter . Doublement liée à la famille Dancel, je me dois de poursuivre mes recherches dans cette voie.
Un acte de mariage plein de surprises
Je retrouve aisément l’acte de mariage des parents Dancel : Antoinette et Vincent se sont unis une vingtaine d’années auparavant, le 8 Novembre 1853, dans cette même commune d’Offranville. Mais la lecture de leur acte de mariage me réserve quelques surprises. Après la présentation habituelle des mariés, le rappel de la publication des bans, de la liste des pièces d’état civil et militaire produites et des textes régissant le mariage, on en vient à la déclaration des futurs époux :
Les comparants ont déclaré que la dite Demoiselle Batel Antoinette Alexandrine est accouchée à Dieppe le six novembre mil huit cent quarante-neuf chez la dame Marie Anne Virginie Pinel épouse de Pierre Charles Romain sage-femme, demeurant au dit lieu rue de la Barre numéro trente-six d’un enfant du sexe féminin.
La suite est plus étonnante :
Que cette enfant a été déclarée à l’état-civil de Dieppe par la dite dame Romain le même jour six novembre mille huit cent quarante-neuf, comme étant nés de parents inconnus, et enregistrée sous les prénoms d’Alexandrine Raphaël ainsi que le tout est constaté par son acte de naissance qui nous est représenté.
Des noms attribués à un enfant abandonné
Tout cela est en effet confirmé par l’acte de naissance retrouvé dans les registres d’état civil de Dieppe où l’enfant apparaît sous les seuls prénoms d’Alexandrine Raphaël, suivant la pratique recommandée par l’instruction générale du Comte de Corbières en 1823 concernant l’administration et la comptabilité des hospices, des bureaux de bienfaisance et des enfants trouvés : le deuxième prénom tenant lieu de nom.
Les noms donnés à chaque enfant doivent être tels que, s’il n’y en a que deux, le premier soit considéré comme nom de baptême, et l’autre devienne, pour l’enfant qui le reçoit, un nom de famille transmissible à ses propres descendants.
Nous pouvons dès lors faire quelques remarques : l’enfant porte l’un des prénoms de celle qui sera reconnue sa mère lors de ce mariage, est-ce d’après une indication donnée par la mère à la sage-femme pour permettre une reconnaissance ultérieure ou un simple hasard ? Difficile de trancher, c’est en effet un prénom courant.
La sage-femme déclarante
La deuxième question qui se pose concerne la déclaration de naissance par la sage-femme. Était-ce l’habitude ? La règle (article 55 et 56 du code civil de 1804) est en effet, que la naissance est déclarée par le père de l’enfant, puis en l’absence du père par la sage-femme, le médecin ou l’officier de santé ou encore la personne chez qui la femme a accouché, le déclarant étant accompagné de deux témoins. La femme Romain est ainsi doublement habilitée à faire la déclaration pour la naissance d’Alexandrine Raphaël, en tant que sage-femme et parce que la mère a accouché chez elle. En pratique les sages-femmes (et plus rarement les médecins) interviennent dans trois cas : père absent en raison de son travail, enfant posthume né après la mort du père, et surtout enfants naturels de père inconnu. Pour cette même année 1849, c’est le cas à Dieppe pour l’enfant d’un employé de chemin de fer et pour celui d’un marin, pour quelques enfants posthumes et pour un nombre important d’enfants naturels. C’est ainsi qu’on retrouve régulièrement le nom et la signature de plusieurs sages-femmes dans les registres d’état-civil de la Ville. Ce sont généralement des femmes d’expérience. Elles habitent différents quartiers de Dieppe, au Pollet, quartier populaire s’il en est, mais aussi dans le centre-ville comme cette dame Romain qui accueille Alexandrine Raphael et habite rue de la Barre, une des rues les plus connues de Dieppe. Je n’ai pas trouvé d’autres enfants déclarés, par une sage-femme, de père et mère inconnus, cette année-là à Dieppe mais une enfant Marie Catherine Gaillard déposée à l’hospice, paraissant nouvellement née et déclarée par le portier de cette institution. Officiellement le tour qui permettait la dépose des enfants, en toute discrétion, avait été fermé deux ans plus tôt (certains lui reprochaient d’encourager les abandons quand d’autres soutenaient qu’il évitait des infanticides.). Mais peut-être continuait-il à fonctionner officieusement. Ces enfants-là avaient peu de chance de survivre. La petite fille meurt deux mois plus tard dans ce même hospice. Alexandrine Raphaël, comme nous l’apprend la suite de l’acte de mariage des époux Dancel a un sort plus heureux.
Qu’elle a été mise à l’hospice civil de Dieppe par la dame Romain le sept novembre mil huit cent quarante-neuf et que le huit juin mil huit cent cinquante-trois elle a été confiée par cette administration aux bons soins du sieur Dancel père du futur.
Fraude ou administration conciliante ?
Le dépôt à l’hospice n’a rien de surprenant, les religieuses y prennent soin des enfants abandonnés. Plus étonnant est la remise de l’enfant, âgée de bientôt quatre ans au père de Vincent Dancel, quelques mois avant que ce dernier ne se marie. Plusieurs explications possibles. Il semble qu’il ait existé certaines fraudes à l’abandon au XIX siècle : des familles démunies abandonnent un enfant puis se débrouillent (Dieu sait comment !) pour accueillir ou faire accueillir l’enfant dans une famille proche qui perçoit une rétribution de l’administration : les liens avec l’enfant sont alors maintenus sans avoir le souci d’une bouche supplémentaire à nourrir (cf. : Yannick Marec dans Vers une république sociale ? Du tour à l’accouchement sous X. La question de l’abandon en Normandie et à Rouen 1800-1945.) À moins que l’administration ne se soit montré conciliante connaissant les bonnes intentions du jeune couple. Peut-être existe-t-il quelque document conservé dans les archives communales de Dieppe et provenant de l’hospice susceptible de nous éclairer sur ce sujet. Cette recherche reste à faire.
Alexandrine Raphaël devient Alexandrine Raphaël Dancel
Toujours est-il que l’heure de la reconnaissance est venue. La déclaration des futurs époux se continue ainsi :
Que cette enfant provient des œuvres du dit sieur Dancel Vincent Albert avec la demoiselle Batel Antoinette Alexandrine et que tous ces faits sont à la connaissance du père du futur des pères et mères de la future et des témoins présents. Pourquoi le sieur Dancel Vincent Albert et la demoiselle Batel Antoinette Alexandrine agissant librement, reconnaissent par le présent et prétendent légitimer l’enfant dont il s’agit, comme leur appartenant, et afin qu’elle jouisse à l’avenir des droits accordés par la loi aux enfants légitimes. Ils entendent en outre que cette enfant portera le nom de famille Dancel comme étant celui de son père.
La fillette est ensuite présentée et la célébration du mariage peut se poursuivre comme à l’accoutumée. Désormais dans les recensements d’Offranville Alexandrine apparaîtra comme l’enfant de Vincent et Antoinette Dancel et rien ne la distinguera de ses sœurs, nés après le mariage, si ce n’est son lieu de naissance : née à Dieppe alors que les autres enfants sont nées à Offranville. Curieusement cette légitimation n’est pas portée en mention marginale dans son acte de naissance. Mais c’est bien une Alexandrine Raphaël Dancel qui décède à Offranville, le 14 Décembre1927.
Toujours étonnée par ce parcours insolite, je serais bien heureuse de savoir si vous avez rencontré d’autres cas analogues au cours de vos recherches.