- Alexandre Gautier
J’ai la chance d’avoir retrouvé dans les archives de ma famille quelques lettres intéressantes ; je ne regrette pas d’avoir partagé celle de l’écolier de 1909. L’auteur de celle-ci est son beau frère, Alexandre Gautier du 3e colonial. Le style est un peu pompeux mais je pense que c’est un bon témoignage (l’orthographe du document est respectée).
Ile de Mitylène, le 6 mars 1916
Mon cher Frère
Tu as du apprendre le torpillage du croiseur auxiliaire La Provence. J’étais avec 2 200 camarades comme passager a bord de ce beau bateau de 3 000 tonnes, 191 m de long pour un premier voyage.
J’avais bien choisi le hasard à voulu que je n’y reste pas c’est bien le hasard car beaucoup de malheureux qui savaient nager ont péri, et moi qui étais blessé ne sachant pas nager du tout je me suis sauvé.
Au moment du torpillage (le Samedi 26 Février - 3 h du soir ) j’étais couché dans mon hamac, nous marchions à petite allure 12 nœuds alors qu’on aurait pu marcher 20 nœuds ce qui nous aurait sauvé car le navire a été atteint tout à fait à l’arrière. Je lisais tranquillement tout à coup une explosion sourde le bateau tresaille. Je n’ai pas mis longtemps à me sortir de la cale et grimper sur le pont. Je vais sur le pont avant ; tout le monde était déjà sur pied. Je cours à l’emplacement des ceintures de sauvetage ; il n’y en avais plus a ce moment les officiers passaient parmi nous et disaient que ce n’était qu’un coup de canon, l’espoir nous venais le bateau marchait toujours.
Je me penche hors du bastingage et je vois l’arrière qui s’enfonçais peu à peu. Un nègre qui était à côté de moi quitte sa ceinture de sauvetage et s’en va disant « c’est rien, c’est rien ». Je t’assure que je n’ai pas mis dix seconde a bondir dessus et à monter sur le pont supérieur de l’avant, dans ma précipitation à la mettre je la casse je l’ai réparée, tant bien que mal et j’ai attendu ; sur le pont avant supérieur c’est à dire à l’extrémité du bateau nous étions 200 massés la j’étais assez calme, je cherchais un moyen de sauter dans un des canots qu’on mettait à la mer hélas ces canots qui pouvaient contenir 80 personnes étaient charger du triple ; te décrire les scènes d’ horreur qui se sont passées est impossible. les canots a l’eau chaviraient les autres canots qui arrivaient écrasaient la plupart des malheureux qui étaient à l’eau et puis le bateau s’enfonçait toujours avec plus de rapidité.
Alors l’explosion des machines qui a tué encore quelque centaines d’hommes. le bateau était tout debout, tu vois la position que j’occupais cramponé à l’avant. Je me suis laissé engloutir avec le bateau, le remous de l’eau m’a envoyé au moins a 10m au fond. Aussitôt j’ai remonté a la surface, je commençais a respirer maintenu par ma ceinture, mais aussitôt je reçois un coup sur la tête et aller encore un voyage au fond. Je me croyais bien perdu heureusement que je suis remonté encore sans m’évanouir, et le hasard a voulu que je me trouve à portée d’un radeau, la j’ai pu respirer j’ai regardé l’endroit ou dix minutes avant flottait un des plus beaux bateaux de notre marine, ce n’était plus que des débris de planches, des bottes de foin, des casseroles etc… etc… la mer avais repris son calme les survivants a la nage se bataient vers les radeaux et les barques. j’avais avec moi 22 compagnons.
Jusque la nous étions a peu près sauf mais si la mer devenais mauvaise nous étions perdus ; car tu sais 23 sur ce machin en bois ! et puis a 350 km du port … (je continue sur l’autre feuille) le plus proche ; si le marin de la T.S.F. n’avait pu envoyer le signal de détresse, nous étions condamnés à mourir de soif de faim ou de froid, car la pluspart d’entre nous étaient complétement nu. J’avais juste ma chemise et mon caleçon ; mais ce brave marin avais fait son devoir, (il est mort d’ailleurs a son poste) et le matin un contre torpilleur Français, venais nous receuillir. Quel cri de joie nous avons poussé en l’apercevant ; tu sais toute la nuit balayé par les vagues nous en avions assez .
Nous sommes en ce moment a l’Ile de Mitylène (Grèce) pour nous reposer pendant quelque temps après on nous enverra à Salonique. J’avais pu sauver quelque billets dans une ceinture de flanelle qu’Alice m’avait faite C’est heureux car j’ai pu acheter ici quelques objets indispensable, et tu sais les Grecs nous font payer le prix. Tu seras bien aimable de me faire réponse aussitôt donne moi des nouvelles de Alice car peut être aurai je ta lettre avant la sienne, raconte moi ce qu’on a dit en France de l’accident, tout ce tu sauras en un mot de l’A… (? mot illisible) aussi – car ici on est complètement séparé de France pas de communiqués rien.
Je t’embrasse cordialement, Ton beau Frere, GAUTIER
Alexandre Gautier 3° colonial. 2° Cie
Ile de Mitylène - Secteur 506
Je suis avec deux bons camarades de Bourcefranc : Musereau Roumegousse
Note : Alexandre Gautier avait 25 ans à peine, né le 25 décembre 1890 à Soubise. Il travaillait chez son père négociant-commerçant. Il a divorcé d’avec Alice ne pouvant avoir d’enfant avec elle. Je sais qu’il s’est remarié et qu’il a eu une descendance. Je serais heureuse de faire connaître cette lettre à ses descendants.
- Alexandre et Alice