Né à La Flèche, localité du diocèse d’Angers (France), Charles Orillon dit Champagne reçoit le baptême à la paroisse Saint-Thomas, le 29 avril 1666 [1]. Son père, Julien Orillon, est également baptisé à la paroisse de Saint-Thomas, ville de La Flèche le 20 avril 1633 [2]. Sa mère était Anne Roger. Ses parents se sont mariés à La Flèche le 14 septembre 1659 [3]. Sept ans plus tard, Charles Orillon pousse son premier cri [4]. Au tournant de sa vie, Charles Orillon mettra le cap sur l’Acadie, espérant une vie meilleure. Illusion sans doute, il en restera une descendance qui prendra racine au Québec, en Nouvelle-Écosse, en Louisiane et en Haïti.
D’où lui vient ce surnom « dit Champagne » ? Ce qualificatif pourrait indiquer l’origine géographique de Charles Orillon. La ville de La Flèche avoisine la Champagne Manzelle : onze villages comportent la dénomination « en Champagne » [5]. Son acte de baptême mentionne uniquement le patronyme Orillon. Dans les rolles de montre (état des paiements des garnisons), Charles Orillon figure avec le sobriquet dit Champagne. Tout semble indiquer qu’il aurait pris ce surnom lors de son recrutement dans la Compagnie des Falaises. Gérée par le capitaine Louis-François De Gannes, sieur de Falaise, cette garnison relevait des Compagnies Franches de la Marine.
- La Flèche, vue sur le Loir. Crédit Photo Ph. Léon, 2003
En route pour l’Aventure : l’Acadie
1) Soldat Maçon aux forts situés sur la rivière Saint-Jean
La date de départ de Charles Orillon de même que les motifs qui l’ont conduit à mettre le cap sur l’Acadie demeurent inconnus. On le retrouve en 1697 au fort Naxouat, (situé aujourd’hui à Fredericton, Nouveau-Brunswick) où il perçoit un salaire de 20 livres et 20 sols [6] au titre de soldat maçon. Le fort, aménagé au point de jonction des rivières Saint-Jean et Naxouat, se compose d’une fortification [7] munie de trois bâtisses, du logis du commandant, de la caserne des soldats, du corps des gardes et d’un four. L’ouvrage ayant subi l’attaque des troupes anglaises en 1696, le sieur de Villebon, gouverneur de l’Acadie, lance des travaux de restauration. Il ne reste plus aucune trace des fortifications. Le visiteur peut toutefois observer de loin le lieu d’implantation depuis le pont (voir photographie ci-après).
- Emplacement du fort de Naxouat à la jonction des rivières Saint-Jean et Naxouat.
En 1697, le gouvernement de Versailles, selon les recommandations de l’ingénieur Jacques l’Hermite, approuve la construction d’un autre fort à l’embouchure de la rivière Saint-Jean. Villebon et l’Hermite, avec l’aide de quelques personnes en dressent les plans. Villebon abandonne le fort Naxouat en 1698 pour s’installer au fort de la rivière Saint-Jean [8]. Charles Orillon quitte également Naxouat pour ce nouveau fort. Nous avons retrouvé la trace de son salaire pour la période d’août 1698 à janvier 1699. Ses travaux consistaient à monter la charpente, creuser les caves, transporter la terre, ériger des bastions, construire une poudrière. Ainsi, Charles Orillon ne faisait pas uniquement de la maçonnerie mais prêtait main-forte pour exécuter d’autres travaux.
Le fort Naxouat sera démoli en 1701 sur l’ordre du Roi. A la mort de Villebon, son successeur, le sieur Jacques François de Brouillan [9] est nommé Gouverneur de l’Acadie en juin de la même année. Il est envoyé à Port-Royal (situé à Annapolis Royal, Nouvelle-Ecosse) pour y reconstruire un fort. Quant à celui de la rivière Saint-Jean, il sera abandonné par les Français après l’avoir démoli en partie en 1755.
2) Soldat Maçon au fort de Port-Royal
Charles Orillon fait partie des recrues pour rénover le fort de Port-Royal en 1701. Un seul document de 1704 indique son salaire perçu au titre de maçon dans la Compagnie des Falaises :
« Pour ceux du nommé Charles Orillon dit Champagne maçon entretenu à 30 livres par mois et ration et demy par jour pour les falaises de la dite année : 360 » [10]. Il est ajouté en marge : « concierge en habitation de monsieur de Brouillan ».
- Fort de Port-Royal. Crédit photo : Ph. Léon, 2003
La vie de garnison n’est pas de tout repos. Les journées sont longues en été, plus courtes en hiver. Les travaux exécutés à l’extérieur sont difficiles en raison du climat. La neige, le brouillard, la pluie, le vent et le froid rendent encore plus pénibles le travail. Aussi, la pause pour les repas est-elle la bienvenue. Chacun reçoit sa ration :
- du porc salé : une demie livre par personne,
- du pain ou biscuit (pain cuit deux fois),
- des pois secs : une demie livre.
En période de disette les rations de porc diminuent et sont remplacées par de la viande de cheval ou de la morue salée.
Sa vie à Port-Royal
Charles Orillon habite proche du fort de Port-Royal, sur les hautes terres, selon les divers recensements et la carte d’Annapolis Royal (Port-Royal) [11].
Il a pour voisins Jean Rodrigue, pilote et Pierre Pouget dit Lapierre, chaudronnier. Pour circuler dans Port-Royal, les habitants coupent à travers les champs et les futaies. Des troncs d’arbres ou des bois érigés en barrières délimitent les habitations. Point n’en faut pour générer des litiges de voisinage. Citons pour mémoire celui du 23 février 1735 qui oppose Charles Orillon, Jean de Bastarache et Baptiste Richard à Bernard Godet au sujet du mauvais entretien d’une clôture commune. Godet réclame 40 ans de dédommagement. Les bêtes à cornes de ses voisins incriminés passent avec désinvolture sur son terrain et ravagent ses récoltes [12].
Charles Orillon fait la connaissance d’une jeune fille de 18 ans, Marie Anne Bastarache, qu’il prend pour épouse le 8 janvier 1704 à Port-Royal. Dans cette société rurale, l’homme de métier représente un parti enviable. Posséder des connaissances techniques met à l’abri du besoin. L’artisan, tout en exerçant son métier, cultive quelques lopins de terre. Il entretient une ou deux chèvres, quelques moutons, un porc, des volailles pour assurer sa subsistance. Le potager lui procure des fruits et des légumes qui seront conservés au cours de l’hiver.
Les témoins à son mariage sont :
- Germain Bourgeois, marchand de Port-Royal. Son lien avec Charles Orillon remonte à Naxouat où Germain Bourgeois approvisionnait les forts de Naxouat et de Port-Royal,
- et un certain Duchambon : s’agit-il de Louis Dupont, sieur Duchambon ? Il arriva en Acadie en 1702 avec ses deux frères Michel et François, en tant qu’enseigne dans une compagnie. En 1709, il épousa Jeanne Mius d’Entremont de Pobomcoup à Port-Royal [13].
La famille Orillon compte 9 enfants, tous nés à Port Royal :
- 1. Jean Baptiste, né en 1704.
- 2. Marie, née en 1706.
- 3. Joseph, né en 1708 (jumeau de Jean).
- 4. Jean, né en 1708 (jumeau de Joseph).
- 5. Anne, née en 1710.
- 6. Charles, né en 1713 [14].
- 7. Pierre, né en 1715.
- 8. Joseph, né en 1718.
- 9. Jean Baptiste, né en 1722.
Trois ans après son mariage, le patrimoine de Charles Orillon dit Champagne se résume à :
« Un quart d’arpent en valeur, 2 bêtes à cornes, 2 bêtes à laine, 1 cochon, 1 fusil » [15].
Les habitants de Port-Royal ont de petites terres de 4 à 8 arpents. Ils pratiquent un élevage composé de bêtes à cornes, de moutons, cochons et volailles... [16]. Faut-il en déduire que Charles était démuni ? Maçon, l’agriculture constitue pour Charles Orillon une nécessité pour se nourrir.
Charles Orillon a connu quatre batailles pour défendre Port-Royal sur une période de six ans. A-t-il participé à l’une d’entre elles ou à la plupart ? On peut le supposer car pour livrer bataille, tous étaient mobilisés, aussi bien les anciens soldats que la population, jeunes et vieillards compris. A la suite du traité d’Utrecht (1713) [17], plusieurs Acadiens quitteront Port-Royal pour s’établir à l’Ile Royale, cette contrée demeurant sous l’autorité française. Le beau-père de Charles, Jean de Bastarache, s’embarque à bord de « La Marie Joseph » pour l’Ile Royale en 1714. Beaucoup de familles reviendront toutefois à Port-Royal suite aux difficultés rencontrées. L’île sombre dans le brouillard plusieurs mois par année et le sol pauvre ne donne pas de bonnes récoltes.
Charles Orillon décide de rester à Port-Royal avec sa famille. La ville compte alors 1 269 habitants [18]. Charles Orillon passe le reste de son existence sous le régime anglais. Sa vie d’adulte et sa vieillesse sont marquées par les multiples batailles qui le rattachent à l’histoire de la Nouvelle-France.
Au crépuscule
Son épouse, Marie Anne Bastarache décède en 1726 à l’âge de 41 ans. Charles reste veuf. Il s’éteint à Port-Royal le 2 décembre 1742. Charles Orillon fut probablement inhumé au cimetière de Port-Royal dans « l’allée des Acadiens ». Il s’agit d’une petite bande de terre située au milieu des sépultures anglaises. Les croix de bois ont disparu depuis.
- Cimetière d’Annapolis Royal (Port Royal), crédit photo Ph. Léon, 2003
Charles Orillon dit Champagne a vécu l’aventure de sa vie en quittant son pays, la France, à la conquête de nouveaux espoirs en Acadie.