Non, c’est bien évident, aucun de nos livres d’Histoire ne rapporte ces douloureux moments. Très peu de ces poilus ont, à ce jour, été réhabilités… Nous nous donc sommes penchés, plus particulièrement, sur l’un de ceux-ci ayant été fusillé « pour l’exemple » le 9 février 1915 à WESSERLING !
- Pierre Mestre
Ce soldat, Pierre MESTRE originaire de Haute-Loire, ayant combattu pour le 28e Régiment de Chasseurs venait de guerroyer sur le haut des Vosges. Sans doute, son régiment se préparait-il pour la bataille du LINGEKOPF, opération de grande envergure élaborée dans les premiers mois de 1915 où le Haut Commandement Français envisageait une série d’opérations offensives ayant pour but de nous donner la possession de la Haute Vallée de la FECHT et de MUNSTER. Entre sa conception et son exécution, cette opération fut l’objet de nombreuses modifications, tant au point de vue de l’étendue du front d’attaque, que de l’importance des effectifs à y engager et des résultats que l’on y espérait.
Que s’est-il passé pour le soldat MESTRE ?
Venait-il de combattre sur l’HARTMANNSWILLERKOPF, dont les opérations se déroulèrent entre le début janvier 1915 jusqu’à mars 1915 ? Il y a de fortes chances puisque le 28e bataillon de Chasseurs, occupe le sommet du Vieil Armand dès le début janvier où l’ennemi lance tout un bataillon à l’assaut du sommet occupé par deux sections de Chasseurs. Les Allemands sont tout d’abord repoussés et subirent des pertes sérieuses.
- Carte des opérations militaires Haute Vallée de ST AMARIN – THANN (Vieil-Armand voir flèche)
Le 21 janvier 1915 l’attaque reprend. On entend crépiter la fusillade de la 1re compagnie et son héroïque clairon : le Chasseur MONSIEUR qui sonne la charge et refrain du bataillon. Ces hommes, ce sont tous de rudes montagnards de l’Auvergne, de l’Ardèche, des Alpes, de l’Allier de la Loire, Rhône et Drôme. Ils vont renouveler sur le sommet vosgien, au milieu des neiges, l’exploit accompli par leurs ancêtres dans les sables brûlants de l’Afrique à Sidi-Brahim. Les Allemands concentrent sur le sommet le terrible feu de MINENWERFER.
Un dépôt de munitions des Chasseurs saute ainsi que le dépôt de vivres qui est brûlé. Le sous-lieutenant CANAVY est écrasé par les bombes : un éclat lui a emporté la tête.
Épuisés par ces combats incessants, dès le lendemain, les braves Chasseurs se taisent soudainement : le clairon, ne sonne plus.
Ils sont tous complètement anéantis par ces jours et nuits de bataille et la 1re Compagnie a capitulé, ayant perdu les 2/3 de son effectif. Il ne reste plus qu’une poignée de défenseurs à la grande stupéfaction des Allemands. A tel point que la valeur de ces hommes est mise en avant par le commandant de la troupe Allemande qui ne peut se retenir de dire : « Vous êtes des braves » et de leur faire rendre les honneurs au passage en les autorisant à défiler dans Mulhouse le fusil sur l’épaule !
Mais ensuite…
La possession du Vieil-Armand dominant la plaine de 600 mètres, était absolument indispensable à l’armée Française.
Mais le 9 février qu’est-il donc arrivé pour que le Chasseur du 28e Régiment Pierre MESTRE soit passé par les armes ? La fiche de décès le concernant, retrouvé sur le site « MEMOIRE DES HOMMES », ne nous en apprend guère sur ce « passage par les armes » .
- Fiche de décès du soldat MESTRE (Mémoire des Hommes)
Et surtout pourquoi a-t-il été exécuté à WESSERLING ? En effet, l’État-Major des armées se trouvant à SAINT-AMARIN, on pouvait se poser la question sur ce lieu choisi ?
Autant d’interrogations que nous pouvions, légitimement nous poser… Par ailleurs, sa petite-fille, Madame T., aura tout entrepris pour faire réhabiliter sa mémoire car enfin, quel mal avait-il fait pour être ainsi exécuté sommairement dans cette campagne Alsacienne qui fut sa dernière vision ? Ce pauvre 2e Classe avait-il soudainement décidé de fuir ces batailles incessantes, étant l’un des ultimes rescapés de sa Compagnie lors de cette terrible bataille du Viel-Armand pour laquelle, il n’était sans doute guère préparé à une telle boucherie ?
Âgé de 33 ans, marié, père de famille puisque descendance de nos jours, en avait-il plus qu’assez, de cette guerre qui ne devait durer que quelques jours et qui se prolongeait encore et encore en cette année 1915 et dont il ne voyait pas l’aboutissement ?
- Douaniers Allemands WESSERLING 1914/1918
Mais voyons désormais un peu plus avant sa vie telle qu’elle est au moment de son incorporation militaire en 1902 lors de son appel sous les drapeaux : Il est fils de Jean Augustin MESTRE et de VALETTE Rosalie décédés. Il a tiré le n°1 dans le canton de SOLIGNAC SUR LOIRE, étant né à ST CHRISTOPHE SUR DOLAISON en Haute-Loire.
Tout d’abord son signalement, il est blond, yeux bleus, un front ordinaire, un nez moyen comme sa bouche. Il est assez petit mesurant 1,59 m. avec un visage ovale. Il a un bon niveau d’instruction et est Maréchal-Ferrant de profession. Il est incorporé au 10e bataillon de chasseurs à pied à Grenoble à compter du 15 novembre 1903, arrivé au Corps le dit jour, sous le numéro matricule 2366 et Chasseur de 2e Classe – il sera renvoyé en congé le 6 novembre 1906 et aura donc fait 3 années de service. Passé dans la Réserve le 1er Octobre 1906.
Rappelé à l’activité par la suite de la Mobilisation générale du 2 août 1914, arrivé le 12 août 1914, il décèdera le 9 février 1915 à WESSERLING (Alsace). Il fait la campagne contre l’Allemagne du 12 août 1914 au 8 février1915. Un secours de 150 francs sera payé le 25 mars 1915 par le 28e Bataillon de Chasseurs à pied à Mme Veuve MESTRE (avis collectif du 28e Bataillon de Chasseurs du 14 mai 1915).
Pierre MESTRE a habité tour à tour au PUY, Place du Breuil chez monsieur PRIVAS voyageur de commerces. Puis chez monsieur GAGET à LYON (tout au moins sa veuve) – (fiche matricule n° 1294 Mestre Pierre A.D. LE PUY Recensement militaire page 389/669) – Sa fiche matricule militaire ne comporte aucun élément quant à son « passage par les armes » . Il n’est nullement indiqué qu’il fut exécuté, uniquement y figure : la date de sa mort à WESSERLING.
Que doit-on en déduire ?
Un soldat « fusillé pour l’exemple » désigne, dans le langage courant, un militaire exécuté après décision d’une juridiction militaire intervenant non seulement dans un cadre légal pour un délit précis mais aussi dans un souci d’exemplarité visant à maintenir les troupes en parfait état d’obéissance.
Cette pratique est à distinguer des condamnations à mort après passage en cour martiale, avec audition de témoins, conformément au Code de justice militaire, parfois utilisée par les états-majors de différents pays impliqués dans le conflit. Elle ne saurait non plus être confondue avec celle de la décimation (dans la Rome antique, pratique consistant à tuer un soldat sur dix de façon aléatoire) qui a existé ponctuellement à Rome et dans quelques armées modernes même si, dans plusieurs affaires d’abus d’autorité, et par certains aspects, elle a pu laisser apparaître des points communs. L’armée française a comptabilisé, en octobre 2014, un total de 1008 fusillés dans ses rangs dont 82 sans jugement.
Sur les 82 fusillés sans jugement, 27 furent fusillés pour désobéissance militaire documentée par les archives militaires, 55 exécutés et tués.
- Tribunal militaire dans une église…
En 1915 sur 481 condamnations, 296 hommes furent exécutés, dont 31 condamnés en février pour 22 exécutés ce même mois…
Il y avait plusieurs sortes de passages par les armes, les principales furent :
- Mutilation volontaire
- Désertion, abandon de poste
- Espionnage
- Passage à l’ennemi
Dans quelle catégorie peut-on classer le soldat MESTRE ?
Qu’avait-il fait de si grave qu’ayant combattu jusqu’au 8 février 1915, il soit exécuté dès le lendemain ?
(Autant de questions qui restaient sans réponse et qui montraient bien toute l’ambiguïté de ces exécutions sommaires trop longtemps restées dans l’ombre. Quelques fusillés célèbres seront réhabilités par les Présidents de la République assez tardivement, mais combien d’autres resteront à tout jamais dans l’oubli. POURQUOI WESSERLING fut-elle témoin de ces « passages par les armes » abominables ?)
« Il y a des passés qui, décidément, ne passent pas. Près d’un siècle après la Grande Guerre, Marie-Thérèse T., veut comprendre pourquoi le sort a frappé aussi injustement son grand-père. Début février 1915, Pierre Mestre est enrôlé dans un bataillon de chasseurs à pied qui manoeuvre dans les Vosges. Avec deux de ses camarades, il est envoyé sur un coteau pour dérouler des barbelés quand les Allemands le prennent pour cible. Il court se mettre à l’abri, attend une accalmie et rejoint son régiment, avec ses rouleaux de fil de fer sur le dos. Il a perdu la trace du reste du groupe. Sur le chemin, il croise deux officiers qui, le voyant seul, le soupçonnent d’être un déserteur. Pierre Mestre est traîné devant une cour martiale et fusillé sans attendre devant la troupe, réunie pour l’occasion. On fait jouer la fanfare devant sa dépouille ».
Ceci reste une honte de l’armée Française qui, sans jugement, sur une simple décision arbitraire de deux officiers, eux-mêmes seuls à ce moment-là sur le terrain, va condamner ce brave poilu à mort sans aucun jugement !
La réhabilitation ?
Le gouvernement hésite encore. "C’est le dernier sujet clivant de la Première Guerre mondiale, souligne l’historien Jean-Yves Le Naour, auteur de « Fusillés ».
Enquête sur les crimes de la justice militaire (Larousse : « Si ce débat est déminé à temps, les commémorations pour le centenaire pourront être consensuelles. Et le pays se retrouvera autour de la tombe commune." Le ministre délégué aux Anciens Combattants, Kader Arif, a commandé à l’universitaire Antoine Prost un rapport, qui sera rendu en septembre. "C’est un sujet très sensible, sur lequel il faut être prudent", souligne le ministre. Quand il était élu local, François Hollande s’était pourtant mouillé. Le 27 mars 2009, le conseil général de la Corrèze, qu’il préside alors, vote une délibération pour que les fusillés soient considérés comme des "soldats à part entière de la Grande Guerre".
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Une enquête d’Hervé de CHALENDAR, journaliste à l’Alsace nous en dit également plus sur les fusillés de FELLERING-WESSERLING ; voici donc un extrait de cet article daté du 12 février 2012, qu’Hervé de Chalendar avait consacré dans les pages de l’ALSACE. C’est un dossier consacré aux fusillés enterrés à Husseren-Wesserling. Il y racontait notamment la confusion qui avait fait enterrer, sous le nom de Maistre, le soldat Pierre Mestre. Grâce à l’ouvrage sur les fusillés de cette guerre, on connaît désormais mieux le sort des hommes qui reposent dans le silence de la vallée de Thann. Pierre Mestre, originaire de la Haute-Loire, était soldat au 28e bataillon de chasseurs alpins (BCA). Il a combattu dans tous les points chauds des Vosges dont le Hartmannzwillerkopf. Début février 1915, alors qu’il est chargé de convoyer du matériel avec d’autres soldats, il est pris sous le feu ennemi. Devant ses juges, il reconnaît sa « faute » et un « moment d’affolement ».
Il est fusillé le 8 février et enterré à Husseren-Wesserling, comme Joseph Perret, de Plancher-Bas. Selon l’enquête d’Hervé de Chalendar, Pierre Mestre a été confondu avec Pierre Maître, mort, lui, en 1916. Celui-ci n’a pas été fusillé. Soldat, lui aussi, au 28e BCA, il a été gravement blessé par un obus. Il est mort des suites de cette blessure. Autre élément qui pèse lourd dans cette histoire de confusion de sépulture, Pierre Maître a été enterré en 1922, dans son village natal du Puy-de-Dôme. En lisière d’un bois Les soldats : Fernand Humbert, de Lyon Joannès Poizat, de Saint-Genus-Laval (Rhône) et l’adjudant Casanova de Paris furent fusillés le même jour, au lieu-dit Heidenfeld, en lisière d’un bois proche de Husseren-Wesserling, puis enterrés dans la commune haut-rhinoise.
Le corps du sous-officier a été ensuite transféré à Colmar. Les autres suppliciés inhumés à Husseren-Wesserling sont les soldats Lamidé, Martineau, Morelli, Petit et Prieur. Alexandre Martineau, soldat au 68e bataillon de chasseurs à pied, a été passé par les armes le 3 août 1915, en compagnie de Clotaire Lamidé, du 37e régiment d’artillerie. Eugène Morelli, lui, était originaire de Nice et combattait au sein du 7e bataillon de chasseurs à pied. Condamné à mort pour des raisons inconnues, aujourd’hui, il a été fusillé également à Wesserling, le 19 juillet 1915. Quant à Célestin Petit, de Pontigny, dans l’Yonne, il a connu le même sort. Soldat au 37e régiment d’artillerie, il a été fusillé le 1er septembre 1915. Enfin, Victor Prieur, né à Paris et militaire au 13e bataillon de chasseur à pied, a été fusillé le 25 avril 1915.
- Tombes des fusillés de WESSERLING
Sources principales :
- Wikipédia = Les fusillés de la grande guerre
- Pierre MESTRE : Archives départementales de Haute-Loire (fiche matricule militaire) - Mémoire des Hommes (fiche de décès de P. MESTRE)
- Article à sa mémoire par sa petite fille Mme M.T. T. (site sur les Fusillés de la grande guerre)
- Hervé de CHALENDAR : l’ALSACE article sur les Fusillés d’HUSSEREN-WESSERLING 2012
- G.MÉNY Musée Serret ST AMARIN (carnet de l’abbé MOYSSE)
ICONOGRAPHIES : Collection personnelle, photo familiale Mme M.T. T. - Ch’timiste
- L’Alsace.
En savoir plus sur : L’express.
Le 28e Bataillon de Chasseurs à Pieds
Guerre 14/18 (Site Ch’timiste - photo des Régiments)
Monsieur Gilbert MÉNY Conservateur du Musée SERRET de ST AMARIN, m’a également adressé et je l’en remercie bien sincèrement, copie du carnet tenu par l’Abbé MOYSSE alors chargé d’âmes de la paroisse d’HUSSEREN-WESSERLING où il détaille cette journée du 9 février 1915 lorsqu’on lui a demandé d’assister le pauvre Pierre MESTRE dans ses derniers instants. Il écrit ceci :
« Vers minuit le lieutenant qui a sa chambre chez nous est venu frapper à ma porte pour m’annoncer la triste nouvelle que le matin à 7 heures aurait lieu une exécution capitale, en me priant de vouloir assister le condamné. Il s’agissait d’un soldat, condamné à mort et devant être fusillé le matin. Sur ma remarque, qu’un soldat brancardier dormait dans la maison, qui pourrait faire cette triste besogne, il est allé lui parler de l’affaire. Il a accepté la tâche. Le matin, dès 6 heures, la maison était en éveil. Le soldat prêtre est allé trouver le malheureux condamné. Il l’a trouvé dans d’excellents sentiments religieux et l’a accompagné au lieu d’exécution, sur la prairie derrière le cimetière, disant, après lui avoir donné l’absolution, le chapelet avec lui dans le fourgon… Le condamné lui a exprimé ce sentiment : il est triste de mourir ainsi si jeune, sans recevoir la sainte communion. Il a été heureux d’apprendre que c’était un prêtre qui l’accompagnerait. « L’exécution a eu lieu à 7 heures précises. Le prêtre était présent. Le corps a été porté au cimetière où le tombeau avait été préparé en attendant. Il y repose en attendant la résurrection bienheureuse. Le soldat avait été condamné à mort par le Conseil de Guerre pour acte de Félonie devant l’ennemi… Je ne connais pas d’autres détails, il s’appelait Pierre MESTRE du 28e Bataillon de Chasseurs à pied, natif de la Haute-Loire, marié, un enfant, sa mère vivant encore et ayant une soeur religieuse. Il me semble qu’il est mort dans les meilleurs sentiments de religion. Requiem in pace ! »
Et de rajouter également le lendemain : « Ce matin, d’assez bonne heure, on a encore fusillé un malheureux soldat, condamné par le Conseil de Guerre. Il a été enterré en notre cimetière. C’est le CINQUIEME qui y repose attendant la résurrection. »