Récemment, en suivant la piste d’une certaine Anne GAUCHARD, petite-fille de mon couple d’ascendants directs Alexandre GAUCHARD et Marie FLEURY nés à Moisy au tout début du XVIIIe siècle, j’ai découvert qu’elle était décédée à Ménars le 24 novembre 1826. L’acte indique qu’elle a rendu son dernier soupir chez son fils « le sieur METAIS » . J’ai rapidement identifié le sieur en question, Hippolyte, qui s’était établi à Ménars au tout début du XIXe siècle et y avait fondé une famille ; celle-ci a ensuite habité le village pendant plusieurs générations.
Je me suis intéressée à l’histoire de ces METTAIS (selon l’orthographe adoptée par la suite par l’état-civil), et ai tâché de retracer leur descendance ménarsoise. Nous l’aborderons au long de trois articles, en six parties successives :
- I. Le père : Hippolyte Christophe, boucher, fondateur de la famille METTAIS de Ménars
- II. Le fils aîné : Louis Hippolyte, médecin-chirurgien, homme de lettres, Chevalier de la Légion d’Honneur
- III. Le fils cadet : Pierre Pascal Jules, boucher, maire de Ménars
- IV. Le gendre : Napoléon Joseph LUTZ, chef de cuisine, Ménarsois originaire de Comines (Nord)
- V. Le petit-fils : Jules Hippolyte, marchand de vins et vinaigrier
- VI. Les générations suivantes : Emile Joseph Jules, industriel, et ses fils Jean Jules et Georges Fortuné
Pour bien situer ces personnages, cliquez sur l’arbre généalogique simplifié ci dessous |
I. Le père : Hippolyte Christophe, boucher, fondateur de la famille METTAIS de Ménars
Hippolyte Christophe, appelé couramment Hippolyte, est né à St Léonard en Beauce (Loir-et-Cher) le 15 août 1780, dans les dernières années de l’Ancien Régime.
Ses parents se sont mariés treize ans plus tôt à Oucques, paroisse St Jean ; leur domicile est passé d’Oucques à Marchenoir puis à St Léonard. Si j’ai bien réussi à tout retracer, ce qui n’est pas certain, Hippolyte est le 4e de 8 enfants dont au moins deux n’atteindront pas l’âge adulte.
Le père, Christophe METAIS ou METTAIS, natif d’Oucques en 1747, exercera plusieurs métiers au long de sa vie : boucher (comme son propre père), aubergiste, laboureur, journalier ou encore facteur de bois ; ce sont les deux premières professions qu’on lui trouve le plus souvent.
La mère, Anne GAUCHARD, native de Moisy en 1749, est la fille aînée d’un laboureur devenu maître d’école et sonneur ; sa mère étant décédée alors qu’elle n’avait que quelques mois, elle a connu deux belles-mères successives, qui lui donneront au total 10 demi-frères et demi-sœurs. Son enfance s’est déroulée entre Moisy, Oucques, St Laurent-des-Bois et Villeneuve-Frouville, sans doute au gré des affectations de son père.
- Signatures de l’acte du mariage de Christophe METAIS et Anne GAUCHARD (Oucques 1767)
L’acte du mariage de Christophe METAIS et Anne GAUCHARD, célébré à Oucques le 26 juin 1767, affiche un nombre de signatures important pour l’époque (voir ci-dessus). Christophe a signé d’une main sûre, Anne plus maladroitement. La plupart de leurs proches ont signé eux aussi, avec une aisance qui indique qu’ils savaient lire et écrire. Les époux étaient donc tous deux d’un milieu relativement instruit.
Hippolyte a environ 5 ans lorsque la famille quitte St Léonard pour s’installer à Marchenoir. Je ne dispose d’aucun élément sur sa vie entre 1792 – il a douze ans – et 1807, année de son mariage. A cette date, il est domicilié à Vendôme, où il a dû apprendre l’état de boucher ; c’est en tout cas la profession qu’il exerce à ce moment-là (il est âgé de 26 ans) et qu’il ne quittera que sur ses vieux jours pour devenir simplement « propriétaire » ou « rentier ».
C’est à Ménars qu’Hippolyte se marie le 7 avril 1807, avec Marguerite LAMBERT, issue d’une famille de bouchers ménarsois. La jeune femme a 23 ans ; elle vient de perdre son père, décédé à Blois en janvier. Les époux savent tous deux signer avec aisance, comme le montre leur acte de mariage :
- Signatures sur l’acte de mariage d’Hippolyte Mettais et Marguerite Lambert (Ménars 1807)
Le jeune couple s’établit à Ménars, bourgade d’environ 430 habitants à cette époque, et y restera toute sa vie. Hippolyte a-t-il repris un commerce existant, ou créé sa propre boucherie ? Je ne dispose pas de cette information. En tout cas, les bouchers à cette époque étaient généralement des notables ; rien d’étonnant donc si ses enfants ont pu avoir de bonnes positions dans la société.
Hippolyte METTAIS ressemblait-il au portrait ci-contre ?
- Le boucher
Le boucher, dessin d’Henry Monnier utilisé pour illustrer l’ouvrage d’Émile de la Bédollière, Les industriels : métiers et professions en France, 1842. |
« Au début du XIXe siècle, le boucher est au cœur de la vie d’un village au même titre que le boulanger. Le boucher est reconnaissable dans le village à sa carrure (il fallait être capable de porter une demi-carcasse de bête sur l’épaule), son tablier taché de sang, et parfois même son caractère bien trempé. » [1]
Le premier enfant d’Hippolyte et Marguerite, Marie Marguerite, voit le jour en 1809. Dès l’année suivante suit un petit Louis Félix. En 1812 naît Louis Hippolyte, futur médecin, dont nous reparlerons plus loin.
Vient ensuite en 1817, Pierre Pascal Jules, futur maire, dont nous reparlerons également. Cette dernière naissance clôt la fratrie de 4 enfants du couple METTAIS-LAMBERT. Leur fils aîné, Louis Félix, décède en 1817 à l’âge de 7 ans ; ils n’auront plus d’autre enfant.
Chez eux surviennent d’autres drames familiaux : c’est en effet à leur domicile que décèdent successivement la mère de Marguerite en 1816, celle d’Hippolyte en 1826 (Anne GAUCHARD, veuve depuis quatorze ans), et une tante de Marguerite en 1832. A cette époque, les parents âgés étaient généralement recueillis par leur famille.
Le premier recensement disponible, celui de 1836, n’indique pas de lieu précis mais nous informe que le couple vit avec ses 3 enfants, 2 domestiques et 1 berger ; le fils aîné survivant, Hippolyte, est étudiant en médecine. C’est seulement au recensement suivant, celui de 1841, que nous apprenons le lieu (approximatif) de leur résidence : la famille METTAIS vit rue Haute [2]. Probablement dans la grande demeure qui est toujours connue aujourd’hui dans le village comme « la maison METTAIS » [3] et qui, m’a-t-on dit récemment, appartient toujours à une descendante de la famille METTAIS.
La fille aînée, Marguerite, est la première à se marier, à l’âge de 28 ans, en 1837 à Ménars. Son époux, Napoléon Joseph LUTZ, est chef de cuisine, originaire du Nord de la France ; nous reviendrons sur ce personnage un peu plus loin.
L’année suivante, c’est le fils cadet, Jules, qui épouse à Cour-Cheverny (Loir-et-Cher) Sylvine Françoise Joséphine LIMOSIN, fille d’un propriétaire et ancien boucher. Joséphine vient s’installer avec son mari à Ménars. Hippolyte, le fils aîné, restera célibataire. Il obtient son diplôme de médecin en avril 1839, quelques mois après le mariage de son frère.
A partir de cette période, Hippolyte et Marguerite n’ont plus d’enfants à domicile. Leurs aînés Marguerite et Hippolyte étant partis vivre à Paris, seul Jules, le plus jeune, est resté au village ; à son foyer naît d’ailleurs leur premier et (a priori) unique petit-fils, Jules Hippolyte, en 1840. L’année suivante, Hippolyte, désormais sexagénaire, n’apparaît plus dans le recensement comme boucher, mais comme propriétaire ; le couple vit seul avec un domestique. Son fils Jules, devenu boucher à son tour, a certainement repris le commerce de son père.
Ou était située cette boucherie ? Etait-elle à l’emplacement où les Ménarsois ont longtemps connu la boucherie FROGER, route Nationale, juste à côté du café qui depuis des temps immémoriaux occupe l’intersection de la route Nationale avec la rue Haute [4] ? C’est très possible, d’ailleurs les deux propriétés – si elles étaient distinctes à l’époque – devaient sans doute communiquer par l’arrière... Mais nous ne pouvons qu’en émettre l’hypothèse.
- Ménars, la rue Haute
Intersection entre la Grande Route et la Rue Haute, au début du XXe siècle. Au coin, le débit de vins ; derrière ce dernier en deuxième position dans la rue Haute, la maison METTAIS (non visible) ; à droite sur la Grande Route, l’emplacement (non visible) où se trouva une boucherie jusqu’au début des années 2010. |
Par la suite, Hippolyte et Marguerite n’habitent plus qu’à deux, sans personne d’autre à demeure. De propriétaire, Hippolyte devient rentier. Il s’éteint à l’âge respectable de 79 ans, à son domicile, le 14 juin 1860 ; les déclarants au décès sont son fils Jules et son gendre Napoléon, ce dernier domicilié à Paris.
Marguerite devient alors à son tour « rentière ». L’année suivante, après avoir perdu son mari, elle a la douleur de perdre sa fille Marguerite, décédée chez sa mère à l’âge de 52 ans. Au recensement suivant, en 1866, Marguerite âgée de 83 ans habite au foyer de son fils Jules ; sans doute ne pouvait-elle plus vivre seule. Elle y décédera quelques mois plus tard ; Jules, devenu maire, rédigera lui-même l’acte de décès. Les déclarants sont son autre fils Hippolyte, médecin à Paris, et son gendre Napoléon, devenu Ménarsois.
Voici ce que j’ai pu reconstituer de la vie d’Hippolyte, boucher ménarsois, et de son épouse. Intéressons-nous maintenant au parcours de la génération suivante.
II. Le fils aîné : Louis Hippolyte, médecin-chirurgien, homme de lettres, Chevalier de la Légion d’Honneur
Louis Hippolyte METTAIS, troisième enfant du boucher, naît le 10 décembre 1812 à Ménars ; son prénom d’usage sera le même que celui de son père. Quelques mois après la naissance de son petit frère Jules, et suite au décès de son grand frère Louis Félix dont nous ignorons les circonstances, il devient le fils aîné, alors qu’il est âgé de près de cinq ans.
Nous n’avons pas d’informations sur son enfance. En 1836, âgé de 23 ans, il est étudiant en médecine et vit encore chez ses parents ; en tout cas il y est présent au moment du recensement. Sans doute assiste-t-il au mariage de sa sœur en 1837, puis à celui de son frère en 1838, bien qu’il n’apparaisse pas parmi les témoins.
Hippolyte ne s’intéresse pas seulement à la médecine : il mène aussi des réflexions philosophiques, historiques et sociétales, et les couche sur le papier. C’est ainsi qu’en 1838, à l’âge de 25 ans, il publie un premier ouvrage intitulé « Origine des puissances », chez l’éditeur DUPONT, à Paris.
- "Origine des puissances"
Le bref descriptif que j’ai pu en trouver, sur un site dédié aux livres anciens, est « Ouvrage stigmatisant toute forme et source de pouvoir. » Il est intéressant de noter que l’ouvrage est paru sous le pseudonyme « Hippolyte LAMBERTI » ; notre étudiant, préférant ne pas dévoiler son identité, s’est visiblement inspiré du patronyme de sa mère [5].
Le 2 avril 1839, Hippolyte obtient son diplôme de médecine. Nous ignorons où il a exercé pendant ses premières années ; probablement en région parisienne. En tout cas il poursuit ses activités d’écrivain, et publie successivement deux romans, cette fois sous son vrai nom : « Un lion aux bains de Vichy » en 1842, puis « Le portefaix », décrit comme un roman de mœurs, en 1843.
Côté publications, il semble que plus rien ne se passe ensuite pendant une vingtaine d’années. Durant cette période, il s’illustre sur le plan médical par son combat contre le choléra, en 1849, qui lui vaudra une médaille d’argent. En 1850, il est affecté comme « médecin de l’état-civil et du bureau de bienfaisance » au Petit Montrouge, territoire de la commune de Montrouge récemment urbanisé [6].
En avril 1852, il est nommé cette fois au 46e bataillon de la Garde Nationale de la Seine, en tant que médecin aide-major ; il exerce donc dans l’armée. Huit ans plus tard, on le retrouve « médecin de l’état-civil du XIVe arrondissement ». Les vingt arrondissements de Paris comme nous les connaissons aujourd’hui viennent juste d’être créés ; le XIVe englobe le quartier du Petit Montrouge, désormais rattaché à la ville de Paris.
Nous sommes en 1860 ; Hippolyte a 47 ans, il ne s’est pas marié. C’est aussi l’année du décès de son père ; nous ne savons pas s’il a pu être présent pour lui à Ménars. Même chose pour la disparition de sa sœur aînée l’année suivante.
En 1863, il renoue avec la publication : « Souvenirs d’un médecin de Paris » est un roman certainement en partie autobiographique, dont le début se déroule à Blois, ville proche de Ménars. La même année paraît « Des associations et corporations de France ». Deux ans plus tard, il s’essaie au roman futuriste avec « L’an 5865, ou Paris dans quatre mille ans ». Puis en 1866, c’est au contraire un plongeon dans le passé qu’il effectue avec « Paris avant le Déluge », établissant un lien entre la Gaule et l’Atlantide. Au-delà des sujets abordés, ces différents ouvrages semblent témoigner de son attachement et de son intérêt pour la capitale.
Où habite-t-il exactement, d’ailleurs ? Paris ne disposant pas de recensements au XIXe siècle, nous ne pouvons le savoir par ce biais. Mais nous avons une première réponse en 1848 : déclarant à la naissance d’une certaine Marie Louise DUBROUILLET (dont nous reparlerons), Hippolyte habite 14 rue du Théâtre, à Montrouge. Cette rue n’existant plus, nous ne pouvons savoir à quel endroit elle se situait ; mais il est fort possible qu’elle ait fait partie du Petit Montrouge, territoire qui sera soustrait en 1860 à la commune de Montrouge pour être rattaché à celle de Paris [7].
En 1867, l’acte de décès de Marguerite LAMBERT, mère d’Hippolyte, nous révèle une autre adresse pour Hippolyte : il réside au 4 rue de Vanves, dans le XIVe arrondissement, celui-là même où il exerce en tant que médecin. Cette rue fait partie du quartier du Petit Montrouge ... Quelques mois plus tard, il est témoin au mariage de son neveu Jules METTAIS, qui épouse une jeune fille habitant elle aussi le XIVe arrondissement : il s’agit de Marie Louise DUBROUILLET, dont Hippolyte avait déclaré la naissance. De toute évidence, les époux se sont connus par son intermédiaire.
A cette date, son adresse est le 6 rue de Vanves. A vrai dire, selon les actes par la suite, on trouvera indifféremment pour son adresse le numéro 4 ou le numéro 6 ; les recensements de Paris, disponibles à partir de 1926, associent systématiquement ces deux numéros qui devaient appartenir au même immeuble. Cette rue est aujourd’hui devenue la rue Raymond Losserand ; les numéros 4 ou 6 sont ceux d’un immeuble moderne.
- La rue de Vanves au début du XXe siècle
En 1867 toujours, Hippolyte publie « Mémoires d’un magicien ». En 1868, il est à nouveau affecté au 46e bataillon de la Garde Nationale de la Seine, cette fois en tant que médecin major, puis chirurgien major. On apprend qu’il a ensuite été nommé médecin de l’ambulance militaire du 22 rue Perceval, à Paris, « de sa création à la fin (5 mois) » ; sans doute pendant le siège de Paris par les Prussiens, en 1870-1871.
Ses services à cette occasion lui vaudront une croix de bronze, et un diplôme par la Société Internationale des Secours aux Blessés [8].
En 1871, la guerre finie, il publie « Le docteur Marat », roman qui revisite la vie du célèbre révolutionnaire assassiné dans sa baignoire. L’année suivante, il reçoit le grade de Chevalier de la Légion d’Honneur pour ses bons services en tant que chirurgien-major ; on notera que cette distinction lui est remise contre la somme de douze francs.
- Signature d’Hippolyte Mettais
Ci-dessus, la signature d’Hippolyte lors de la remise de la Légion d’Honneur, le 15 août 1872. Sur tous les actes d’état-civil, il signait également « docteur » en dessous de son nom. |
En 1874 paraît un ouvrage intitulé « Le Parnasse médical français, ou Dictionnaire des médecins poètes de la France », par le docteur Achille CHEREAU. Un article consacré à notre Hippolyte nous apprend qu’il se piquait également d’écrire de la poésie. Il y est décrit comme suit :
- Début de l’article
La rue de Vanves où réside Hippolyte est en effet toute proche de la Chaussée du Maine, devenue depuis l’avenue du Maine. On apprend un peu plus loin qu’il avait l’intention de publier une série de sept ouvrages versifiés, sous le titre général « Mes soirées d’hiver » ; il ne semble pas que ce vœu se soit réalisé. Seuls deux vers du premier opus nous sont cités par l’article :
- Deux vers d’Hippolyte Mettais
A défaut, Hippolyte continue à publier des romans : « Les amours d’un tribun » en 1876 semble être une réédition du « Docteur Marat » sous un nouveau titre ; « Le secret des catacombes » paraît en 1877, et « La pupille du vieux garçon » en 1878. C’est la dernière trace que nous ayons de lui avant son décès.
C’est à son domicile qu’il s’éteint, le 28 février 1881, à l’âge de 68 ans. Le premier déclarant est son neveu Jules, habitant Ménars.
Le défunt est mentionné « célibataire ».
Ainsi, Hippolyte METTAIS ne s’est jamais marié, et n’a donc a priori pas eu de descendance. Pour autant, il est passé à la postérité pour son œuvre romanesque (avec une notoriété néanmoins toute relative).
La Bibliothèque Nationale de France le mentionne sur son site web comme « Médecin - Homme de lettres, auteur de comédies, de romans d’anticipation et d’études historiques » ; sans avoir été un écrivain majeur, il est cité dans de nombreux articles ou forums relatifs notamment aux romans futuristes du XIXe siècle. Plusieurs de ses ouvrages ont été réédités, et certains ont même été traduits en anglais au début du XXIe siècle.