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Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710

Le jeudi 1er mars 2001, par Thierry Sabot

La fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle furent marqués par les désastreux hivers de 1693/1694 et 1709/1710 qui ont longtemps laissé un souvenir dans la mémoire collective.

Les accidents météorologiques (gel tardif ou pluviosité excessive) étaient redoutés par la population. Généralement, ces phénomènes climatiques entraînaient une régression de la production agricole souvent suivie d’une crise de subsistance. La famine était alors plus ou moins importante selon les provinces du royaume.

Ainsi les zones littorales du Midi et de la Bretagne étaient préservées en raison d’un climat plus clément, de facilités de ravitaillement par la route ou par la mer et surtout grâce à la consommation d’aliments de substitution : blé noir, maïs, laitages, poissons et coquillages...

Pour le reste du Royaume, il est possible de lire les conséquences démographiques des grandes gelées des hivers 1693/1694 et 1709/1710 dans les registres paroissiaux : on remarque souvent une multiplication par trois ou quatre du nombre des décès, une baisse sensible du nombre des mariages et une diminution plus importante encore du nombre de baptêmes (par suite d’aménorrhées ou de dénutrition).

Selon l’historien Pierre Goubert, le "grand hyver" de 1709 gela toutes les cultures et les arbres fruitiers. Les récoltes de blé furent détruites sauf dans les régions qui purent semer des blés de printemps.

Un texte publié en 1790 dans "La Nouvelle Maison Rustique" sous la plume du "sieur Liger" nous renseigne sur les conséquences des "gros hivers" sur la culture du blé :

(...) Ce n’est pas même la rigueur et la durée de la gelée qui est le plus à craindre dans les grands hivers, surtout quand le blé a été bien recouvert avec l’herbe, que la plante est bien épatée, et que la terre reste couverte de neiges qui l’échauffent et la préservent des fortes gelées. Si le froid vient peu à peu, ou quand l’eau est bien égouttée, quelque fort et long qu’il soit, il ne fait mourir que la fane, et le grain conservé en terre, pousse de nouveau au printemps. Tel a été le grand hiver de 1608, dont parle Mezerai, et qui fut cependant suivi d’une ample moisson ; et tel a été aussi à peu près le long hiver de 1729.

Mais si la gelée prend âprement pendant que la terre est découverte et imbibée d’eau ; par exemple, si elle reprend sur un prompt dégel, le blé étant entre deux glaces, elle pénètre, saisit, brise ou brûle tout, sans espérance de résurrection ; et c’est ce qui arriva en 1684 et en 1709. Nous avons lu, dans les archives d’une petite ville ancienne, qu’il y eut en 1573, un pareil hiver, qui fit monter, disent ces archives d’heureuse date, le prix du blé jusqu’à 37 sols le boisseau réduit à celui de Paris.

Cependant, au commencement du printemps de 1709, le Parlement de Paris, flatté par l’exemple de l’hiver de 1608, cité par Mezerai, fit défenses de charger en nouveaux grains, les terres emblavées avant l’hiver, dans l’espérance que le blé y repousserait comme il avait fait en 1608, ce qui manqua par l’effet des gelées survenues coup sur coup pendant les dégels : de sorte que, sans le secours des orges, qu’on sema sur les blés, et qui fournirent avec tant d’abondance, qu’on appelle encore cette année, l’année des orges, la misère aurait été bien plus affreuse qu’elle ne le fut : tant il est vrai que la plus sage prévoyance est souvent trompée, et que la meilleure ressource de l’homme après Dieu, est l’industrie et le travail.

Ainsi, au printemps, si l’on voit que les blés aient péri par quelque gelée pareille, par pillage d’oiseaux de passage, ou par quelqu’autre malheur, il faut repasser la terre, et y semer du blé rouge ou de l’orge.

Au printemps qui suivit ce même hiver de 1709, dans le Berry et ailleurs, on sema beaucoup de blés, qui levèrent et crurent bien ; mais quand on vit qu’ils ne donnaient que de l’herbe et des épis sans grain, on les faucha, on y mit paître les bestiaux comme dans un pré, et l’hiver ayant passé par-dessus, ils rapportèrent du grain, l’année suivante, aussi abondamment que si on les avait semés de nouveau.

On a appris dans ce même hiver 1709, que le blé qui avait été semé dans des clos, le longs des murs, qui le tenaient à l’abri du vent du nord, y avait résisté à la rigueur du froid.

Quand le printemps est extrêmement humide et pluvieux, la récolte qui suit est ordinairement stérile, parce que le bon grain a été étouffé et affamé par une multitude de mauvaises plantes. Ce sont aussi ces années-là où les maladies populaires sont les plus fréquentes en automne, soit par la mauvaise qualité du grain qui n’a pas eu assez de nourriture, soit par le mélange qui s’y est fait des graines de mauvaises plantes".

Suite aux rigueurs des hivers 1709 et 1710, les prix des céréales flambèrent (10, 12 ou 13 fois les prix de l’année précédente). Pierre Goubert précise : En 1709, "comme en 1694, le petit peuple, aux réserves épuisées par les divers impôts, ne put vivre que de charité ou de charognes infectes. On enterra en série, on ramassa des morts le longs des chemins..."

Toutefois, le même auteur remarque que "les gens mouraient rarement de faim au sens étroit du mot, mais plutôt d’aliments infects des temps de crise, qui provoquaient diverses maladies contagieuses, surtout digestives".

Mais c’est surtout grâce aux annotations des prêtres dans les registres paroissiaux, en marge des actes d’état-civil, qu’il nous est possible aujourd’hui de lire et de comprendre les conséquences des grands hivers pour la population.

Bibliographie :
 

  • Giner : La nouvelle maison rustique ou économie rurale, pratique et générale de tous les biens de campagne, Paris, chez Prévor, Libraire, rue de la Harpe, près de la place Saint-Michel, 1790.
  • Marcel Lachiver, Les années de misère, la famine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991.
  • Georges Duby et coll : Histoire de la France rurale, t. 2, Paris, Éditions du Seuil, 1975.
  • Pierre Goubert : Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966. 
  • Thierry Sabot, Contexte, guide chrono-thématique, Editions Thisa, 2012.

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13 Messages

  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 12 août 2013 03:35, par François Papin

    On a abondamment parlé de l’hiver 1709-1710 à la télé ces dernières années.
    C’est l’explosion d’un volcan islandais qui en a été la cause.
    Le phénomène (nuage de poussière)touche l’ensemble de l’Europe du Nord et a duré plusieurs années.
    Le nombre de morts a été considérable.
    Un phénomène d’une gravité proche de celle de l’extinction des dinosaures.

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 11 août 2013 11:56, par quentin

    hiver1709 BONNEVAL 28 curé BEAUPERE PAROISSE ST SAUVEUR
    " on trouvait sur les chemins des hommes gelés"
    le bléqui jusqu a la n avait valu que 10 sols ou 3 livres le septier se vendit jusqu a 50livres
    aux evirons de CHARTRES ,il mourut plud de 300 personnes ,dans la plupart des vilages de beauce ,on y meurt a tas,on enterre les gens 3 A 3 ,4 A 4, on les trouve morts ou mourants dans les jardinset sur les chemins

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 10 août 2013 09:49, par Delion

    L’un de mes ancêtres est "mort de froid derrière le moulin des moines, en se rendant à l’enterrement de sa tante" en 1708 à Blennes 77

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 8 août 2013 18:56, par CANU Jacqueline

    Pour anecdote, je peux vous citer le commentaire du Curé de Carville (Calvados) village que j’ai beaucoup étudié, il écrit sur le registre de BMS tenu par ses soins, pour l’hiver 1709, le commentaire suivant : "Cet hiver a été si froid que le cidre a gelé dans les burettes, et que j’ai coupé mon pain à la hache"
    Commentaire ormis le froid cela nous enseigne également qu’on ne buvait pas toujours du vin à la Sainte Messe.
    A bientôt
    Jacqueline CANU

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 15:59, par Sych

    J’ai relevé, il y a quelques années, une anecdote surprenante : il est dit qu’au cours de l’hiver 1709, les parfums des bourgeoises, en partie fait d’alcool, gelaient à l’intérieur des maisons !
    Cette même année, dans le haut-Berry, j’ai fait quelques statistiques lors de mes recherches généalogiques : j’ai relevé jusqu’à 22 décès pour une naissance ; quant aux mariages, quasiment aucun.

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 12:15, par Warenghien

    Le petit âge glaciaire :

    Pendant plus de 400 ans, au début du XVe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, ce que l’on a baptisé "la petite période glaciaire" ou "petit âge glaciaire" régna sur le Nord, Nord-West de l’Europe (France comprise) et l’Amérique du Nord.
    Cette période, fut marquée par un refroidissement important des hivers, débutant à mi-automne et se prolongeant sur le milieu du printemps et par un été passablement ensoleillé.

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    • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 9 août 2013 16:23, par Warenghien

      Le petit âge glaciaire / Little ice age : fut la période la plus froide, elle dura de 1350 à 1955 (selon les Britanniques), avec des pics minimums en 1440 / 1460, 1450 (le minimum thermique), & 1575, ce fut l’année de l’essor de la larve de pyrale, qui rongea le pied des vignes, ainsi que de 1660 à 1705, qui ruina le vignoble de Normandie, le raisin arrivant à peine à maturité et manquant de soleil, fit du vin de la piquette. Durant 1750 à 1775 eut lieu le maximum thermique de cette période, et de 1783 à 1788 un très fort refroidissement. Comme les alentours de 1860 / 1900 furent un bref réchauffement qui sera quant à lui, celui de l’extension du phylloxéra pour les vignes des régions viticoles françaises.

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 12:15, par suzanne MORILLON-VILATTE

    Extraits de mon blog dont le lien est installé sur le site officiel de la mairie de Bourgtheroulde-Infreville (Eure)

    En 1693, une profonde misère s’installe dans toute la France provoquée par la sécheresse suivie d’une grande pauvreté. De nombreux décès sont constatés les deux années suivantes.

    En 1694, trente-cinq enfants décèdent à Bourgtheroulde, vingt-sept à Infreville. La mortalité n’épargne pas les adultes. Des familles entières disparaissent.

    1695 - "LE SIÈCLE DE DIEU" (Catherine HERMARY VIEILLE) : "Pour financer la guerre, il avait fallu lever de nouveaux impôts. Le contrôleur général des finances, monsieur de PONCHARTRAIN, avait mis en place une capitation, impôt pesant sur chaque chef de famille.
    La capitation est réinstaurée, d’abord provisoirement, pour faire face aux dépenses de la guerre de Succession d’Espagne, en 1702. Le nouveau système d’imposition est basé sur le calcul de la taille. Les dettes du pays étant si importantes, l’impôt perdurera et ne sera aboli que lors de la Révolution française.

    (INTERNET - Capitation : Le terme capitation est issu du latin "caput, capitis", signifiant tête. Le 18 janvier 1695, suite à la crise économique traversée par la France entre 1692 et 1694, ce nouvel impôt direct est prélevé sur chaque individu mâle, y compris les privilégiés ; seul le clergé est exempté. A la suite des traités de Ryswick, signés en 1697 par Louis XIV, la capitation est supprimée.)
    Le froid était revenu, mordant comme l’année précédente, et l’on se désespérait. Le royaume se relèverait-il d’une telle misère ? On parlait de centaine de milliers de personnes ayant péri de froid et de faim qui s’ajoutaient aux innombrables soldats morts au feu, à la multitude des protestants pourchassés et jetés aux galères quand ils n’avaient pas été massacrés au cours d’infâmes dragonnades"

    En 1710, à l’exception de deux ou trois laboureurs, le village est misérable, la population fatiguée par le transport des bagages des troupes.

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 11:29, par François MEIGNANT

    Un petit témoignage d’époque : les annotations du curé Vignancourt de Noyant d’Allier (03) en mai 1714.

    « Cette année 1714, la nuit du dernier avril, jour de St Eutrope, au 1er may, le vent du nord soufflant froidement sur les onze (heures) du soir je m’aperçus qu’il tournoit solaire (au Sud) encore plus froid et la lune, s’étant obscurcie par un nuage fort épais, qui me faisait espérer changement pas la couverture du firmament, ce nuage épais s’étant déchargé sur terre par brouillards jusqu’au point du jour, et continuant à faire froid, il gelast la moitié des bleds universels (blé d’hiver) au moins, fromans non à pied (en herbe), seigles non à pieds, tous les fruicts, vignes, tout ce qui était sur terre et promettait faisant (de faire) oublier les misères de 1709, 1710, 1711, 1712 et 1713 par la guerre et stérilité des années précédentes, le dit jour et an 1714, le blé valant encore 35 Livres le boisseau mesure de Moulins, désormais valut 40 Livres en décembre 1713 ce qui fut une consternation extrême, et le vin valait dans ledit temps 80 Lt le tonneau de vin rouge et 60 le blanc ce qui ne pouvait le faire diminuer, soumission à la providence. »

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 11:09, par ROUET

    Entre les années 1708 et 1710, les registres de la paroisse de La Celle-sous-Montmirail (Aisne) contiennent la note suivante : " Nota qu’il ne c’est rien trouvé dans le registre de mil sept cent neuf, les habitants ayant abandonné la paroisse ".

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 7 août 2013 07:15, par Bernast

    Au cours de mes recherches j’ai rencontré à Merville 1338 décès pendant l’année 1710 et 1711 contre 228 en 1709
    C’était tellement anormal que je l’ai noté dans mon cahier

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  • Les "grands hyvers" 1693/1694 et 1709/1710 6 août 2013 08:31, par Alain Kienlen

    Hiver avec un "Y", pourquoi ?

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