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Le voyage à Harrar

Le vendredi 7 février 2025, par † Léon Moron, † Michel Carcenac

Dans ce treizième épisode de la croisière en Mer Rouge en 1933 du Commandant Moron, l’Amiral et le Commandant reprennent le train après leur visite au Négus depuis Addis Abeba jusqu’à Dire-Daoua dans un contexte régional agité. Après la visite chez Monfreid, l’opinion du Commandant à son sujet est faite et il n’en variera pas de toute sa vie. Je l’entends encore me dire, que lui passait avec un vaisseau de guerre là où Monfreid se faisait une gloire de passer avec son boutre.

Le voyage d’Harrar tant attendu par l’Amiral et le Commandant leur fait découvrir un médecin français dont l’honnêteté plus que suspecte est une honte pour la France.

L’invitation solennelle du gouverneur de la province suscitée par le Négus leur vaut une entrée dans la ville avec trompettes et haie d’honneur. Mais la longueur de la réception leur fait ronger leur frein et l’espoir d’une visite approfondie de la ville finit par se limiter à une galopade effrénée dans le marché

5 Mars :

L’Amiral a reçu hier à la Légation un télégramme de Chapon Baissac annexé à un texte du Vimy, disant que Paris a donné des ordres à l’Amiral pour se mettre à la disposition du gouverneur pour l’aider si des incidents comme celui de Dikkil devaient se renouveler. Paris a ordonné par ailleurs à l’Antarès qui est à Colombo de ne pas continuer sa route vers l’Extrême-Orient. Chapon déclare ne plus avoir besoin d’aide et l’Amiral télégraphie à l’Antarès qu’il peut continuer sa route.

9 heures. Nous partons. Adieux. Le Ministre de France vient à Dire Daoua conférer avec le gouverneur.

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Le beau temps continue.

A l’arrêt des Addas (Les Lacs) nous allons voir un beau lac verdâtre dans le fond d’un cratère. C’est beau, mais sinistre. De l’autre côté de la voie, un pendu se balance à la grosse branche d’un bel arbre. C’est parait-il un assassin. Il est là depuis hier et la foule le contemple. Il doit se balancer encore deux jours.

Déjeuner avec Pastrau à Modjio. Nous sommes peu nombreux à table parce que le Ministre, de Marliave et la plupart des officiers ont pris une colique violente. Le Ministre se demande si ce n’est pas son dîner qui les a tous empoisonnés.

Pastrau m’entretient de questions intéressantes. Il est d’avis, lui aussi de faire quelque chose avec les Abyssins devant la menace de Berbera ou d’Assab, mais seulement à la condition qu’avant d’engager des pourparlers on soit certain de pouvoir leur imposer des conditions strictes, et certain aussi d’en exiger l’exécution. Or il ne voit personne actuellement ni à Addis ni à Djibouti qui soit capable d’assumer cette tâche.

Il me raconte avec détails l’incident survenu l’an dernier à Dire Daoua et que nous avait exposé Monfreid l’autre jour. Il me confirme les évènements et ajoute que notre Ministre convoqué sur place pour régler l’affaire, au lieu d’en prendre la direction s’était contenté d’en faire l’arbitrage entre les employés et le gouvernement abyssin. Les employés connaissaient la valeur de son intervention même avant de commencer puisqu’on avait envisagé d’arrêter le train qui l’amenait avant la gare afin d’éviter des manifestations hostiles des gens de la Compagnie à son égard. Ceux-ci s’étaient d’ailleurs mis en grève.

Ayant arbitré la question, le Ministre avait écrit une lettre comminatoire aux Abyssins leur déclarant que si satisfaction n’était pas donné sous les huit jours, on verrait. Les conditions étaient d’abord une indemnité de 25000 F à la victime, le renvoi du chef de la municipalité hostile aux chemins de fer, l’entretien des services de voirie, etc. Il a fallu trois mois et demi pour obtenir 23000 au lieu de 25000. Quant aux autres conditions on n’en a plus parlé. Le gouvernement s’est contenté de faire monter le chef de la municipalité à Addis et celui-ci a le culot d’envoyer des ordres de là-bas aux Chemins de Fer. Il parait que c’est ainsi chaque fois qu’intervient notre agent. Il a l’air d’être intransigeant dans ses lettres, mais il ne poursuit pas l’exécution. Il en résulte que les Abyssins se moquent de lui.

En ce qui concerne le chemin de fer, Pastrau me disait que son capital était d’une part sous forme d’obligations dans les mains de poires qui les avaient achetés 480 F en 1908 et qui n’en valait plus que 350 F papier avec un intérêt de 3.50 et d’actions, toutes dans les mains des banques qui touchent 125 F par action. Elles ne sont pas cotées pour éviter un accaparement étranger, mais tout danger n’est toutefois pas écarté, car il suffirait que des banquiers alléchés par d’aimables propositions lâchent effectivement leurs actions aux Italiens, par exemple, tout en gardant des hommes de paille. Et personne ne se douterait de rien.

Il fait chaud l’après-midi et nous sommes très secoués. Je reconnais la petite gare sans nom où était descendu l’allemand, dont j’avais fait la connaissance à mon voyage de retour, il y a quatre ans. Je reconnais parfaitement le paysage et l’allure de la brousse dans la direction où je l’avais vu disparaitre à cheval avec sa femme au costume de cow-boy. Cette fois, c’est une famille noire qui débarque. La femme en jupon rouge porte l’enfant réglementaire dans le dos. L’homme ne porte que sa sagaie.

Nous traversons une belle région de volcans. Le Mont Fantalli fume. Troupeaux de grandes antilopes. Lac Metahara dans un cratère, mais au niveau du sol et non pas en creux comme celui des Addas. Celui-ci est sympathique. Je reconnais la région chaotique d’avant l’Aouache, les amas de scories, les bulles de lave éclatées.

Au village de Metahara, femmes très belles, robe rouge, collier d’ambre.

Dîner à l’Aouache. Tout le monde dine cette fois et avale sa quinine. Mais le Ministre rend son dîner aussitôt après être sorti de table.

Nuit secoués.

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6.3.33 : Vu du Consulat de Dire Daoua.
Les meilleurs Issas sont sur les mamelons de droite, leurs forces sur les montagnes du fond.

6 Mars :

Arrivée à Dire Daoua vers 5 h 30. Nous avons prévenu de l’Aouache que nous ne sortirions du train qu’à 6 h 30. Aussitôt le train arrêté, Monfreid bondit dans notre wagon et nous dit que tout est à feu et à sang en Abyssinie. Nous ne nous en étions certes pas aperçus. Ce qui est exact, c’est que dans plusieurs régions, la situation est assez trouble. Tout près de DD, en particulier, des évènements graves risquent d’éclater. En particulier, nos protégés, les Issas ont été victimes, il y a quelque temps d’un attentat de la part de Bousbouras, pillards abyssins qui leur ont tué leur chef Hadj Ali et 46 hommes. Ils veulent satisfaction suivant leur loi : tête pour tête. Ils sont trois mille sur les montagnes qui forment les lointains de la ville et leurs guetteurs sont en place à quelques kilomètres. Notre consul leur a promis qu’ils auraient satisfaction et leur a dit d’attendre, mais ils viennent chaque jour lui demander s’ils peuvent aller de l’avant. S’ils le faisaient ils traverseraient DD et ce serait le pillage. Combien de temps pourra t’on les contenir ?

Le plus ennuyeux dans cette histoire, c’est que Monfreid a envoyé un immense télégramme au Petit Parisien dans lequel il présente la situation sous un jour tragique, ajoutant que d’ailleurs l’Amiral est venu spécialement conférer le dessus à DD avec le Ministre et le Gouverneur, ce qui est faux. Il ne reste plus à notre Ministre qu’à démentir par télégramme puisque celui de Monfreid est déjà parti.

Le Consul nous dit naturellement que Monfreid le gène. Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas s’exciter trop vite, surtout sur les tuyaux de Monfreid. Nous descendons du train à 7h. Le directeur de la municipalité est sur le quai. A l’extérieur de la gare, une haie de soldats. Je pars avec l’Amiral déjeuner chez Monfreid pour recueillir quelques tuyaux. Les autres vont chez le consul. Monfreid est à son usine électrique. Maison mal ficelée. Il y a là Lippman, l’ex-administrateur de Dikkil, qui a des histoires avec Chapon Baissac. On dit que celui-ci a voulu le faire assassiner par des Dankalis, et qu’il a abandonné son poste. Monfreid l’emploie à son usine. Collier de barbe, homme très brun, vigoureux, mais à l’œil inquiétant. Il est très tuyauté sur la Somalie et l’Abyssinie. Il nous expose les histoires depuis leur début. Nous prenons le café. Monfreid me donne ses cartes de la Mer Rouge. Il manque, comme par hasard, celle des Farisan, la seule qui nous intéresserait. Celles qu’il nous donne ne portent que des indications sans aucune valeur. Je m’en doutais un peu.

Recafé chez le consul. L’Amiral confère avec notre Ministre, puis avec Chapon Baissac. Il fait appeler le commandant du Vimy au téléphone pour lui demander à quelle heure l’Antarès a reçu le télégramme l’autorisant à poursuivre sa route et lui donne l’ordre de rappeler ce bateau à Colombo.

Nous partons pour Harrar à 9h dans la voiture du gouverneur de la province. Route de montagne, presqu’à la sortie de la ville. Route en corniche à lacets très vifs, mais bonne. On traverse le lit d’une vaste rivière à sec. Rencontré de très belles négresses aux demi-robes rouges et portant des calebasses bouteilles sur la tête. Végétation assez belle.

Brutalement, la route quitte la montagne et le paysage s’élargit en un vaste plateau accidenté très fertile et très cultivé, orné de magnifiques cactus candélabre. Des haies fleuries ; des troupeaux de buffles. Deux petits villages de toucoules et de maisons aux toits de terre battue.

A un détour, la route descend et démasque un superbe lac peuplé de canards et orné sur un de ses bords d’un beau bouquet d’eucalyptus.

La terre est très vivante ; des troupeaux, des familles sont en déplacement. Toujours les belles femmes noires aux draperies colorées. Tous ces gens ont l’air parfaitement heureux.
La voiture descend dans le lit d’un torrent ; on voit encore sur le côté les restes du pont qui a été emporté à la crue. En sortant du trou, nous rencontrons une auto d’où un abyssin descend. Il dit en parfait français à l’amiral que le gouverneur de la province a reçu l’ordre de l’Empereur de le recevoir chez lui. A ce moment arrive le médecin français de Harrar, qui est aussi notre agent consulaire. Il est furieux de ne pouvoir nous recevoir à déjeuner. Il prononce des paroles à l’endroit des Abyssins que l’Amiral coupe net en lui déclarant qu’il lui est impossible de ne pas accepter l’invitation officielle du gouverneur.

Nous nous remettons en route. On aperçoit Harrar dans une cuvette de montagnes. J’avoue que le beau paysage m’est gâté par un ensemble de toits en tôle ondulée qui me rappellent trop Addis Abeba.

A gauche de la route qui nous mène à la muraille qui ne se voit que de près, une petite colline ou un fort, sur le sommet duquel des guerriers rendent les honneurs.

Nous approchons de la porte de la ville sur laquelle flottent les drapeaux français et éthiopien ; une double haie imposante de guerriers. Sur la route, un défilé de femmes allant à la fontaine, la chevelure coiffée en deux grosses boules sur l’arrière de la tête et enfermée dans une résille.

Nous passons sous la porte et nous nous engageons dans des ruelles aux murailles aveugles très élevées. Des couleurs et des couleurs de costumes, des têtes et des corps noirs superbes. La ruelle s’élargit un peu et la voiture pénètre dans la rue du palais. Une foule de guerriers est massée le long des murs. Deux hommes soufflent dans de longues trompettes rectilignes qui ne rendent qu’un son et ressemblent à celle des anges du jugement dernier. Plus loin, émergeant des guerriers, trois types soufflent dans de grandes flutes de bois qui rendent le son de la clarinette. Enfin devant la porte du palais, la garde en costume européen. Le clairon sonne aux champs sur la cadence funèbre.

Le gouverneur, entouré des notables, tous en pèlerine à col de velours, vient saluer l’Amiral. Il lui fait dire par l’interprète que l’Empereur lui a dit de nous recevoir, non comme des personnages politiques, mais comme ses amis.

Salams. Nous montons au premier étage dans une salle coupée en deux longitudinalement par de grosses colonnes réunies par des pleins-cintres. Cela a assez d’allure. Partout des tapis, de qualité grossière comme tous ceux que j’ai rencontrés dans ce pays. L’un d’eux, cependant que j’aperçois sur une terrasse à l’extérieur a l’air pas mal. De près, il l’est moins et est complétement troué. Aux portes et aux fenêtres, des rideaux de soie jaune omelette ou vert épinard.

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Salle de Réception chez le gouverneur de Harrar 6 Mars.

Après la présentation, nous allons chez le docteur pour nous excuser auprès de sa femme de ne pouvoir accepter son déjeuner. Joli bungalow derrière l’hôpital. Intérieur arrangé avec assez de goût. Bougainvilliers couverts de bengalis rouges qui gazouillent.

Retour au « palais ». Apéritifs de contrebande grecque. Nous passons à table dans une salle aménagée pour la circonstance avec 5 portraits du souverain et de sa famille.

Le menu, européen est servi par l’hôtelier grec. Il y a cependant sur la table le pain national abyssin, une espèce de peau de tambour molle, humide et aigre au goût. Ce n’est pas très bon. Un seul plat abyssin d’arat qui emporte la bouche.

Je suis à la droite du gouverneur, qui a l’air heureux de faire un bon déjeuner. Barbiche grisonnante, œil malin.

Nous passons dans la salle de réception pour prendre le café, les chefs s’asseyent en rang d’oignons contre la muraille. L’Amiral blague avec le gouverneur et le café ne vient pas.
Je voudrais pourtant quitter cette bicoque sans intérêt pour aller traîner au bazar. Tout s’explique sur le retard. On n’a pas voulu déranger la conversation des chefs et le café a refroidi. On en refait d’autre.

Notre consul a beaucoup bu et a la tête de l’homme qui est paf. Je n’aime pas cela, d’autant plus que notre ministre l’a chargé de demander avec insistance au gouverneur de donner des ordres au plus tôt pour que justice soit faite dans l’histoire de nos Issas. Je le vois qui va s’asseoir près du gouverneur et par le truchement d’un interprète commence à lui expliquer l’affaire. J’entends, bien qu’assis assez loin et je dois avouer qu’il pose la question beaucoup plus nettement que je ne croyais qu’il eut été capable de le faire. L’Abyssin écoute, puis lui répond par des comparaisons élégantes, lui disant par exemple que le coupable est comme une tâche noire sur la chamma, et que si elle la tâche elle n’en est pas moins visible, que par ailleurs les Somalis ne peuvent être crus parce qu’ils changent dix fois d’opinion par jour. Quant aux promesses précises, rien. Par surcroit, le vicaire général, un gros capucin stupide s’interpose dans la discussion et se met à parler de la justice divine. Notre consul n’insiste pas.

L’Amiral que je regarde du coin de l’œil a lui aussi envie de partir, mais le gouverneur veut nous faire monter sur la terrasse pour admirer la vue.

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Mosquée de Harrar 6 Mars.

Petit pavillon orné de tapis d’où la vue est superbe. Cirque de montagne avec Harrar dans le creux. Double minaret africain curieux, toits en terrasse de maisons très basses. Vues de haut, on dirait un parterre de petits champs cultivés. Malheureusement une partie de la ville est déjà en tôle ondulée. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. On apporte une fois de plus du champagne. Palabre et compliments fleuris.

On descend enfin. Le gouverneur ne nous lâche pas et nous mène avec ses notables visiter l’école de la mission où des pères français font marcher trois classes de garçons abyssins qui sentent bien mauvais. Aux murs des classes, des tableaux ridicules pour l’enseignement. L’un d’eux cependant n’est pas mal et représente un boutre de la Mer Rouge dans de la grosse mer. Je commence un beau mal de tête.

Les autorités abyssines nous abandonnent enfin, mais nous avons encore des visites à faire pour notre compte.

D’abord à la mission franciscaine, siège de notre évêque, Mgr Jarosseau, que nous avons vu à Addis. Le gros vicaire général nous fait visiter. Petit parloir hideux comme il est de rigueur dans ces maisons. Aux murs, les portraits de nos généraux et même celui de Lapeyrière. Malgré nos récriminations, il faut absorber du vin blanc et un biscuit. Le père, très ému, se trompe et porte un toast à l’Italie. L’Amiral l’arrête et corrige.

Dans la cour, une fresque tordante, genre persan barbare représentant des scènes de la vie du Christ au milieu des animaux de la grande brousse. Il y a là des hippopotames pas ordinaires et des autruches qui ont l’air d’avoir des caleçons. Comme nous ne pouvons ne pas aller voir les sœurs, nous nous y précipitons : parloir ridiculement petit. Un orphelinat et de malheureuses filles indigènes habillées en sœurs converses. C’est assez triste. Nous apprenons là que l’interprète qui nous accompagne depuis notre arrivée et qui porte la chamma comme tout le monde, est un prêtre catholique déguisé, ceci avec l’autorisation de l’Empereur.

Les gosses crient sans conviction Vive la France.

Enfin la dernière visite. Celle de l’hôpital. Nous étions prévenus contre le docteur Joucla par des tuyaux de Monfreid. Celui-ci ne nous avait pas trompés.

L’Amiral pose des questions précises auxquelles on lui répond d’un air embarrassé. Il en résulte que le docteur qui est là, touche 48.000 Fr de traitement, 36.000 Fr pour faire marcher son hôpital et il vient d’avoir 40.000 Fr du Pari Mutuel pour des agrandissements. Tous les médicaments lui sont fournis par le gouvernement français.

La visite commence. Deux chambres occupées par des indigènes payants, chambres sales et pleines de mouches. Une chambre pour indigent, ignoble. Le dispensaire est tellement sale que la religieuse ne veut pas le montrer. Le premier étage de l’hôpital est transformé en chambre d’amis et en débarras.

Comme construction, un petit bâtiment, qui, lorsqu’il sera achevé, permettra, dit le docteur d’avoir 6 chambres. Il avoue d’ailleurs qu’il ne tient pas du tout à avoir des malades à l’hôpital et qu’il préfère de beaucoup développer le côté du dispensaire. Les malades, en effet ont des visites de toute leur famille et puis il faut les nourrir suivant les rites de leur religion. Enfin, c’est une chose à peu près impraticable. Mais, par contre, il va visiter les gens chez eux et leur fait payer de 1 à 3 thalers.

Lorsque l’Amiral lui demande de préciser l’utilisation des 40.000 Fr du Pari Mutuel, il avoue qu’il en a distrait 20.000 pour l’amélioration de sa maison.

En somme, ce type s’est installé dans une sinécure. Il met tout l’argent dans sa poche et c’est cela qui porte l’étiquette d’Hôpital français.

Lorsque l’amiral lui parle de la mission suédoise, qui en réalité est américaine, le docteur dit que sa concurrence n’est pas à craindre. Que d’ailleurs ils n’ont pas de médecin. Il n’empêche que ces gens soignent les indigènes pour rien et qu’à la dernière visite du Négus à Harrar, il est allé à cette mission et n’est pas entré chez nous.

L’Amiral ne lui fait pas de reproche mais le docteur sent que cela ne va pas. Le verre d’eau que nous prenons chez lui est glacé.

Il est près de cinq heures et nous n’avons plus que quelques minutes avant le départ. Nous nous précipitons au marché. Nous descendons par des ruelles et pénétrons d’abord dans une maison abyssine, sale, où les animaux vivent avec les gens, puis dans une maison harrari, musulmane, astiquée. Divan très propre. Aux murs, des objets de sparterie et des armes. Dans la petite chambre latérale un lit clos en moucharabiés. C’est très gentil.

Nous descendons toujours des ruelles. Nous débouchons sur une place en contrebas. Du talus qui la surplombe, on jouit d’un spectacle épatant. Un fouillis de petites tentes plates sous lesquelles les marchands sont accroupis devant leurs couffins de café et d’épices. Les femmes sont toutes à demi-nues et sont drapées dans des étoffes aux couleurs éclatantes.

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Harrar Marché aux épices 2012 Wikipedia commons.

Tout ce monde piaille, est épouvanté ou rit. De là, montée dans des ruelles très étroites, en pente, où les banians et les persans vendent leurs cotonnades. Des orfèvres qui font des tapis et des bracelets qui ne me tentent pas. Nous passons à toute vitesse devant tout cela, mais j’emmagasine le maximum. C’est tout à fait épatant.

Nous débouchons sur la grande place à l’entrée de la ville. Toutes les troupes et les guerriers sont réunis comme ce matin. Les voitures nous attendent. Nous nous mettons en route, désolés de quitter si rapidement cette belle ville.

Défilé dans les ruelles aux murailles élevées. Sortie par la grande porte. Le soleil est encore assez haut pour que les couleurs soient vives. Les troupeaux rentrent. On se croirait en Auvergne et on est étonné d’y voir de vraies négresses.

Le soleil se noie derrière les montagnes lorsque nous atteignons le lac. Un chacal, arrêté sur le bord de la route, regarde passer la voiture sans s’émouvoir. Nous reprenons les lacets de la montagne. Nous marchons vite pour faire le moins possible de trajet de nuit. Un veau pris de peur court devant la voiture pendant quelques kms, puis finit par dégringoler dans un ravin. Les gosses qui le gardaient auront à faire pour le ramener.

La nuit est venue. Nous arrivons à Dire Daoua à 6h30.

Le docteur de Harrar arrive à peu près en même temps que nous. L’Amiral vient de mettre notre Ministre au courant des impressions de sa visite. Engueulade sévère du dit docteur devant le Ministre, qui est bien empoisonné et qui s’efforce de xxxx. Il promet à l’Amiral qu’il ira lui-même se rendre compte le lendemain à Harrar. Il noiera certainement le poisson, mais il ne nous empêchera pas de faire un rapport à Paris.

Toilette sommaire à l’hôtel. Dîner chez le consul. Le docteur et sa femme se sont excusés – migraine.

Couché à l’hôtel. Moustiques suspects et abondants, mais bonne moustiquaire.

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3 Messages

  • Le voyage à Harrar 21 février 19:36, par Louis Baudeloche

    je lis votre récit avec passion. Nos Français sont au-dessous de tout, Monfreid qui n’en fait qu’à sa tête se prenant pour le p’tit roi local. En 1965 je suis allé à Harar. Aller et retour Djibouti-Harar en Dakota pour ramener de la viande pour l’ordinaire-troupe de notre base aérienne. Des vieux souvenirs...
    Cordialement,
    Louis Baudeloche

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  • Le voyage à Harrar 7 février 10:01, par Louis Baudeloche

    En 1965, lors de mon service militaire, j’ai pris le train dont il est question. Un train sur voie étroite d’un mètre, traversant le désert avec, sur des oueds asséchés, des ponts brinquebalants et une vitesse max de 60 km/h. Depuis les Chinois ont construit une autre voie ferrée, plus moderne.
    Quant à Monfreid, j’ai rencontré un vieux Somali, pêcheur de nacre, la voix complètement cassée, qui m’a assuré que le dit sieur Henri était un véritable esclavagiste.

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    • Le voyage à Harrar 7 février 12:17, par ROBLIN Jean

      Qu’Henri de Monfreid soit un esclavagiste ne fait aucun doute ! la traite faisait partie de ses activités "illégales" au m^me titre que le traffic d’armes ou de haschich. D’ailleurs à propos du fonctionnement de ses affaires ne déclarait ’il pas des exécutions humaines à chaque fois que son business l’imposait ! Ses aventures "romanesques sont toutes maculées du sang des assassinats qu’il a perpétrés .Ceci dit c’était un écrivain capable de tenir en haleine son auditoire et son public littéraire ...( Dont je suis.) Grand paradoxe !

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