Pourtant un document, la source unique, nous éclaire sur l’église viennoise à la fin du II° siècle : la lettre des chrétiens de Vienne et Lyon à leurs frères d’Asie, en 177.
C’est l’historien Eusèbe, évêque de Césarée en Palestine (IV° siècle) qui nous a conservé cette lettre dans son Histoire Ecclésiastique au livre V. Il écrit : "La Gaule fut donc le pays où fut installé le stade où eurent lieu ces événements : elle a des métropoles illustres et qui l’emportent sur les autres de la contrée. Celles-ci s’appellent Lyon et Vienne ; elles sont traversées l’une et l’autre par le fleuve du Rhône qui coule d’un flot abondant à travers tout le pays. Au sujet de leurs martyrs, les très illustres Eglises de ces cités envoient donc un rapport écrit aux Eglises d’Asie et de Phrygie, et elles racontent tout ce qui s’est passé chez elles de la manière suivante..."
- Sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon, l’amphithéâtre des Trois-Gaules qui vit, en 177, saint Pothin, sainte Blandine et leurs compagnons être livrés aux fauves lors des fêtes du mois d’août.
La lettre détaille les persécutions infligées aux chrétiens [1] pour en arriver au martyre de la célèbre Blandine : "En la personne de Blandine, le Christ montra que ce qui paraît aux yeux des hommes sans beauté, simple, méprisable est digne aux yeux de Dieu, d’une grande gloire à cause de l’amour qu’on a pour lui... Nous tous, en effet nous avions craint, et avec nous sa maîtresse -laquelle était aussi engagée dans le combat au nombre des martyrs- que Blandine dans cette lutte, ne soit pas capable, à cause de sa faiblesse physique, de faire avec assurance sa confession de foi. Mais Blandine fut remplie d’une telle force qu’elle épuisa et fit capituler tous ceux qui successivement la torturèrent de toutes les façons, du matin au soir..."
On sait que Blandine, exposée aux bêtes dans l’amphithéâtre, sortit victorieuse de l’épreuve. Elle livra son dernier combat avec Pontique, un jeune garçon de quinze ans : "Après les fouets, après les bêtes, après le gril, on finit par la jeter dans un filet et l’exposer ainsi à un taureau. Bien des fois projetée en l’air par cet animal, elle ne s’apercevait même plus de ce qui lui arrivait, absorbée qu’elle était dans l’espérance et l’attente de sa foi, et dans son entretien avec le Christ. On l’égorgea elle aussi, et les païens eux-mêmes reconnaissaient que jamais chez eux une femme n’avait supporté autant de pareils tourments."
C’est là tout ce que nous dit la lettre sur Blandine.
Pourtant malgré ce silence des documents, une esquisse historique des Roches-de-Condrieu, paraissant par épisodes et sans nom d’auteur dans le bulletin paroissial entre 1900 et 1905, raconte dans son chapitre II (juillet et août 1901) :
"Philiard de Condrieu s’était converti avec toute sa famille et vivait en chrétien fervent. Bientôt voyant ses enfants assez forts pour gagner leur vie, il leur chercha des places honorables chez ceux qui pratiquaient la même religion que lui. Dame Béninte Proubière de Lyon ayant accepté une de ses filles quoique jeune et délicate, il s’empressa de la lui amener. C’était vers l’année 175. Blandine était le nom de cette jeune enfant qui, quoique un peu timide, était d’une énergie et d’un courage invincible dans l’accomplissement de tous ses devoirs. Son coeur, douloureusement éprouvé par la séparation de ses parents, trouva en sa maîtresse dédommagement et consolation. Béninte Proubière, en effet, était une des plus ferventes chrétiennes de Lyon, et malgré son âge avancé elle n’omettait aucun des exercices alors en usage parmi les chrétiens. Aussi, comme Blandine aurait été heureuse, si dans la place qu’elle occupait comme humble servante, elle avait pu voir près d’elle ses chers et vénérés parents. Cependant cette épreuve n’était rien comparée à celle qui bientôt allait fondre sur elle et ses frères en Jésus-Christ.
...Lyon vit son illustre évêque, saint Pothin, arraché d’au milieu de ses chers enfants malgré sa maladie et son grand âge, il avait plus de 90 ans, (avec) Sanctus de Vienne, Blandine de Condrieu, et des milliers d’autres de tout âge et de toutes conditions... L’auteur poursuit par le récit du martyre de Blandine. Ce n’est que dans ces lignes qu’il rejoint le texte de la lettre de 177, en l’enjolivant de considérations pieuses.
Faut-il accorder crédit à la thèse d’une origine condriote de Blandine ? L’anonyme qui écrit dans le bulletin des Roches s’appuie sur l’Histoire de Condrieu publiée en 1850 par Adèle Buisson.
Cette Histoire est truffée d’inexactitudes, sans aucun souci de vérité historique. L’abbé Batia, qui a travaillé au début du siècle sur les archives de Condrieu dit de cet ouvrage : "La deuxième (histoire de Condrieu) n’a de vrai que ce qu’elle a copié dans Cochard (auteur d’une notice en 1815) ; Tout le reste n’est qu’un tissu de légendes, fables, romans, que l’imagination de l’auteur a inventés à plaisir, dans le but sans doute d’intéresser ses lecteurs mais en se jouant de leur crédulité et en abusant de leur bonne foi. On se demande dans quel historien Madame Buisson a trouvé la fondation de Condrieu par un prétendu Florius, le passage de Domitien et d’autres empereurs, et l’emprisonnement d’une fille de l’empereur Claude dans la tour du château près de mille ans avant que celle-ci ne fût construite... Mais qu’importaient pour l’auteur quelques anachronismes de plus ou de moins ?
A notre regret, nous sommes forcés de refuser le titre de Condrillot à plusieurs personnages gratifiés par l’auteur de cette qualité : de sainte Blandine et de la dame qu’elle servait le lieu de naissance est absolument inconnu " [2]...
Nous souscrivons entièrement à ce jugement.