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Les dernières heures d’un condamné à mort au Québec

Le jeudi 1er mars 2007, par Raymond Ouimet

De 1867 à 1971, année de l’abolition officielle de la peine de mort au Canada, 710 personnes ont été exécutées dont 13 femmes. Le présent article raconte le déroulement d’une exécution au Québec en 1902.

Stanislas Lacroix s’apprête à vivre la dernière nuit de son agonie dans sa cellule de la prison de l’ancienne ville de Hull (aujorud’hui Gatineau), lui qui a été condamné à la peine capitale pour l’assassinat de sa femme et d’un vieillard, le 24 août 1900 à Montebello (70 kilomètres à l’est de Gatineau). Il reçoit beaucoup de visiteurs, dont son fils qu’il étreint et embrasse. L’enfant veille avec son père qu’il ne veut pas quitter et s’endort sur ses genoux en milieu de soirée. On le porte alors chez le gouverneur de la prison où il partagera pendant toute la nuit la chambre de l’un des fils du fonctionnaire judiciaire.

Lacroix passe le reste la nuit entouré de trois de ses frères, d’une de ses sœurs et d’une belle-sœur qui versent forces larmes, de même que de deux religieuses, deux amis et l’épouse du directeur de la prison. À côté de la cellule, une pièce renferme plusieurs journalistes qui épient chacun des gestes du condamné. Le groupe de parents récitent le chapelet, en compagnie de sœur Duhamel qui a enseigné au prisonnier dans son enfance, autour de Lacroix qui est prosterné devant un autel qui a été monté juste devant sa cellule. Deux étages plus haut, le bourreau Radclive, mal en point, dort dans une cellule et dégage une forte odeur de teinture d’iode. Quelques heures plus tôt, dans un hôtel de Hull où il se soûlait la gueule, il a reçu une raclée après avoir apparemment déclaré : « Je viens pendre un [Canadien] Français, j’espère que ça ne sera pas le dernier ! »

Peu avant l’aube, Lacroix fait sa toilette. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il s’habille de vêtements noirs puis marche dans le corridor attenant à sa cellule. Il est faible : au cours des 28 derniers jours, il n’a pris que cinq repas complets ! Un barbier vient faire sa toilette. Le père Provost, qui porte une chasuble blanche garnie de dorures, vient célébrer la messe - pour ne pas dire des funérailles par anticipation - qui est servie par le fils du directeur de la prison et, chose à peine croyable, par le propre fils de Lacroix ! Une vingtaine de personnes, pour la plupart des membres de la famille, assistent à la cérémonie liturgique. Sur l’autel, quelques fleurs et des cierges. Stanislas Lacroix communie et, après la messe, bénit son fils à qui il demande de bien travailler à l’école et de ne jamais boire ou goûter à l’alcool. Il s’adresse ensuite aux autres membres de sa famille et les prie de faire le serment de ne plus boire de boissons alcooliques, ce qu’ils promettent. Ensuite il demande à son frère, David, de s’occuper de son fils et si possible d’en faire un prêtre ! La famille en pleurs, après s’être obligée à faire inhumer leur frère à Montebello, s’éloigne alors du condamné déjà engagé dans l’éternité. Lacroix est prêt, prêt à mourir, à accéder au Ciel que ses confesseurs lui ont promis.

Un frisson parcourt les spectateurs

7 heures 50, le vendredi 21 mars 1902. Le bourreau sort de la prison du Palais de justice de Hull. Ses moindres gestes sont épiés par de nombreux témoins. Il est nerveux ; il a en tête le dégoûtant et sauvage comportements des témoins d’une précédente exécution.

Dans la cour de la prison attendent plus d’une centaine de personnes, pour la plupart des notables - conseillers municipaux, journalistes, professionnels, amis du parti politique au pouvoir et du directeur de la prison, etc., ayant reçu un laissez-passer à l’exécution de Stanislas Lacroix. À partir des 24 fenêtres de la prison qui donnent sur la cour, de nombreux prisonniers fixent l’échafaud, peint en rouge sang , d’un regard craintif et parfois vindicatif. Derrière les grandes fenêtres des quatre étages du Palais de justice, qui donnent elles aussi sur l’emplacement du châtiment, plusieurs dizaines de personnes attendent l’exécution.

À l’extérieur de la prison, devant le Palais de justice, sont massés des milliers de personnes exclues du sinistre spectacle, de l’exemple que la peine est supposée procurer aux criminels potentiels. Une garde de plus d’une vingtaine de policiers maintient la foule à une distance respectable de l’entrée de l’immeuble. Grimpées dans les arbres, accrochées poteaux d’électricité et dressées sur le toit d’immeubles, des grappes humaines surplombent un brouhaha de commentaires et espèrent voir par dessus les murs de la prison, la mise à mort du condamné pour satisfaire une curiosité malsaine. À Ottawa, de l’autre côté de la rivière des Outaouais, à 1 000 mètres de distance, de nombreux curieux ont envahi la colline parlementaire et, au moyen de lunettes d’approche, observent le déroulement de l’exécution à la recherche d’une bouffée de terreur et de sensualité mêlées quand la trappe s’ouvrira.

L’exécuteur monte sur l’échafaud, ajuste le câble de la potence et retourne ensuite dans la prison pour y chercher le condamné. Lacroix mourra-t-il en brave se demandent des observateurs ?

  • Je suis désolé de vous voir en cette situation, dit Radclive au condamné en lui serrant la main.
  • Que vous soyez désolé ou pas, c’est bien. Je n’ai rien contre vous ; vous devez faire votre travail, lui répond Lacroix.

À huit heures exactement, entrent dans la cour de la prison le shérif, en robe officielle, l’épée au côté et la tête coiffée d’un bicorne d’un autre temps, le père Provost en paletot, le père Forget, en surplis, avec à ses côtés le condamné à mort, et enfin le bourreau, tête nue. Le cortège monte les seize marches de l’échafaud lentement, avec solennité même. Les prêtres prient avec Lacroix qui se place sur la trappe du gibet. Le bourreau lui lie les bras et les jambes avec des courroies, couvre sa tête d’un bonnet noir et ajuste le nœud coulant du câble qui lui enserre le cou. La peine capitale a alors la réputation d’être devenue plus « humaine ». L’adoption générale de la trappe comme procédé d’exécution, à partir du début de 1783, en Angleterre, signifiait que l’accusé avait au moins une chance raisonnable de mort immédiate .

Le condamné n’a plus que quelques minutes à vivre. Une cloche de l’église Notre-Dame-de-Grâce sonne le glas. Dans la rue, des hommes se découvrent en signe de respect pour celui qui va mourir. L’église paroissiale est remplie de fidèles en prière ; on y récite les litanies des morts. Dans la cour du Palais de justice, chacun retient son souffle. Au moment où le père Provost, qui récite le Notre-Père avec le condamné, dit : « Délivrez-nous du mal », le shérif lève son épée et le bourreau actionne la trappe de l’Au-delà. Un frisson parcourt l’assistance et, de la rue, où la foule a les yeux rivés sur les poutres du gibet qui excèdent les murs de la prison, s’élève un murmure de sympathie. Le corps de Lacroix tombe lourdement dans le trou béant pratiqué dans plancher de l’échafaud. Les médecins se précipitent alors en avant pour se rapprocher du supplicié et le voir mourir dans d’effrayants soubresauts . D’autres détournent la tête. Le docteur Paquette prend le pouls du pendu : l’affreuse agonie du supplicié, qui meurt étouffé, dure 13 ¼ minutes !

Dix-huit minutes après l’exécution, Radclive coupe le câble et des gardiens mettent le corps de Lacroix en bière. Taillés en pièces, le faux col du supplicié et le câble qui a servi à la pendaison sont partagés entre les témoins de l’exécution comme des souvenirs .

Les autorités hissent un drapeau noir au-dessus de la prison ; la foule se disperse silencieusement. À 18 heures, le corps est rendu à la famille qui le fait transporter par train à Montebello. À la gare du petit village, la moitié de la population accueille la dépouille mortelle de Lacroix qu’elle escorte jusqu’à la maison de ses parents où le corps est exposé avant d’être inhumé dans le cimetière local.

Sources :

  • JAMES, P. D. et T. A. CRITCHLEY, Les meurtres de la Tamise - une enquête historico-policière, Paris, éd. Arthème Fayard, 1994.
    ROGER, Charles, Récit d’un horrible crime, le double meurtre de Montebello, fascicule conservé dans le fonds Joseph Hébert, 7HP63-11-5, BANQO.
  • Bibliothèque et Archives nationales du Canada, RG 13, vol. 1441 (1, 2, 3), dossier 333A.
  • Le Temps, Ottawa, du 24 août 1901 au 23 mars 1902.
  • The Evening Ottawa Citizen (Ottawa) 21 et 22 mars 1902.
  • The Evening Ottawa Journal (Ottawa) 21 mars 1902.

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5 Messages

  • Les dernières heures d’un condamné à mort au Québec 10 octobre 2014 16:46, par Daniel Loiselle

    La peine de mort a été abolie au Canada en 1976, pas en 1971.

    Répondre à ce message

  • Bonjour, je suis présentement en écriture d’une thèse assez complète sur l’histoire de la peine de mort canadienne, mais surtout québecoise. Ainsi, est-ce-que je peux utiliser quelques lignes de votre texte en citant l’adresse Web de celui-ci dans ma thèse ??

    Par la même occasion, j’en profite pour vous dire un gros Bravo pour celui-ci.

    En attendant votre réponse.
    Bonne fin de Journée.
    Mathieu

    Répondre à ce message

  • Les dernières heures d’un condamné à mort au Québec 2 février 2009 16:36, par stan lcx

    Je suis tombé par hasard sur cet article en tapant mon nom et prenom sur google ,je me nomme Stanislas Lacroix et mon petit frere se nomme David curieux parfois les coÏncidences ...ou pas

    Répondre à ce message

    • Les dernières heures d’un condamné à mort au Québec 14 novembre 2009 21:26, par Michel Taillefer

      Bonjour,
      Je suis Michel Taillefer c’est mon grand=père Éphrem Taillefer qui était procureur de Stanislas Lacroix. L’histoire transmise était qu’il était boulversé de la situation puisque Lacroix était un ami d’enfance lui-même originaire de Montebello.

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      • Les dernières heures d’un condamné à mort au Québec 23 mars 2011 03:40, par Francine Pelletier

        Bonsoir,

        Présentement je travaille à l’arbre généalogique des Thomas Dit Tranchemontagne. Et c’est Hipolithe Tranchemontagne que Stanislas Lacrois à tué en même temps que son épouse. Je cherche des renseigenments, comme les minutes du procès ou tout au moins des renseigenments qui pourraient expliquer ce qui s’est passé pour que Hipolithe Tranchemontagne soit impliqué dans ce drame.

        J’espère que vous pourrez répondre à mes interrogations. Merci à l’avance.

        Francine Pelletier
        f.pelletierv chez hotmail.com

        Répondre à ce message

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