Le confinement dont nous avons été victimes voici quelques mois, a parfois du bon. Plongé dans la lecture d’un journal parisien de la presse de la fin du 19e siècle, « l’Observateur français » du 30 décembre 1888, je découvrais une curieuse histoire de trésor et d’oncle d’Amérique. J’étais d’autant plus intéressé par cette histoire quand je m’aperçus qu’elle concernait la région de Firminy et que Nicolas Perrin, qui fut l’un des premiers maires de Firminy, était un cousin de ces Perrin d’Amérique !
Voici comment débutait cet article :
« Le tribunal correctionnel de Saint-Etienne vient de juger, sous l’inculpation d’escroquerie et d’abus de confiance, un nommé Ettori qui a attaché son nom à une entreprise colossale et qui tient de la féérie.
Depuis une cinquantaine d’années, on s’entretient à Firminy, d’un immense héritage, quelque chose comme 40 millions, qui serait sous séquestre à La Guadeloupe et auquel aurait droit tous les Perrin de Firminy et des alentours.
Cette fortune (selon l’INSEE, cette somme équivaudrait actuellement à près de 131 millions d’euros) aurait été amassée dans le premier quart du 19e siècle par Jean-François Perrin, originaire de Saint-Victor-sur-Loire qui, parti havresac sur l’épaule et bâton ferré à la main, n’avait pas tardé à devenir plus millionnaire que M. de Rothschild ou le baron Hirsch, grâce au commerce des esclaves et des sifflets(sic).
Les vieillards racontent qu’en 1835, Perrin revint à Firminy sur un cheval ferré d’or et caparaçonné de diamants et qu’il étonna ses amis par ses largesses. Il était reparti peu de temps après cette apparition, en annonçant qu’il donnerait bientôt de ses nouvelles… La seule nouvelle qu’on reçut, fut celle de son décès à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe ».
Si le journal du 30 décembre 1888 relatait un fait divers qui s’était déroulé cinquante ans plus tôt, en 1835, c’est qu’un nouvel évènement s’était produit. En effet, quand, dans l’Ondaine, la nouvelle de cette mort s’était répandue, quelques lointains parents avaient tenté, en vain, de s’informer à propos de ce faramineux trésor. Bien vite on avait renoncé. Mais voilà qu’un homme d’affaires corse, providentiel, un certain Ettore, originaire de Sartène, installé à Firminy, avait convaincu une bonne cinquantaine d’héritiers putatifs de ce Perrin, des réels ou des supposés, de l’Ondaine et d’ailleurs et les avaient persuadés qu’en se cotisant, il se faisait fort de leur rapporter l’héritage de ce lointain cousin qui dormait depuis une quarantaine d’années en Guadeloupe. Il récolta ainsi 1200 francs (environ 3000 euros) . Il exhiba « sa preuve » de l’héritage laissé en déshérence, disait-il.
Cette histoire alléchante méritait, avant d’en connaître la suite, d’en savoir un peu plus sur la personnalité de ce Jean-François Perrin né à Saint-Victor-sur-Loire et parti aux Amériques.
Avait-il vraiment existé ?
A la recherche de Jean-François Perrin
Nous nous sommes donc plongés dans l’état-civil de cette petite commune de Saint-Victor :
Un personnage capable d’amasser, en moins de vingt ans, entre 1815 et 1835, un magot aussi considérable devait avoir laissé quelques traces, dans son pays natal mais aussi en Guadeloupe. Si aujourd’hui, 40 millions d’euros représentent un somme considérable, 40 millions de francs or en 1848 (date de sa mort) étaient une cagnotte « énormissime ».
Dans les registres d’état-civil de Saint-Victor-sur-Loire, entre 1785 et 1795, époque présumée de sa naissance, les Perrin sont très présents mais on ne relève aucun Jean-François. Serait-il né ailleurs ? Sachant qu’il était mort à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, après sa venue à Firminy en 1835, la consultation des actes de décès de cette ville permettait de découvrir son acte de décès, à 65 ans, le 25 février 1848. À sa mort, il habitait Pointe-à-Pitre chez son frère cadet Joseph Perrin et il fut enterré dans la propriété de sa sœur, la veuve Morel, à la sortie de la ville, au lieu-dit Fidélin. Cependant, il y a un « hic » dans cet acte :il signale que ce Jean-François était né à Pointe-à-Pitre et non à Saint-Victor, de Jean Perrin et de Claire Carbonnel. Était-ce bien notre homme
Toujours en compulsant 1es registres de Pointe-à-Pitre, je retrouvais aussi son acte de naissance, le 23 juillet 1783. Sur la même lancée, je découvrais, à la date du 14 septembre 1778, l’acte de mariage de ses parents, et surtout le pot aux roses : Jean Perrin, le père de Jean-François, lui, était bien né à Saint-Victor-sur-Loire, province du Forez, diocèse de Lyon. Comme profession au moment de son mariage, il se déclarait arquebusier.
Mais qui, à l’époque, allait prendre la peine de vérifier dans les registres de Saint-Victor-sur-Loire si c’était Jean ou Jean-François qui était né dans le Forez. De plus cela ne changeait rien quant à la recherche du fabuleux trésor.
L’origine de la prétendue richesse des Perrin
Premières erreurs donc, ce n’était pas Jean-François Perrin qui était parti mais son père Jean. Ensuite, ce dernier n’était pas un vagabond « havresac sur l’épaule et bâton ferré à la main ». Il s’était engagé dans l’armée royale puisqu’au moment de son mariage, en 1778 il était « arquebusier ». Il guerroyait contre les Anglais, dans les iles des Antilles.
Cependant on peut penser que si fortune il fit, ce n’est pas en manipulant l’arquebuse mais plutôt, une fois son engagement terminé, dans le commerce des esclaves qui battait son plein en cette fin de 18e siècle. Ce Jean Perrin, natif de Saint-Victor-sur-Loire se mariait à Pointe à Pître avec une demoiselle Carbonnel Marie-Claire le 14 septembre 1778. (Voir acte de mariage).
- En date du 14 septembre 1778, à ,Pointe-à Pitre, acte de mariage de Jean Perrin « arbalétrier », né en Forez, avec Marie-Claire Carbonnel
- Acte de décès de Jean-François-Perrin. Il semble que Jean-François Perrin n’était pas marié et n’avait donc pas de descendance officielle., ce qui explique peut-être que dans l’Ondaine, les cousins se prirent à rêver. Cependant si Jean-François n’eut pas de descendant, il eut de nombreux héritiers en Guadeloupe puisqu’il avait de nombreux frères et sœurs ainsi que des neveux.
Il était encore arquebusier. Lorsque son fils Jean-François naissait le 23 juillet 1783, il n’était plus militaire, on ignore depuis quand. Il se disait armurier. L’année suivante, à la naissance de son fils Etienne, il était devenu orfèvre : il le sera encore deux ans plus tard à la naissance d’une fille Anne Catherine. Etrange transfert en vérité ! N’était-ce pas plutôt une couverture pour dissimuler une activité moins avouable mais plus lucrative ?
Mais la consultation des archives de l’état-civil de Guadeloupe réservait une autre surprise : son acte de décès, le 12 janvier 1822 « natif de Firminy en Foré ». Ce n’était donc pas lui qui était venu parader en 1835 dans les rues de Firminy « sur son cheval ferré d’or » mais un de ses fils, Joseph, Etienne ou Jean-François.
Qui amassa cette fortune ? Le père ou les fils ? Le mystère reste entier. Toujours est-il que contrairement au compte-rendu de presse, le Perrin qui vint « caparaçonné d’or » dans les rues de Firminy en 1835, n’était pas celui qui partit pour les Amérique en 1815 puisqu’il était mort mais un de ses fils Jean-François ou Joseph, un autre fils qui se maria en 1813 et qui se disait également « orfèvre » Il semble alors que la fortune de la famille était déjà en bonne voie alors qu’en 1835, le commerce des esclaves était en régression depuis la Révolution qui l’avait interdit bien que Napoléon l’ait à nouveau autorisé.
La fin d’un rêve
Cette fortune a-t-elle réellement existé ? Ce Jean-François Perrin en était-il le dépositaire ?
Dans la presse de Guadeloupe on trouve, à la date du décès du père (1822) l’annonce de la nomination d’un curateur pour l’héritage Perrin (voir le document joint). Cela pouvait signifier que la succession était vacante et qu’il n’y avait pas d’héritiers connus. C’est vraisemblablement ce document officiel qui provoqua cet émoi parmi les lointains cousins du Forez. En réalité, Jean Perrin, venant de France, pouvait avoir eu des enfants avant d’arriver à La Guadeloupe d’où la nomination d’un curateur, le temps de vérifier qu’il n’en était rien.
- Sur cet état officiel des successions mises sous curatelle, on trouve celle de Jean Perrin, habitant Pointe-à-Pitre et natif de Firminy ; Avec un tel état, Ettore avait tout en main pour convaincre les héritiers putatifs de le suivre dans son entreprise et de lui verser les sommes demandées.
La fortune était-elle aussi importante qu’on voulait bien le dire ? Toujours est-il que la nomination d’un curateur ne signifiait pas qu’il n’y avait pas d’héritiers. Par nos recherches on sait que le décès de Jean-François Perrin, le fils de Jean,, en 1835, fut déclaré par son frère Joseph et qu’il fut inhumé dans la propriété de sa sœur, madame veuve Morel. (Voir document). Jean Perrin, à sa mort en 1822 laissait huit enfants. Si fortune il y avait, vraisemblablement les frères, sœurs et neveux se la partagèrent.
Pourtant Ettoré, notre homme d’affaires corse remua ciel et terre. Il écrivit aux ministres de la Marine et des Colonies, au Président de la République. En vain. Un beau matin, il reçut enfin une réponse d’un certain Laporte, ministre des Colonies qui l’informait que " l’inventaire Perrin se soldait par un actif de… 16 francs " ! On peut imaginer la colère des Perrin du Forez qui, à l’image de Perrine de la fable durent dirent adieu « à veaux, vaches, cochons, couvées » !
En tous cas, Ettore, l’homme d’affaires corse fut le seul qui en tira quelques bénéfices et encore, bien modestes. Mais, quand il sentit que les affaires se gâtaient et que certains héritiers s’irritaient, il quitta la région « avant que la cabane ne tombe sur le chien » pour, pensait-il, préserver sa liberté chez nos voisins Helvètes.
Malheureusement, la Suisse extrada le « bandit corse » qui dut rendre des comptes à la justice stéphanoise. Il écopa de trois mois de prison Quant aux soixante « héritiers Perrin » à défaut de toucher le magot espéré, ils surent peut-être gré au sieur Ettore, de leur avoir, moyennant une somme assez modeste, permis de rêver et de voyager dans ces contrées exotiques si propices aux contes de fées et aux "oncles d’Amérique". Ils furent peut-être aussi guéris de leur crédulité.
L’homme d’affaire interjeta appel et en janvier 1889, la cour acquittait purement et simplement Ettore, considérant manifestement que dans l’histoire, on ne pouvait lui imputer une obligation de résultats.
Toute la presse de France et de Navarre se fit l’écho de cette peu ordinaire histoire d’oncle d’Amérique. C’est peut-être pour cette raison que le « New-York Herald Tribune » en fit sa « une » le 26 décembre 1888.
Sources des articles de presse : Retronews
Etat-civil : A.D. 42 (Commune de Saint-Victor/Loire)
ANOM : La Guadeloupe (commune de Pointe à Pître).