Mon grand-père maternel s’appelait Emile PLUCHOT né en 1882 à La Clayette (71). Il était le deuxième d’une famille de cinq enfants, quatre garçons et une fille.
Leur père, facteur rural, étant mort en 1899, c’est son frère aîné qui est devenu chef de famille à pas encore 18 ans.
Son certificat d’études obtenu, il commença son apprentissage aux usines Schneider du Creusot avant de faire son service militaire à Langres (52) et à Troyes (10) dans des bataillons de chasseurs à pied et obtint le grade de sergent.
Il reprit son métier de vérificateur à l’usine, chef d’équipe il devait être nommé contremaître quand la guerre fut déclarée. Il s’était marié à Mesvres 71 avec ma grand-mère Aline HAINAUT en 1907, ils habitèrent à Marmagne à quelques kilomètres. Ma mère est née en 1908 au Creusot.
A la déclaration de guerre en août 1914, il rejoignit son corps à Corlée près de Langres. En octobre son bataillon se retrouva sur le front de l’Yser et il fut blessé le 9 novembre 1914, soigné à l’hôpital militaire anglais de Malo-les-Bains près de Dunkerque.
Après une amélioration de son état il mourut le 22 décembre (1914) des suites de ses blessures, de septicémie semble-t-il d’après les témoins, son dossier médical n’ayant jamais été communiqué.
Mort pour la France il a été décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de guerre avec étoile. Auparavant, au mois d’août un de ses frères Léon avait été porté disparu à Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace.
J’ai joint à cet article les dernières lettres de mon grand-père écrites au crayon, je pense qu’utiliser un porte-plume et un encrier ne devait pas être pratique pour des militaires en mouvement. J’ai respecté les tournures et fautes d’origine.
Malo les Bains 16 9bre (novembre) 1914
Ma chère femme,
Je pense que tu as reçu ma première lettre ou je t’écris que j’étais blessé depuis le 9 novembre au bras droit et a la cuisse gauche, cela commence a aller un peu mieux. Je pense bien que j’en ai pour la durée de cette maudite guerre comme je n’ai plus guère d’argent je t’avais dit de m’envoyer un mandat mandat télégraphique, cela va très vite tu te renseigneras a la poste une vingtaine de francs. Avec cela on peut s’offrir quelques douceurs, de la limonade, du vin.
Je ne pense pas rester longtemps ici car aussi que l’on est un peu rétabli on nous envoie plus loin pour faire de la place aux plus blessés.
Ma chère femme je termine, car mon bras fatigue je vous embrasse bien fort toi et Germaine.
Pluchot Emile
Sergent 31° Batn Chrs à Pied
Hopital Anglais Bellevue Malo les Bains
Par Dunkerque Nord
- carte postale de l’hôtel Bellevue qui sera transformé en hôpital militaire anglais
Carte Postale Service Militaire Corps expéditionnaire
A Madame Pluchot
Marmagne
Saone et Loire
Malo 20 novembre 1914
Ma chère femme
C’est la 4è fois que je t’écris depuis que je suis blessé n’aurais-tu pas reçu mes lettres, je vais toujours de mieux en mieux mais ce sera long, je suis très bien soigné.
Je vous embrasse très fort toutes les deux, Pluchot Emile
Malo les Bains 2 Xbre (décembre) 1914
Ma chère femme
Je suis toujours très heureux de recevoir de tes nouvelles cela me fait beaucoup plaisir et moi cela revient petit à petit, je pense sans cesse au jour ou je serai de retour au pays, quel bonheur pour nous tous. Chère femme hier j’ai été très surpris hier on m’a fait voir une dépêche ou personne n’a rien compris ni moi non plus. Il y avait femme Pluchot demande nouvelles, Marmande Lot et Garonne adresse incomplète. Est-ce toi qui a fait télégraphier, je me demande pourquoi, tu est toujours si bizarre tu ne crois donc pas je que je t’écris, enfin dans quelques temps on me rapprochera, tu seras plus tranquilisée, écris moi le plus souvent possible, je reçois très bien tes lettres et tranquilise toi un peu je t’en prie. Embrasse bien fort mon petit quenet. Je t’embrasse tendrement, bonjour à toute la famille ainsi qu’aux voisins bien des choses de ma part .Je vous embrasse tendrement. Pluchot Emile
Ma grand-mère habitait à Marmagne (71) et la poste a confondu avec Marmande d’où la confusion.
Pour expliquer son anxiété, elle recevait les lettres avec beaucoup de retard, elle était enceinte, seule avec une fillette qui venait juste d’avoir 6 ans, ma mère Germaine que son père appelait « mon quenet » origine inconnue...
Ma grand-mère fut accouchée en février 1915 par un vieux médecin militaire alcoolique qui braillait paraît-il « qui je tue ? la mère ou le gosse ? » le gosse y resta, la mère demeura esquintée.
La dernière lettre
Hors-texte en travers en haut :
Mon cher quenet,
Quand tu viendras me chercher à la gare tu te mettras bien belle
Malo les Bains 15 (décembre) 1914
- Lettre du 15 décembre 1914
Je viens de recevoir à l’instant ta lettre datée du 12 ou tu me répète que tu ne reçois toujours point de mes nouvelles, ce qui m’étonne beaucoup, car chaque fois que je reçois de tes nouvelles, le jour même je t’écris.
Seulement voila mes lettres ne t’arrivent pas aussi régulièrement que les tiennes me parviennent d’ailleurs cela ne te devrait pas surprendre car depuis le début cela a toujours été comme cela.
Tu me dit que ton père à été chez nous c’est dommage que je n’y m’y trouve pas, on prendrait une bonne prise et on boirait une bonne vieille goutte s’il y en a encore dans le litre avec un peu de café neuf.
Ma chère femme tu me demande conseil s’il faut faire comme les autres années pour des jambons et du lard je penses que si tu peux et tu me dis que ce n’est pas trop cher, le meilleur est encore de se munir au bon moment car moi je ne trouve rien de meilleur le dimanche qu’une petite soupe au jambon avec un petit morceau de bœuf.
Ma chère femme plus pas grand-chose à te raconter pour le moment, je me remonte petit à petit, mais ils parlent de nous garder encore un moment car à partir de maintenant la mer est beaucoup plus mauvaise et il va commencer à ne pas faire chaud voyager soit en bateau soit en chemin de fer.
Enfin malgré que ce soit loin, je préfère rester encore un moment ici, car partout ailleurs nous ne pourrions avoir les soins que nous avons ici, nous sommes très peu de blessés et beaucoup de personnel pour nous soigner.
J’ai reçu une lettre du Marcel hier, je l’ai égarée et je ne peux pas me rappeler de son adresse impossible de lui faire réponse, veux tu me la donner le plus tôt possible.
Je termine en vous embrassant bien fort toutes les deux.
Pluchot E.
« Le » Marcel (tournure creusotine) était un frère de ma grand-mère, gazé en 1915 ou 16 il continua d’être militaire jusqu’à la fin de la guerre mais affecté spécial aux usines du Creusot où il devint contremaître et y resta jusqu’à sa retraite.
Après cette dernière lettre, nous avons le récit de la suite par deux personnes, le sergent aumonier CARON qui l’assista jusqu’au dernier moment et un Monsieur DETRAINE, ami de monsieur James H. CARMICHAËL d’Ailly 60 chez qui la sœur d’Emile, Louise, était nourrice.
Ainsi elle avait des nouvelles de son frère qu’elle retransmettait à sa belle-sœur puisque j’ai retrouvé les lettres de ce monsieur dans les papiers de ma grand-mère.
Coïncidence bizarre : le sergent Caron et Mr Carmichaël avaient fait leurs études ensemble à l’Ecole Supérieure de Commerce de Lille.
Donc le 15 décembre, mon grand-père pensait passer Noël au Creusot avec sa famille mais le 16 la fièvre le reprit, son état empira, l’aumonier lui administra l’extrême-onction, un mieux se fit sentir mais le 20 il sombra dans le coma et mourut le 22 décembre.
Il fut enterré au cimetière militaire de Malo-les-Bains et par manque de place on mit deux autres soldats, l’un identifié, l’autre inconnu, ce qui fait que ma grand-mère ne demanda jamais le transfert de son cercueil de peur que l’on se trompe de cercueil.
- La tombe d’Emile Pluchot
Le cimetière n’a pas été touché lors des combats de la 1re ni de la 2e guerre mondiale, il est entretenu par la municipalité et la tombe est toujours intacte.