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La campagne du Duc de Béthune dans l’océan Indien de 1756 à 1758

Le vendredi 7 janvier 2022, par Jean-Yves Le Lan

De 1756 à 1758, le Duc de Béthune, navire de la Compagnie des Indes, réalise une opération de traite négrière mais aussi bien d’autres missions pour approvisionner l’île de Gorée (Baie de Dakar) et l’île de France (Île Maurice) : convoyage de troupes et de nourriture, transport de bois, de balles de café et de bœufs vivants.

À partir du journal de bord du Duc de Béthune, écrit par le pilote, le « sieur du Bousquet [1] », lors de la campagne de traite négrière de 1756 à 1758, nous allons retracer le parcours et les différents chargements effectués par le navire.

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Couverture du journal de bord rédigé par le pilote du Bousquet - AN, cote MAR/4JJ/7860.

Le Duc de Béthune est un bâtiment de la Compagnie des Indes, armé par monsieur Georges Nicolas Godeheu d’Igoville (directeur), de 600 tonneaux avec 20 canons. Son équipage est composé de 125 hommes [2] à l’armement (Liste consultable et téléchargeable en fin de texte, fichier PDF). Il est commandé par le capitaine Jean Paul Very de Saint Romain.

Le transport de troupes à l’île de Gorée

Le Duc de Béthune quitte Lorient le mercredi 28 janvier 1756 pour le Sénégal. Nous ne savons pas quel est son chargement au départ de Lorient mais au débarquement, au vu de ce qu’il débarquera au Sénégal et à Gorée, nous en aurons une petite idée.

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En-tête du rôle d’équipage du Duc de Béthune à l’armement - SHD-Lorient, cote 2 P 38-I.4.
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Nom et prénom du pilote notés sur le rôle d’équipage à l’armement : Jacques Sauzeac du Bousquet – SHD-Lorient, cote 2 P 38-I.4.

Le navire arrive le vendredi 20 février 1756 en rade du Sénégal (Saint-Louis) où il mouille. Il a effectué ce trajet en 24 jours et a parcouru 2 430 milles marins. Dès le lendemain, l’équipage procède au débarquement de farine. Le 22 février, il poursuit la mise à terre de farine et d’eau de vie. Il embarque des passagers et trente veaux pour l’île de Gorée.
Le dimanche 29 février, le Duc de Béthune appareille du Sénégal pour l’île de Gorée où il arrive le lundi 1er mars. Il y débarque dès le 3 mars des farines et des troupes (200 soldats et leur nourriture pour un an) et poursuit le 4 mars, toujours par de la farine, de l’eau de vie et des quartiers de viande. Le chargement, au départ de Lorient, était donc composé de ces soldats pour l’île de Gorée et de leur nourriture.
Le vendredi 5 mars, l’équipage procède au débarquement de canons de 24 pesant chacun 6 222 livres et il embarque beaucoup d’eau. Pour les canons, il utilise un rat (ponton) qui ne peut supporter qu’un seul canon. Le débarquement des canons dure jusqu’au 9 mars et dès le lendemain, il procède au déchargement de 3 180 boulets jusqu’au 12 mars. Le dimanche 14 mars, il charge encore de l’eau et prépare le navire pour recevoir des « noirs  ». Le 18 mars, il embarque à son bord 350 « noirs et naigraisses » (338 sur le rapport au désarmement). Il est nécessaire d’avoir une grande quantité d’eau à bord pour permettre à l’équipage et aux « noirs » de s’hydrater pendant le voyage dont la durée évaluée est approximative car dépendante des vents et de l’état de la mer.

Le trajet de traite de Gorée à l’île de France

Le lendemain, le Duc de Béthune quitte Gorée pour l’île de France. Il passe la ligne équinoxiale le 14 avril 1756 et le cap des Aiguilles le 29 mai. Après avoir parcouru 8 030 milles marins et ceci en 96 jours (un peu plus de 3 mois), le navire arrive à l’île de France le 22 juin 1756 où il débarque les noirs et les négresses (289 car perdu 49 pendant la traversée [3]) et les hommes malades de l’équipage au nombre de 18 (2 décès : un soldat, le nommée Damour, et un passager, Jean-Baptiste Radelecq).
À l’examen de la courbe des morts des « noirs » pendant la traversée, on remarque que la fréquence des décès augmente vers la fin du voyage et que la pente de la courbe s’accentue.

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« Noirs » morts lors de la traversée Gorée-Île de France – Courbe Jean-Yves Le Lan.

Un chargement de bois pour l’île de France

Le 15 juillet 1756, le Duc de Béthune part du port nord-ouest (Petit Port ou Port-Louis) pour rejoindre le port du sud-est de l’île de France ou Grand Port. Il mouille à Grand Port le 20 juillet. La veille, le dénommé Nicolas Le Naire s’est noyé (Noté Le Ner sur le rôle d’équipage). l’équipage procède du 28 juillet au 20 août 1756 au chargement de bois. Il embarque par chalands et chaloupes 2 275 pièces de bois de différentes natures : des pièces de 15, 16, 20, 22, 24, 25, 26, 28 pieds de longueur, des planches, des courbes et des bois tors.
Le mercredi 25 août, il quitte Grand Port pour Petit Port. La veille, il a touché le récif en sortant mais a réussi à se dégager. Le 26, il arrive à Petit Port. Dans le journal de bord, il n’est pas fait état du débarquement du bois.
Une partie des marins de l’équipage sont versés sur les vaisseaux : le Duc d’Orléans, le Berry et le Seychelles pour les armer en guerre. Il reprend d’autres hommes le 15 octobre.

Du café pour l’île de France

Quelques jours plus tard, le 27 octobre 1756, le Duc de Béthune quitte l’île de France pour l’île Bourbon et mouille le 29 octobre à Saint-Denis. Il se démunit de lest et embarque des balles de café du mercredi 3 novembre au vendredi 12 novembre. Le total à bord est de 7 800 balles de café.
Le 13 novembre, il part de Saint-Denis et rejoint l’île de France, en passant par Saint-Paul, le 22 novembre. Il débarque le café des soutes à partir du 24 novembre mais une grande partie reste à bord.
Le 1er décembre, le navire met une partie de son équipage à terre pour travailler au port et en reforme un à partir du 10 avril 1757 pour décharger le café et armer le navire pour Madagascar.

Des bœufs de Madagascar pour l’île de France

Le 22 avril 1757, le Duc de Béthune quitte l’île de France (dénommée « Morice » dans le journal de bord) pour l’île Bourbon (dénommée « Mascarin » dans le journal de bord). Il mouille à Saint-Denis le 23 avril et navigue pour Fort Dauphin au sud de Madagascar à partir du 25 avril. Il y arrive le 3 mai après 10 jours de navigation et un parcours de 534 milles marins. Du 30 mai au 2 juin, l’équipage procède à l’embarquement de bœufs : 317 au total. Le vendredi 3 juin, le navire quitte Fort Dauphin et arrive à l’île de France le 25 juin où il débarque 300 bœufs [4] avec uniquement une perte de 4 bœufs. Ce qui est peu vu le temps que le navire a mis à revenir, 23 jours en parcourant 1 540 milles marins soit plus de 2 fois le nombre de jours et près de 3 fois la distance parcourue qu’à l’aller. Deux marins décèdent durant ce voyage : Corrantin Bellego et Jean-Baptiste Bro.

Le Duc de Béthune repart pour un deuxième voyage à Fort Dauphin le 13 juillet où il mouille le 22 juillet. Il a mis 10 jours pour le trajet et parcouru 614 milles marins. Il embarque une nouvelle fois des bœufs : 350 [5] les 12 et 13 août et quitte Fort Dauphin le 17 août. Il mouille à l’île de France le 11 septembre et est au ponton le 12. Pour le retour, il a mis 26 jours et parcouru 1 650 milles marins. Il met à terre uniquement 280 bœufs car il a une perte de plus de 15 bœufs à cause d’un manque de vivres. Ce manque de nourritures pour les bovins n’est pas étonnant vu la durée du trajet pour revenir à l’île de France
Après une préparation du navire par l’équipage, le Duc de Béthune quitte l’île de France en passant par Saint-Denis puis Saint-Paul et rentre en France à partir du 24 octobre 1757. Il arrive en vue de l’île de Groix le 8 février 1758 et il mouille sous Groix le 11 février après un parcours de 123 jours (4 mois) sans escale faisant 9 580 milles marins. Le 12 février en rentrant sur Lorient, il s’échoue à proximité du Kernével. L’équipage se met rapidement au travail pour récupérer le matériel de la Compagnie car le navire est condamné.

En guise de conclusion

Le Duc de Béthune est parti de Lorient 747 jours soit plus de 2 ans du 28 janvier 1756 au 12 février 1758. Il a parcouru 24 780 [6] milles marins (45 893 kilomètres) donc plus d’un tour de la terre. Pendant ces deux années, il a été approximativement 340 jours à la mer soit un peu moins d’une année. Il a donc passé plus d’une année dans les ports sans naviguer : Petit Port (Port-Louis), Grand Port, Fort Dauphin, Saint-Denis et Saint-Paul. Pendant les escales, il a subi des entretiens et son équipage a parfois quitté le bord pour servir sur d’autres bateaux ou à terre. La campagne du Duc de Béthune de 1756 à 1758 est intéressante car elle montre que les navires de la Compagnie des Indes n’ont pas transporté que des marchandises nobles mais aussi des hommes (passagers et esclaves) et des marchandises nécessaires au fonctionnement et à l’approvisionnement de l’île de France. Les deux voyages pour aller chercher des bœufs à Madagascar sont bien particuliers car il est difficile d’imaginer sur un bateau de cette taille (une trentaine de mètres de longueur) autant d’animaux qu’il fallait nourrir et nettoyer pendant plus d’une vingtaine de jours.

Il a eu aussi la particularité lors de son retour à Lorient de combattre contre un navire anglais le 4 février 1758. Le capitaine fut blessé, sept hommes tués et il y eut autant de blessés. Ce combat montre que ces navires de commerce de la Compagnie des Indes étaient susceptibles de mener des actions de combat contre l’ennemi en particulier pendant cette période de la guerre de Sept Ans (1756-1763).

Le Duc de Béthune est donc parti de France avec des troupes et leurs vivres pour Gorée. Il a effectué ensuite une opération de traite à destination de l’île de France. Une fois dans l’océan Indien, il a réalisé plusieurs trajets dans les Mascareignes et sur Madagascar pour procéder à l’approvisionnement de l’île de France : bois, café, nourriture (bœufs).

Par contre, nous n’avons pas trouvé ce qu’il transportait au retour car dans le bilan au désarmement du navire, il n’est fait état d’aucune marchandise.

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Rôle d’équipage du Duc de Béthune à l’armement en 1756

Notes
[1] - Jacques Sauzeac du Bousquet de Port-Louis.
[2] - Quatre marins sont restés à terre à Lorient au départ et un est embarqué en supplément.
[3] - 40 uniquement répertoriés sur le journal de bord.
[4] - Incohérence dans les chiffres. Ceux donnés dans le document MAR/4JJ/144C/150 sont cohérents : 316 à l’embarquement et 312 au débarquement.
[5] - Incohérence dans les chiffres du journal de bord. 340 à l’embarquement et 310 au débarquement suivant document MAR/4JJ/144C/150.
[6] - Les distances parcourues sont celles relevées sur le journal de bord où ne sont pas notés les petits parcours. Elles sont notées en lieue (1 lieue est égale à 3 milles marins – 1 mille marin est égal à 1,852 kilomètre). La vitesse moyenne de navigation est d’environ 3 nœuds avec une moyenne maximale journalière de 7 à 8 nœuds).

Sources

• Archives nationales, journal de bord du Duc de Béthune (1756-1758), cote MAR/4JJ/7860.
• Archives nationales, rapport au désarmement, cote MAR/4JJ/144C/150.
• Service historique de la Défense à Lorient, rôle d’équipage du Duc de Béthune à l’armement, cote 2 P 38-I.4.
• Service historique de la Défense à Lorient, armement du navire, cote 1 P 219-191.
• Service historique de la Défense à Lorient, désarmement du navire, cote 1 P 235b-141.

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