Les accidents météorologiques (gel tardif ou pluviosité excessive) étaient redoutés par la population. Généralement, ces phénomènes climatiques entraînaient une régression de la production agricole souvent suivie d’une crise de subsistance. La famine était alors plus ou moins importante selon les provinces du royaume.
Ainsi les zones littorales du Midi et de la Bretagne étaient préservées en raison d’un climat plus clément, de facilités de ravitaillement par la route ou par la mer et surtout grâce à la consommation d’aliments de substitution : blé noir, maïs, laitages, poissons et coquillages...
Pour le reste du Royaume, il est possible de lire les conséquences démographiques des grandes gelées des hivers 1693/1694 et 1709/1710 dans les registres paroissiaux : on remarque souvent une multiplication par trois ou quatre du nombre des décès, une baisse sensible du nombre des mariages et une diminution plus importante encore du nombre de baptêmes (par suite d’aménorrhées ou de dénutrition).
Selon l’historien Pierre Goubert, le "grand hyver" de 1709 gela toutes les cultures et les arbres fruitiers. Les récoltes de blé furent détruites sauf dans les régions qui purent semer des blés de printemps.
Un texte publié en 1790 dans "La Nouvelle Maison Rustique" sous la plume du "sieur Liger" nous renseigne sur les conséquences des "gros hivers" sur la culture du blé :
(...) Ce n’est pas même la rigueur et la durée de la gelée qui est le plus à craindre dans les grands hivers, surtout quand le blé a été bien recouvert avec l’herbe, que la plante est bien épatée, et que la terre reste couverte de neiges qui l’échauffent et la préservent des fortes gelées. Si le froid vient peu à peu, ou quand l’eau est bien égouttée, quelque fort et long qu’il soit, il ne fait mourir que la fane, et le grain conservé en terre, pousse de nouveau au printemps. Tel a été le grand hiver de 1608, dont parle Mezerai, et qui fut cependant suivi d’une ample moisson ; et tel a été aussi à peu près le long hiver de 1729.
Mais si la gelée prend âprement pendant que la terre est découverte et imbibée d’eau ; par exemple, si elle reprend sur un prompt dégel, le blé étant entre deux glaces, elle pénètre, saisit, brise ou brûle tout, sans espérance de résurrection ; et c’est ce qui arriva en 1684 et en 1709. Nous avons lu, dans les archives d’une petite ville ancienne, qu’il y eut en 1573, un pareil hiver, qui fit monter, disent ces archives d’heureuse date, le prix du blé jusqu’à 37 sols le boisseau réduit à celui de Paris.
Cependant, au commencement du printemps de 1709, le Parlement de Paris, flatté par l’exemple de l’hiver de 1608, cité par Mezerai, fit défenses de charger en nouveaux grains, les terres emblavées avant l’hiver, dans l’espérance que le blé y repousserait comme il avait fait en 1608, ce qui manqua par l’effet des gelées survenues coup sur coup pendant les dégels : de sorte que, sans le secours des orges, qu’on sema sur les blés, et qui fournirent avec tant d’abondance, qu’on appelle encore cette année, l’année des orges, la misère aurait été bien plus affreuse qu’elle ne le fut : tant il est vrai que la plus sage prévoyance est souvent trompée, et que la meilleure ressource de l’homme après Dieu, est l’industrie et le travail.
Ainsi, au printemps, si l’on voit que les blés aient péri par quelque gelée pareille, par pillage d’oiseaux de passage, ou par quelqu’autre malheur, il faut repasser la terre, et y semer du blé rouge ou de l’orge.
Au printemps qui suivit ce même hiver de 1709, dans le Berry et ailleurs, on sema beaucoup de blés, qui levèrent et crurent bien ; mais quand on vit qu’ils ne donnaient que de l’herbe et des épis sans grain, on les faucha, on y mit paître les bestiaux comme dans un pré, et l’hiver ayant passé par-dessus, ils rapportèrent du grain, l’année suivante, aussi abondamment que si on les avait semés de nouveau.
On a appris dans ce même hiver 1709, que le blé qui avait été semé dans des clos, le longs des murs, qui le tenaient à l’abri du vent du nord, y avait résisté à la rigueur du froid.
Quand le printemps est extrêmement humide et pluvieux, la récolte qui suit est ordinairement stérile, parce que le bon grain a été étouffé et affamé par une multitude de mauvaises plantes. Ce sont aussi ces années-là où les maladies populaires sont les plus fréquentes en automne, soit par la mauvaise qualité du grain qui n’a pas eu assez de nourriture, soit par le mélange qui s’y est fait des graines de mauvaises plantes".
Suite aux rigueurs des hivers 1709 et 1710, les prix des céréales flambèrent (10, 12 ou 13 fois les prix de l’année précédente). Pierre Goubert précise : En 1709, "comme en 1694, le petit peuple, aux réserves épuisées par les divers impôts, ne put vivre que de charité ou de charognes infectes. On enterra en série, on ramassa des morts le longs des chemins..."
Toutefois, le même auteur remarque que "les gens mouraient rarement de faim au sens étroit du mot, mais plutôt d’aliments infects des temps de crise, qui provoquaient diverses maladies contagieuses, surtout digestives".
Mais c’est surtout grâce aux annotations des prêtres dans les registres paroissiaux, en marge des actes d’état-civil, qu’il nous est possible aujourd’hui de lire et de comprendre les conséquences des grands hivers pour la population.
- Voir sur le même site ma série d’articles sur La Maison Rustique
Bibliographie :
- Giner : La nouvelle maison rustique ou économie rurale, pratique et générale de tous les biens de campagne, Paris, chez Prévor, Libraire, rue de la Harpe, près de la place Saint-Michel, 1790.
- Marcel Lachiver, Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991.
- Georges Duby et coll : Histoire de la France rurale, t. 2, Paris, Éditions du Seuil, 1975.
- Pierre Goubert : Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966.
- Thierry Sabot, Contexte, guide chrono-thématique, Editions Thisa, 2012.