Tous les ans, Pépé Machot nous apportait 2 à 3 cageots d’abricots bien mûrs et parfois même éclatés du trop plein de soleil ou de pluie d’orage. C’était alors pour Grand-père, le sacro-saint moment de faire les confitures.
Ne jamais rien laisser perdre ! C’était sa devise.
Il faisait partie de cette race d’hommes qui ont connu la misère et les privations et laisser abîmer de la nourriture était, à ses yeux, un vrai sacrilège.
Nous trions donc les plus abîmés pour la compote et les plus beaux pour la confiture.
Les fruits tombés, abîmés, se transformaient, par les doigts de cet ancien confiseur, en nectar à tartiner sur de belles tranches de pain croustillantes pour le déjeuner ou le goûter.
Cela commençait le soir même où Grand-père après m’avoir fait enlever les noyaux et couper les fruits en deux, les faisait macérer toute la nuit dans le chaudron en cuivre avec, par-dessus, le sucre cristallisé : quel spectacle réjouissant pour les yeux !
Il fallait tourner avec la bonne cuillère en bois pour que le sucre s’imbibe dans les fruits.
Le lendemain matin, le sucre fondu, avait pris la couleur de l’abricot qui lui même prenait une teinte transparente fort appétissante.
Grand-père mélangeait encore, puis mettait à feu assez vif. J’apportais un saladier que je posais à côté de Pépé et l’écumoire pour écrémer la couche qui montait à la surface au fur et à mesure de la cuisson. En la goûtant du bout du doigt que je léchais consciencieusement, avec gourmandise, cette mousse blonde et un peu spongieuse, nous permettait de patienter. Quel régal !
Et Grand-père tournait et retournait jusqu’à que les fruits deviennent translucides. L’air embaumait et remplissait toute la maison.
Alors, Pépé prenait la cuillère en bois et la trempait dans le bouillonnement pour la ressortir aussi vite, en la tournant deux ou trois fois sur elle-même, puis il l’immobilisait au-dessus de ce volcan odorant.
Alors une goutte sirupeuse se détachait lourdement en s’éclatant dans le chaudron. Cet instant solennel nous montrait que la confiture était cuite.
Vois-tu ? Me disait Pépé, il faut que le sirop tombe en perle, de la cuillère.
Je trouvais cette expression bien jolie.
C’était enfin le moment pour moi d’aller casser les amandes, extraites des noyaux qu’on avait réservés pour les mélanger à la confiture, avant de les mettre en pot.
Ah ! Cette odeur mes amis, un parfum à faire damner tous les saints du Paradis. Nous étions heureux...
Puis il y avait la mise en pot avec la grande louche. Pépé faisait couler la confiture, brûlante, dans de jolis pots de verre. Mon travail consistait à essuyer les coulées, puis à humecter les papiers que l’on posait bien tendus sur le pot, comme une peau de tambour avant de mettre l’élastique autour.
Puis nous les rangions en bon ordre sur les étagères dans la cave, et nous contemplions avec fierté, jusqu’à l’hiver (enfin nous essayions), notre œuvre, bien alignée. Grand-père laissait toujours un pot à moitié plein, pour que nous goûtions de suite cette réussite de gourmandise.
Et le chaudron était léché, écumé, raclé jusqu’au cuivre avant d’être abandonné à l’eau de vaisselle.
De cette confiture j’en ai toujours le goût, l’odeur...
Je suis sensuelle et tout cela je te le dois mon Pépé...